Choix et conséquences : Les délinquants en tant que ressources pour la prévention du crime

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Table des matières

Introduction

Dans un monde où il semble y avoir beaucoup d'injustices, un nombre appréciable de personnes passent la plus grande partie de leur vie quotidienne à lutter pour que les choses changent. Souvent, ces personnes sont peu rémunérées. Souvent aussi, leur tâche est très lourde.

Au Canada, dans un grand nombre de collectivités inuites et des Premières nations, des gens travaillent au cour de l'action. Ils s'occupent des délinquants, des jeunes contrevenants et des adolescents, en espérant que ces derniers ne deviendront pas eux aussi des délinquants.

En février 2002, un certain nombre de ces personnes se sont réunies sur le territoire de la Première nation Goodstoney, en Alberta, dans le but de discuter de ce que les gens, et surtout les délinquants, pouvaient faire pour qu'il y ait moins de délinquants autochtones. Au cours de leur processus de guérison personnelle, les délinquants doivent assumer la responsabilité de leurs infractions. Une part de cette responsabilité consiste à considérer les actes criminels comme un abus de confiance, ce qu'ils sont en fait. En s'occupant des jeunes, les délinquants peuvent renforcer la collectivité qu'ils ont blessée en commettant ces actes.

Le Groupe de la politique correctionnelle autochtone du ministère du Solliciteur général du Canada avait organisé ce Rassemblement. Les organisateurs souhaitaient avoir une longue discussion sur ce sujet avec les membres de la collectivité et poser un premier geste en vue de la préparation d'un guide à l'intention des personnes qui s'intéressent à la prévention du crime et à la réinsertion sociale des délinquants.

Le texte qui suit est composé de réflexions sur la manière dont les délinquants autochtones peuvent aider les jeunes à éviter d'avoir des ennuis avec le système de justice. Il comprend aussi de l'information sur le travail qui a déjà été fait dans ce domaine ainsi que la description de quelques bons programmes qui n'existent plus et d'un autre qui se poursuit. On y trouve aussi les réflexions des personnes qui ont participé à ce rassemblement - ce sont des paroles sages, chargées d'un grand pouvoir et de beaucoup d'émotion. Mais surtout, ce sont des paroles qui viennent du fond du cour.

Les personnes qui ont participé au Rassemblement ont généreusement accepté d'exprimer leurs idées et leurs réflexions dans l'espoir que tous les Autochtones du Canada trouvent dans ces mots quelque chose qui leur sera utile. Elles souhaitent aussi que cela contribue, d'une manière ou d'une autre, à améliorer la vie des sept prochaines générations.

Le Groupe de la politique correctionnelle autochtone espère que ce document aidera à poursuivre la conversation commencée au Rassemblement, surtout entre les personnes et les collectivités qui n'ont pas pu y participer.

Les précédents ou Jusqu'à maintenant

Le programme Scared Straight (un programme d'action dissuasive fondée sur la peur), offert tout d'abord à la prison de Rahway (New Jersey) au milieu des années 70, constitue un bon point de départ pour lancer une discussion sur le sujet qui nous intéresse. À la suite du succès de ce programme à l'échelle locale, on a produit un documentaire dont le narrateur était l'acteur Peter Falk et qui a reçu un Oscar en 1979. Malgré cela, dès 1980, certaines personnes mettaient en doute l'efficacité du programme Scared Straight. Cette année-là, une équipe de chercheurs de l'Université Rutgers a effectué pour la première fois une étude comparative et a constaté qu'il n'y avait aucun changement d'attitude significatif chez les jeunes qui avaient suivi le programme Scared Straight comparativement à ceux qui ne l'avaient pas suivi. Les chercheurs ont aussi conclu que la prévention du crime dépendait plus de la certitude du châtiment que de sa sévérité. En poursuivant leur étude, les chercheurs de Rutgers ont aussi observé que les jeunes du groupe de comparaison présentaient de meilleurs résultats que ceux du groupe étudié en ce qui concernait les infractions subséquentes.

Malgré l'absence d'évaluations favorables, le programme Scared Straight a été repris par d'autres pays que les États-Unis, comme le Canada (à l'établissement de Millhaven, en Ontario), la Grande-Bretagne, le Danemark et la Norvège. Dans une méta-analyse, c'est à dire une étude qui réunit les résultats de plusieurs études sur une même question, James O. Finckenauer et Patricia W. Gavin ont conclu que " les programmes Scared Straight sont peu efficaces sur le plan de la prévention du crime". De plus, "dans les cas où l'on a observé des résultats positifs, [.] la fiabilité de l'information peut être sérieusement mise en doute" (Finckenauer et Gavin, p. 136, TRADUCTION). Beaucoup d'études étaient faussées du fait qu'elles portaient sur des jeunes qui, au départ, ne présentaient pas un risque réel. Pourtant, les programmes Scared Straight se sont poursuivis en raison de facteurs contextuels comme le climat politique, les médias et la simple indifférence. Ces facteurs contextuels étaient renforcés par la croyance généralement répandue que la dissuasion est la panacée. Tous ces facteurs ont fait en sorte que les programmes Scared Straight se sont poursuivis pendant de nombreuses années, malgré leur inutilité.

Après avoir exclu les programmes Scared Straight, il y a probablement lieu de considérer l'ensemble du mouvement de la justice réparatrice. Bien que ce ne soit pas exactement notre propos, nous reconnaissons qu'un grand nombre de modèles de la justice réparatrice, en incluant les familles entières, incluent à la fois les délinquants et les jeunes, qui entendent ces délinquants raconter les erreurs qu'ils ont commises. Parmi les modèles de la justice réparatrice, deux se rapprochent plus particulièrement de notre sujet, soit le modèle de conciliation des Navajos du sud-ouest des États-Unis et le modèle du groupe de concertation des familles des Maoris, en Nouvelle-Zélande.

Quand un Navajo se fait du tort ou en fait aux autres, les gens disent que cette personne agit comme si elle n'avait aucune parenté, ce qui traduit en quelque sorte le déséquilibre de ses actes. Chez les Navajos, le processus de la conciliation rétablit le contact entre l'individu et le monde. Comme la culture navajo est étroitement liée à la notion de clan, le processus de la conciliation réunit les membres de la famille étendue de la victime et du délinquant. De cette manière, les jeunes ont l'occasion d'entendre tous les intéressés raconter leur version des choses et le conciliateur donner son avis sur la manière de rétablir l'équilibre, ce qui est l'objectif premier du processus.

Comme chez les Navajos, le modèle du groupe de concertation des familles des Maoris présuppose que la famille et la collectivité ont la responsabilité de rétablir l'équilibre rompu par le crime. Pour les Maoris, "les enfants s'épanouissent le mieux quand ils peuvent participer aux décisions qui déterminent leur vie" (ibid., p. 61, TRADUCTION). Même si beaucoup de groupes de concertation des familles s'occupent des cas des jeunes contrevenants, il y a certainement aussi d'autres jeunes qui participent à ces groupes et qui peuvent ainsi tirer des leçons des erreurs des autres. Ce modèle met en pratique la notion suivant laquelle la justice réparatrice est plus efficace que la justice punitive. "La caractéristique la plus importante du groupe de concertation est probablement la participation de toutes les personnes présentes au processus de décision visant à rétablir la situation" (ibid. p. 63, TRADUCTION).

La notion de punition est prédominante dans le milieu politique qui détermine l'orientation de la justice pénale. À l'encontre de cette idéologie, la justice réparatrice vise à satisfaire les besoins de tous les membres de la collectivité, y compris ceux qui ont causé un tort. C'est pourquoi les programmes fondés sur les besoins plutôt que la vengeance, les programmes axés sur la guérison plutôt que le châtiment, les programmes qui s'intéressent explicitement au tort causé et à la douleur des victimes répondent aux besoins de la collectivité plutôt qu'à ceux d'un seul individu. Ces programmes correspondent plus étroitement aux valeurs et aux pratiques traditionnelles des Premières nations, qui cherchent une solution aux nombreuses lacunes du système de justice actuel.

Au Canada, trois projets, à notre connaissance, ont fait appel à des délinquants autochtones pour aider les jeunes Autochtones à éviter la voie qui mène au système de justice pénale.

Le programme Stone Path :

Le programme Stone Path était un programme d'intervention communautaire conçu à l'intention des jeunes des Premières nations du Manitoba. La coordonnatrice, Susan Swan, fait partie du service de police de Winnipeg, mais le projet n'était pas sous la direction d'un établissement. L'objectif du programme Stone Path était de sensibiliser les jeunes Autochtones âgés de 10 à 14 ans aux dangers liés à la fréquentation des gangs. On souhaitait, au moyen de ce programme, faire acquérir aux jeunes des moyens réalistes de résister à l'attrait des gangs urbains et au désir d'en faire partie.

Le programme Stone Path faisait appel aux services d'anciens membres de gangs qui racontaient leur expérience personnelle aux jeunes de leur collectivité, peu importe la région. Avant le début du projet, il avait été convenu que ces anciens membres de gangs ne révéleraient pas à quel gang ils avaient appartenu, afin d'éviter que certains jeunes plus impressionnables éprouvent de l'admiration pour ces gangs.

Ces séances d'information permettaient de donner aux jeunes de l'information sur les méthodes de recrutement des gangs, leurs activités et la difficulté de cesser d'en faire partie. Ces séances duraient une journée entière. Le coordonnateur et les anciens membres de gangs allaient présenter leurs exposés dans les collectivités des Premières nations de toutes les régions de la province.

Il était important de joindre les jeunes directement dans leur collectivité parce que beaucoup d'entre eux allaient ensuite faire leurs études secondaires dans un centre urbain où ils risquaient d'être exposés aux pressions des gangs de jeunes, une situation complètement nouvelle pour eux. À l'aide de méthodes préventives permettant aux jeunes d'éviter les invitations à joindre un gang, le programme Stone Path avait pour but de les inciter à adopter un mode de vie plus équilibré tout en leur enseignant des moyens de résister aux pressions quotidiennes auxquelles ils étaient exposés après l'école.

Comme le soulignait Susan Swan, "il fallait absolument s'occuper des jeunes avant qu'ils aient des ennuis avec le système. Les policiers ne savaient vraiment pas quoi faire avec les jeunes qui avaient besoin d'aide et qui risquaient d'avoir de graves ennuis."

Les initiatives de ce genre constituent des solutions à long terme beaucoup plus valables, car en coupant les sources de recrutement elles empêchent les jeunes de devenir des criminels. Ce programme avait le double avantage de montrer aux anciens membres de gangs que l'appartenance à un gang avait des conséquences négatives, mais qu'ils pouvaient en revanche exercer une influence positive sur le comportement des jeunes.

Le programme Stone Path s'adressait à des jeunes qui ne faisaient pas déjà partie d'un gang. Ces jeunes ont participé à des séances d'information sur la théorie des gangs, la réalité et les conséquences de l'appartenance à un gang, les dangers liés à la consommation d'alcool et de drogue ainsi qu'à des discussions sur les valeurs. Ce programme visait aussi à inciter les jeunes à participer à des activités sociales parascolaires de leur choix (sports, voyages, loisirs et ateliers de formation professionnelle), toujours dans le but de réduire le risque qu'ils se joignent à un gang.

À l'origine, le programme Stone Path a été mis sur pied grâce à l'esprit d'initiative et à la ténacité de sa coordonnatrice. Il n'y a eu que peu de travaux de recherche dans ce domaine auparavant et aucune étude de suivi par la suite.

Partners in Healing :

Partners in Healing était un programme offert en Colombie-Britannique. L'idée de ce programme était issue d'un cercle d'influences dont les membres avaient remarqué que les délinquants s'entendaient particulièrement bien avec les jeunes. Cette observation fut à l'origine de la conception d'un programme permettant à ces deux groupes de mettre en commun leurs ressources. Les recherches avaient montré que non seulement le programme Scared Straight était inefficace, mais aussi qu'il ne correspondait pas à la culture des Premières nations. Après l'adoption de ce programme, il a fallu beaucoup de temps pour constituer une équipe capable de le mettre en ouvre.

Ce programme était supervisé par un coordonnateur de projet et un comité de direction composé d'Aînés, d'agents de libération conditionnelle en établissement, d'agents de correction, de membres de la collectivité et d'un avocat. Au cours de leurs visites dans les établissements de détention, le coordonnateur du projet et un Aîné effectuaient des entrevues et organisaient des cercles. Ensuite, ils choisissaient trois détenus qui répondaient à des exigences minimales. Dans leur processus de sélection, ils accordaient la préférence aux délinquants condamnés à perpétuité qui connaissaient bien la spiritualité autochtone. Par la suite, ils ont communiqué avec tous les conseils scolaires, collèges et universités de la région et leur ont demandé de s'adresser aux groupes d'études des Autochtones. Il a fallu attendre presque un an avant de pouvoir organiser le premier cercle.

Tout le travail était coordonné par un Aîné et le conseiller scolaire. Tous deux se rencontraient au préalable afin d'examiner les sujets dont les délinquants et les jeunes pourraient discuter. L'objectif de cet exercice était de donner aux jeunes une idée précise de la vie en prison, dépourvue de tous ses charmes et ses attraits, et de leur faire comprendre ce qui arrive quand on est privé de sa liberté. Les jeunes se sont montrés très intéressés et ont posé beaucoup de questions. Les Aînés ont donné des conseils et répondu à toutes les questions. Ils assuraient aussi un suivi, au besoin.

En règle générale, les jeunes se rendaient au pavillon de ressourcement de l'établissement de Mission pour participer aux cercles, ce qui permettait d'éviter les problèmes de sécurité susceptibles de se poser dans les écoles. Dans les cercles, on initiait les jeunes aux enseignements traditionnels. Certains jeunes qui participaient au programme Partners in Healing venaient des centres de détention pour les jeunes. Les témoignages des détenus ont provoqué beaucoup d'émotion chez les jeunes qui n'avaient jamais discuté de ces questions auparavant. Ces discussions très ouvertes ont donné lieu à une dynamique et à des relations positives. Quelques jeunes, après avoir participé à un atelier sur la construction de tambours, ont formé un groupe de joueurs de tambour.

Chaque cercle était suivi d'une discussion qui permettait aux participants de trouver leur équilibre et qui favorisait la croissance des jeunes et des détenus. Les participants étaient choisis avec soin (on évitait de choisir quelqu'un qui valoriserait la vie en prison) et le programme suscitait beaucoup de commentaires favorables. Les réactions des jeunes confirmaient que les délinquants faisaient bien ce qu'ils s'étaient proposés de faire. Ces derniers ont d'ailleurs retiré beaucoup de satisfaction de cette expérience, qui a permis aux adultes de devenir des individus sains, capables de redonner quelque chose.

Selon le témoignage d'un participant, "cela les a aidés à trouver leur don".

Malheureusement, Partners in Healing a pris fin en 1999, par manque de soutien financier et administratif. Néanmoins, tous les frères qui ont participé sont encore à l'extérieur et le groupe de jeunes joueurs de tambour continue d'exister.

Broken Wing :

Le programme Broken Wing a été créé en 1995 au pénitencier de la Saskatchewan. À cette époque, certaines personnes considéraient que les jeunes qui visitaient les établissements se faisaient une mauvaise impression. Ils voyaient du matériel neuf dans les gymnases, des téléviseurs, les détenus avaient des repas réguliers et semblaient satisfaits de leur sort.

Dans le cadre du programme Broken Wing, une équipe composée de deux délinquants autochtones et de deux employés du SCC présente des exposés sur les effets permanents que subit tout individu pris dans l'engrenage du système de justice pénale. Des Aînés et des membres du personnel de l'établissement choisissent avec soin les délinquants participants. Souvent, ceux-ci sont choisis parmi les Alcooliques Anonymes parce que ces hommes ont déjà pris des moyens pour guérir et ont l'habitude de parler d'eux-mêmes et de raconter leur histoire personnelle. Au début, ils suivent un plan de guérison personnelle dont l'un des volets consiste à sortir pour aller parler aux gens.

Même si le programme Broken Wing donne lieu à des discussions franches, il n'a pas pour but de provoquer la peur chez les participants. Un des intervenants précise : "Nous ne voulons pas faire peur aux jeunes, mais nous n'essayons pas d'embellir la réalité non plus."

On souhaite que les délinquants, grâce à leur participation, progressent sur la voie de la guérison en retournant dans la collectivité s'excuser de leur conduite antisociale. L'équipe, qui s'adresse aux élèves de la première année jusqu'à la fin du secondaire et à leurs parents, adapte ses exposés en fonction de l'auditoire. Même si le programme Broken Wing n'a pas fait l'objet d'une évaluation en règle, les nombreuses demandes de présentation témoignent de son effet positif.

Le Rassemblement

L'essentiel des idées contenues dans le présent document provient des 22 personnes qui se sont réunies sur le territoire de la Première nation Goodstoney en février 2002. Ces personnes représentaient des organismes gouvernementaux et des collectivités autochtones des milieux urbain et rural. Les pages qui suivent exposent les idées et les rêves qu'ils ont exprimés lors de cette rencontre. Au cours de ces quatre jours, certains thèmes ont été discutés et répétés sous différentes formes. La présentation de ces thèmes reprend les paroles des personnes qui ont exposé leurs idées au Rassemblement.

Comment joindre les jeunes:

L'adage qui dit "il faut tout un village pour élever un enfant" correspond bien aux conseils donnés par les participants du Rassemblement. Bien des gens ont souligné la nécessité de créer une équipe, parce que c'est toute la collectivité - travailleurs des services d'approche, policiers avec des objectifs communs, agents de libération conditionnelle, spécialistes des services à la famille et à l'enfance, centres d'amitié - qui doit venir en aide aux jeunes. Comme l'a fait remarquer un participant de la Première nation de Hollow Water, "Nous n'avons pas un établissement, mais seulement une collectivité. Des gens sont condamnés à purger une peine dans ma collectivité et tout ce que nous pouvons leur offrir, c'est un foyer."

Le conseil était clair : il faut aller là où sont les jeunes - dans les écoles, les conférences ou les cours de justice - pour leur parler et leur offrir de l'aide. Et sans tarder. Il faut s'occuper d'eux avant qu'ils aient des ennuis avec le système de justice pénale. Et il ne faut pas intervenir seulement auprès des jeunes, mais aussi auprès de leurs parents et de leur famille.

"Nous travaillons avec les jeunes. Beaucoup font partie d'un gang. Quand ils se rassemblent, ils laissent de côté leur aversion pour les cérémonies. Quand les délinquants et les jeunes se sont réunis, c'était comme si les hommes n'étaient pas des prisonniers et comme si les jeunes n'étaient pas des écoliers, c'était comme une grande famille. Mais c'était difficile parce que les parents n'aimaient pas ça et j'ai dû leur expliquer que c'était une des façons d'apprendre dans notre culture."

Demandez aux jeunes ce qu'ils veulent, puis essayez d'incorporer ces idées dans le plan de traitement (en d'autres termes, demandez-leur ce qu'ils pensent et écoutez ce qu'ils ont à dire). C'est important de consulter les jeunes, car les projets ne sont pas tous valables - on a donné l'exemple d'un projet qui a provoqué le mécontentement des jeunes; au lieu de les aider, on a aggravé les choses. Tous les jeunes doivent être traités comme des êtres humains. C'est cette attitude fondamentale de respect que la plupart d'entre eux recherchent.

Il est important aussi de se rappeler que certaines situations que vivent les jeunes, comme l'exploitation sexuelle, sont plus faciles à discuter dans un cercle composé seulement de jeunes hommes ou de jeunes femmes et animé par une personne du même sexe.

Mettre à profit l'expérience des délinquants :

Les organisateurs du Rassemblement ont jugé qu'il serait opportun de demander à d'anciens détenus d'agir comme animateurs parce que leur expérience personnelle rendrait le message plus authentique.

Un jeune participant du Rassemblement a dit : "Pour m'aider, c'est mieux si c'est une personne qui a mené la vie que je mène. Guérir, c'est aussi partager avec des gens qui ont vécu les mêmes expériences."

L'acceptation de sa responsabilité devrait être une condition préalable pour tout délinquant qui participe à un programme comme ceux qui sont proposés. Certains participants ont affirmé:

"Les femmes du pavillon de ressourcement ont tellement besoin d'aide quand elles arrivent qu'elles ne peuvent pas aider les autres tant qu'elles n'ont pas changé."

"Avant que les délinquants puissent se rendre utiles, ils doivent d'abord recevoir une longue formation dans les établissements."

"Les seuls qui peuvent aider les autres sont ceux qui se sont aidés."

Les relations qui se développent entre des personnes d'un certain âge et des jeunes, qui sont impressionnables, présentent un certain risque et il faut se méfier de ce risque. Les délinquants qui ont suivi un processus de guérison savent à quel point il est important de ne pas valoriser la prison et la vie de criminel. Il est important que les délinquants parlent non seulement des conséquences négatives d'un mauvais choix de vie, mais aussi des choses qui auraient pu les aider en cours de route.

Certains ont affirmé que dans tout groupe de délinquants autochtones qui suivent un processus de guérison, ils pouvaient distinguer ceux qui sont prêts à partir et à vivre de façon autonome.

"Il faut qu'ils vivent leur culture et qu'ils soient sincères."

"Ceux qui sortent. quand ils sont prêts, ils sont fiers de leur patrimoine culturel et ils savent comment s'intégrer au monde. [c'est pourquoi] il faut accorder autant d'importance aux rapports [sur les délinquants] de source autochtone qu'aux rapports de source officielle."

Aide postpénale - suivi et accompagnement:

Peu importe que les discussions et les cercles de guérison se tiennent dans les établissements ou à l'extérieur, il est important que des services de counseling soient disponibles à toute heure du jour et de la nuit. Les réactions ne sont pas toujours immédiates. Elles peuvent se manifester plus tard. Sans ce type de soutien, toutes les choses positives qui ont pu naître des discussions en cercle peuvent se perdre. Pire encore, une personne qui a révélé un secret terrible, comme des mauvais traitements sexuels, peut devenir suicidaire si elle ne peut obtenir le soutien dont elle a besoin pour en parler.

Il faut absolument que quelqu'un soit là pour donner son appui, car s'il n'y a personne, les gens, que ce soit des délinquants ou des jeunes, vont retourner à ce qu'ils connaissent - et probablement à ce qui aura été à l'origine de leurs ennuis. Au sujet des délinquants, quelqu'un a dit :

Il faut toujours se rappeler que les établissements offrent à beaucoup de nos frères le milieu sûr qu'ils n'ont jamais connu. L'établissement devient un lieu sûr et les autres détenus deviennent leur famille. S'il n'y a pour eux aucun endroit sûr dans la collectivité, nos frères et nos sours vont retourner dans l'établissement où ils se sentaient en lieu sûr et compris. La plupart du temps, ils choisissent d'être "illégalement en liberté" tout simplement pour retourner en prison sans blesser personne.

"Le problème, ce n'est pas vraiment l'alcool ou la drogue, c'est plutôt le milieu de vie - c'est pour cela que les gens ont besoin d'aide postpénale."

Traditions et rites:

Quand on travaille avec les jeunes, comme avec tout être humain, il faut toujours se rappeler que la base d'une relation solide, c'est le respect. Si les gens se respectent, ils peuvent commencer à se parler et il y a moins d'obstacles à l'action positive.

Il faut bien comprendre aussi que les Autochtones n'ont pas tous la même culture et les mêmes habitudes. Certains Autochtones pratiquent peu les comportements liés à la culture traditionnelle de leur nation parce qu'ils n'ont pas grandi dans un milieu où ces comportements étaient courants. De plus, selon les régions du Canada, les différentes nations autochtones ont des traits culturels qui leur sont propres, de sorte que ce qui a une grande importance dans une culture peut être accessoire ou inexistant dans une autre. Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que les nations autochtones du Canada respectent les traditions des autres cultures.

La majorité des Autochtones reconnaissent toutefois que l'approche holistique est la meilleure. Toute guérison repose sur la notion suivant laquelle la santé n'est pas juste physique, mais aussi mentale, affective et spirituelle.

Il est donc primordial de respecter les rites particuliers des groupes avec lesquels on travaille. À tout le moins, il faudrait remercier pour l'utilisation des territoires traditionnels et offrir un présent aux personnes auxquelles on demande quelque chose.

Aînés et mentors :

"Avant les contacts avec les Européens, il y avait des Aînés dans toutes les cultures des Premières nations de l'Amérique du Nord. Les Aînés étaient des hommes et des femmes qui exerçaient une ou plusieurs fonctions, selon l'étendue de leur formation et de leurs connaissances. Peu d'Aînés pouvaient faire à eux seuls tout ce que les Aînés faisaient, mais ils enseignaient tous. En tant qu'enseignants et dépositaires de l'histoire et des connaissances de la tribu, les Aînés exerçaient une grande influence sur la stabilité et l'évolution de leur culture et de leur collectivité. L'évolution de l'État et des économies internationales dans les Amériques a provoqué la marginalisation graduelle des institutions tribales, de sorte que le rôle des Aînés s'est trouvé très limité au XXe siècle. Au cours des années 1970, les Aînés ont repris leur place dans un grand nombre de collectivités des Premières nations. L'insatisfaction provoquée par les effets de la modernisation dans les familles et les collectivités a incité les gens, jeunes et vieux, à retourner aux sources de la sagesse traditionnelle, c'est à dire les Aînés. Selon bien des observateurs de l'extérieur, les Aînés ont acquis une sorte de statut mythique dans la société contemporaine. Il serait faux toutefois de croire que toute personne qui se présente comme un Aîné ou qui est considérée comme tel possède les connaissances nécessaires pour diriger les cérémonies traditionnelles des Premières nations ou exercer un ministère auprès des personnes spirituellement démunies." (McCue, p. 18 19, TRADUCTION)

Pendant tout le Rassemblement, les gens ont rappelé la nécessité d'une personne capable d'établir des liens avec les jeunes et de considérer leurs expériences avec compassion. C'est un rôle qu'un Aîné ou un mentor peuvent jouer.

"Il faut parfois un Aîné pour convaincre quelqu'un qu'aider les jeunes c'est une bonne étape à franchir."

"C'est intéressant de voir à quel point l'appui d'un Aîné peut inciter [les délinquants] à s'engager davantage."

Habitués à s'occuper des gens en difficulté, les Aînés savent souvent qui, des délinquants ou des jeunes, est prêt à franchir une nouvelle étape dans le processus de guérison personnelle et à travailler avec les autres.

"Les Aînés savent parce que nous leur faisons confiance et que nous sommes ouverts avec eux."

Dans les établissements, les Aînés peuvent évaluer les individus d'après leur intérêt et leur degré de participation. Ils peuvent proposer un plan de guérison et évaluer les progrès de chacun à chaque étape qu'il franchit. le recours aux services des Aînés et des mentors contribue à l'amélioration de la collectivité.

"Les Aînés s'efforcent de créer un milieu où [le frère] trouve sa place et peut s'engager parce qu'il veut exister plutôt que parce qu'il doit exister. [L'Aîné] exploite tout talent qui lie l'individu à la collectivité."

Les gens n'ont pas tous les mêmes dons. Par exemple, ce n'est pas tout le monde qui veut ou qui croit pouvoir parler en public. Cela correspond à la plupart des cultures autochtones, dans lesquelles les gens étaient reconnus pour leur compétence dans des domaines particuliers - on ne demandait à personne de pouvoir tout faire pour tout le monde. Il peut donc être nécessaire d'encourager certaines personnes réservées ou timides à devenir mentors ou même de leur enseigner.

"Le mentorat sous toutes ses formes est important. Qu'une personne soit en prison ou dans la collectivité, elle peut avoir quelque chose à transmettre."

Parfois, le rôle du mentor peut consister simplement à aider un individu en passant du temps avec lui. Un mentor peut participer à un programme de pairs-conseillers si ces conseillers sont eux-mêmes sains. Il ne faut jamais oublier que ceux qui peuvent aider les autres sont ceux qui ont fait des changements positifs dans leur vie personnelle.

"Les mentors doivent être des modèles de comportement. Nous les comparons à du maïs éclaté, parce que leur attitude dit tout. Les Aînés doivent gagner le respect des gens qu'ils tentent d'aider."

"Comment savoir si un Aîné est de bonne foi? Il doit être honnête et authentique."

"Il y a beaucoup d'Aînés malades qui se moquent de notre méthode. C'est parce qu'ils sont malades."

"Quand j'avais un mode de vie négatif, je me tenais avec des individus négatifs. Maintenant, je cherche quelqu'un qui sait m'écouter et qui a de la compassion."

Financement:

Même si le financement de ces programmes de guérison ne faisait pas partie des principaux sujets de discussion, c'est une question qui est revenue sur le tapis à quelques reprises. La meilleure façon de résumer les points de vue des participants est sans doute de reprendre leurs propres paroles :

"Les programmes commencent avec le financement, et quand le financement cesse, les programmes cessent aussi, peu importe s'ils sont bons ou non. C'est donc important de prévoir ce qui arrivera quand il n'y aura plus d'argent. Il faut faire appel aux personnes-ressources disponibles sans que le tout soit un programme. Nous n'avons pas de financement pour les cercles de guérison pour les hommes, les activités sociales communautaires ni les cérémonies de la suerie, mais nous en organisons quand même."

"Nous devons cesser de mettre sur pied des projets pilotes; il faut plutôt obtenir des engagements concrets du gouvernement, qui a une obligation de fiduciaire. C'est mieux d'avoir un programme national plutôt que de petites initiatives un peu partout dans le pays."

"On ne peut pas dire aux gens comment guérir - c'est quand ils sont prêts, en prison. Écoutez-les et ils vont vous dire ce qu'il leur faut, et quand.[Le gouvernement dit]. Je vais vous financer pendant deux ans, et vous êtes mieux de guérir tout le monde en deux ans. Ce n'est pas comme ça que ça marche."

Les objectifs du projet :

Vers la fin du Rassemblement, les participants ont discuté des éléments qui, selon eux, seraient essentiels à un bon programme de mentorat des délinquants auprès des jeunes. On avait déjà reconnu que les programmes ne doivent pas nécessairement être identiques pour être efficaces. En effet, en raison des différences sur le plan de la dynamique, des ressources, des lieux géographiques et des caractéristiques culturelles, les programmes efficaces peuvent différer beaucoup les uns des autres. Quoi qu'il en soit, tous les programmes efficaces ont en commun certains éléments de base, et plus particulièrement des Aînés clairvoyants qui comprennent bien leurs traditions. Les résultats à long terme du travail auprès des jeunes viendront seulement avec la patience. Grâce à un financement stable, l'énergie pourrait être consacrée à la guérison plutôt qu'à la rédaction de propositions.

Un groupe de participants a dessiné un diagramme pour montrer qu'il est important de travailler à la poursuite d'un objectif commun d'harmonie et d'équilibre au lieu de fragmenter et de compartimenter.

Roue de médecine
Description de l'image

Le diagramme ci-dessus représente la roue de médecine (un cercle divisé en quatre pointes égales). Des flèches allant en sens horaire à l'extérieur de la roue relient des mots. Au sommet de la roue se trouve le mot « Identité », puis « Analyse » à la droite, « Plan » au bas et « Changement » à la gauche. La roue de médecine est utilisée pour montrer comment le principe de base « ne pas faire de mal » peut être atteint en ciblant un problème, en l'analysant, en planifiant le changement puis en mettant ce dernier en place.

L'usage de la roue de médecine et du cercle ferait ressortir les talents individuels. Trop souvent, selon eux, nous essayons de passer trop vite de l'analyse au changement sans prendre le temps de faire un plan. C'est peut-être un peu plus long, mais les résultats seront plus durables. Le plan doit reposer sur un principe de base : ne pas faire de mal.

Habituellement, les programmes et initiatives définissent un problème, l'analysent et entreprennent de changer la situation sans planification. Cette façon de procéder, qui s'apparente à un triangle, ne contient pas les éléments nécessaires à son succès. C'est ce qui explique pourquoi ces programmes, souvent, ne donnent pas de bons résultats avec les Autochtones et que plusieurs ne passent pas l'épreuve du temps.

Dans les établissements, il faut des programmes autochtones, afin que les délinquants reçoivent l'aide dont ils ont besoin pour résoudre leurs difficultés. Tous les membres du personnel des établissements devraient recevoir une formation sur la culture autochtone et suivre périodiquement des cours de recyclage. Comme c'est le cas dans la plupart des cultures autochtones, on pourrait inciter les délinquants plus âgés à s'occuper des délinquants plus jeunes et à leur venir en aide.

Quand les délinquants quittent les établissements, il faudrait continuer de leur offrir de l'aide et poursuivre le cercle. À cette fin, il serait bon d'encourager les individus et les organismes à se rendre dans les établissements pour rencontrer les délinquants. Des frères et des sours guéris pourraient faire des exposés dans les écoles et les centres d'amitié et auraient le sentiment d'être utiles en livrant leurs réflexions.

Un participant a affirmé : "Nous devons cesser de garder en prison des individus qui sont prêts à assumer la responsabilité de leurs actes dans leur propre collectivité. Nous devons traiter les gens avec respect et cela nous sera rendu. Certaines personnes qui ont suivi notre programme se rencontrent au sein d'un groupe de jeunes hommes. Personne ne les paie; ils font ça bénévolement. Nous avons une grand-mère qui participe à des réunions avec de jeunes mères. Nous recyclons les gens, de sorte que ceux qui ont suivi le processus arrivent à un stade où ils sont prêts à travailler avec ceux qui viennent juste de commencer le programme."

Quand les programmes marchent bien, ceux qui y participent s'enrichissent mutuellement et tous s'en trouvent mieux.

Qu'est-ce que les jeunes ont à dire?

Les Native Counselling Services of Alberta ont parrainé un projet de recherche afin d'examiner les raisons pour lesquelles les jeunes ne récidivent pas. Dans l'étude intitulée Getting Out and Staying Out : A Conceptual Framework for the Successful Re-integration of Aboriginal Male Young Offenders, les chercheurs ont tenté de déterminer quels sont les meilleurs moyens de faire acquérir et conserver aux jeunes un comportement et un mode de vie sains.

Les entrevues semi-structurées de l'étude ont mis en lumière une dichotomie dans l'esprit des jeunes hommes. Les conséquences négatives (principalement l'incarcération) étaient perçues de deux manières distinctes : elles étaient acceptables, ou elles menaient à un tournant décisif qui provoquait un changement majeur du mode de vie. À l'époque de leurs plus récents démêlés avec la justice, l'influence du groupe de pairs (généralement négative) était la plus importante pour les jeunes. La poursuite des relations avec ce groupe était plus importante que les conséquences de l'incarcération, qui étaient considérées comme acceptables.

À mesure que les jeunes vieillissaient, leurs relations s'élargissaient pour inclure des personnes ne faisant pas partie du groupe de pairs exerçant une influence négative. Or, les relations positives avec ces nouvelles personnes, souvent une petite amie ou un enfant, menaient souvent à un tournant décisif, qui provoquait un besoin de réfléchir. Cette réflexion forçait le jeune homme à examiner sa vie et à voir la nécessité de la changer. Souvent, cette réflexion conduisait le jeune homme à une croisée de chemins et à la conclusion que "trop, c'est trop". Ensuite, il arrivait à reconnaître qu'il en avait assez de tout ce qui était associé au crime et il éprouvait du remords pour les actes qu'il avait commis.

Après ces premières révélations, le jeune homme commençait à voir des liens entre la consommation d'alcool ou de drogue et le risque d'être incarcéré, même quand il continuait d'en consommer. Souvent, le désir positif et conséquent de "vieillir" traduisait l'intention du jeune homme d'être considéré comme un adulte responsable par son entourage. La dernière étape de ce processus, souvent le signe d'une intégration fructueuse, était le désir d'assumer des responsabilités et de rendre compte de ses actes.

Le processus menant à l'intégration est long. Comme toute autre modification du comportement, il exige du temps et peut comporter de nombreuses hésitations plutôt que ressembler à un mouvement constant vers l'avant. La conduite d'un individu tient à la manière dont il considère les conséquences de ses actes et cette perception, positive ou négative, dépend de ce qui est important pour lui dans sa vie. C'est pourquoi il analyse constamment les choix qu'il doit faire. Les priorités de sa vie influencent ses décisions, et il en est de même pour la plupart d'entre nous. C'est à ce stade que nous essayons de voir comment les anciens détenus, qui ont fait un grand nombre de mauvais choix, peuvent aider les jeunes à éviter cette voie.

En mars 2002, un représentant du Groupe de la politique correctionnelle autochtone du ministère du Solliciteur général du Canada s'est adressé à un groupe de jeunes au pavillon Young Eagles, à Vancouver. Ce pavillon s'efforce d'orienter les jeunes dans une bonne direction afin qu'ils adoptent un mode de vie plus sain.

Beaucoup de jeunes qui se sont exprimés ont confirmé ce que les chercheurs ont observé dans l'étude des Native Counselling Services of Alberta et ce que beaucoup de participants ont discuté lors du Rassemblement. Un des jeunes a affirmé qu'il ne trahirait jamais un de ses frères (pairs). Il a ajouté qu'il préférerait passer un an en prison pour un crime qu'il n'a pas commis plutôt que de trahir celui qui l'a commis. Lorsque quelqu'un a fait observer que si ce dernier était vraiment un ami, il ne le laisserait pas payer à sa place, le jeune a répondu que seul un autre criminel pouvait comprendre cela. On voit donc à quel point les groupes de pairs sont importants pour ces jeunes et l'on comprend que si nous espérons ramener ces jeunes sur la bonne voie, nous devons nous occuper aussi des gens qui occupent une place importante dans leur vie.

Les jeunes du pavillon Young Eagles ont aussi souligné qu'il était important de travailler avec des gens qui comprenaient leurs problèmes.

"Parfois, on rencontre quelqu'un dont la vie est parfaitement identique à la nôtre. Ils nous comprennent. [Dans les établissements pour les jeunes] il y a des employés qui sont juste allés à l'école et qui s'en viennent après [à l'établissement] - ils ne savent pas."

Même s'ils n'arrivaient pas toujours à expliquer exactement ce qu'il fallait, les jeunes du pavillon Young Eagles comprenaient aussi bien que les travailleurs de première ligne présents au Rassemblement que l'aide postpénale est primordiale si l'on veut garder les gens hors des établissements et loin du système de justice pénale.

"Je connais des jeunes qui sont allés en prison. Ils ne savent pas quoi faire quand ils sortent. Tout ce qu'ils veulent, c'est y retourner."

Ces jeunes comprennent très bien que si on grandit dans un milieu malsain il faut autant de temps pour redevenir sain qu'il en a fallu pour devenir malade. Ceux qui comprennent aussi cela, au plus profond d'eux-mêmes et mieux que quiconque, ce sont les délinquants.

Qu'est-ce que les délinquants ont à dire?

Outre les propos émis par les jeunes du pavillon Young Eagles, une discussion a eu lieu entre deux hommes de la maison de transition Circle of Eagles. L'un d'eux a déjà travaillé au projet Partners in Healing, tandis que l'autre venait tout juste d'obtenir son semi-liberté. Comme dans le cas des jeunes, ils ont confirmé beaucoup d'idées exprimées au cours du Rassemblement.

"Pour que cela marche, vous devez y mettre tout votre cour. Vous devez sincèrement vouloir qu'on vous aide. Par exemple, un type peut ne pas s'être occupé de ses enfants, mais il peut vouloir et pouvoir donner quelque chose à son tour."

Même si, pour ces hommes, l'idée que des délinquants viennent en aide aux jeunes est bonne, ils considèrent qu'elle peut être mal utilisée si elle n'est pas supervisée convenablement.

"Si vous faites appel à des types qui sont dans un établissement à sécurité minimale, vous devez vous demander pourquoi ces types veulent faire ce travail. Tentent-ils de sortir le plus tôt possible en essayant de se faire un bon dossier? S'efforcent-ils de bien paraître juste pour sortir? Qu'est-ce qui va arriver si les jeunes deviennent dépendants de ces types et que ceux-ci cessent de s'en occuper quand ils vont sortir? C'est une question de confiance et de bonne foi."

De toute évidence toutefois, les commentaires des gens présents au Rassemblement permettaient de dissiper ce genre de crainte.

"Dans le cas du programme Partners in Healing, [l'Aîné] connaissait les individus et leur degré d'engagement." "Malgré tout, les avantages à retirer lorsque des individus plus âgés parlent à des jeunes sont supérieurs au risque couru."

Les intervenants ont aussi rappelé que les délinquants devaient régler leurs propres difficultés avant de pouvoir aider les jeunes.

"Il y a un travail qu'ils doivent faire en prison avant d'aller dans la collectivité."

Ces intervenants étaient évidemment en faveur des projets d'intervention des délinquants auprès des jeunes; ils croyaient que des personnes de différentes générations peuvent s'aider mutuellement et que la dynamique entre personnes d'âges différents peut produire des résultats valables.

"Les cercles de discussion sont utiles. [Ils] sont un moyen d'encourager ceux qui se conduisent bien. Dans un cercle de discussion composé de personnes qui ont toutes le même âge, il peut arriver que certains tentent de jouer la comédie devant leurs semblables. Quand les membres d'un cercle sont d'âges différents, ils peuvent connaître différents points de vue et apprendre des choses différentes. Les gens sont plus portés à s'ouvrir, à parler d'eux-mêmes et à raconter ce qui les tracasse. C'est un processus où personne ne fait la leçon aux autres. C'est plutôt un échange. Dans ce genre d'échange, les gens peuvent se rendre compte qu'ils ont vécu des expériences semblables. C'est réconfortant. [On] apprend à être responsable de soi. [On] apprend le plaisir de donner aux autres et de faire quelque chose pour eux."

De toute évidence, les gens de la maison de transition Circle of Eagles étaient en faveur des projets d'intervention des délinquants auprès des jeunes.

"Les gars peuvent apporter le témoignage de leur expérience personnelle et donner une idée des choix et de leurs conséquences, des raisons de leurs choix, de leur comportement irrationnel."

En conclusion, un commentaire bouleversant a bien montré pourquoi les projets d'intervention des délinquants auprès des jeunes pouvaient avoir des effets positifs dans la vie de tous ceux qui y participent :

"Suivre des programmes comme la maîtrise de la colère et le développement des aptitudes cognitives, c'est bien, mais il doit bien y avoir un moyen de les suivre sans aller en prison."

Le contexte

Le syndrome de l'alcoolisation fotale

Une bonne part des problèmes qu'éprouvent les jeunes Autochtones est lié au fait que leur mère a consommé de l'alcool durant la grossesse. C'est pourquoi la recherche des moyens que les collectivités peuvent mettre en ouvre pour venir en aide à ces jeunes exige que l'on tienne compte du syndrome de l'alcoolisation fotale (SAF). Le SAF et ce qu'on avait l'habitude d'appeler les effets de l'alcoolisation fotale (EAF), mais qu'on appelle couramment maintenant les troubles du développement liés à l'alcool (TDLA), peuvent provoquer des problèmes graves, parfois difficiles à identifier, comme des troubles de l'apprentissage et un comportement social anormal.

La plupart des enfants qui souffrent du SAF ou de TDLA ont de la difficulté à maîtriser leurs impulsions. Cette inaptitude peut se traduire par un comportement sexuel anormal, une déficience du jugement dans différents autres domaines ou le besoin fréquent d'être ramené à l'ordre. Ce type de conduite chez les jeunes leur cause souvent des ennuis avec le système de justice pénale.

Le SAF et les TDLA sont les principales anomalies congénitales évitables au Canada, et elles sont évitables à 100 p. 100. Les chercheurs ont observé que même un seul épisode d'ivresse au cours du troisième trimestre de la grossesse était suffisant pour endommager rapidement les cellules en développement du cerveau du fotus. Cela démontre toute l'importance d'informer les mères et de multiplier les programmes de prévention et de traitement de l'alcoolisme.

Convaincu de l'importance des premières années de l'enfance dans le développement à long terme de l'individu, le gouvernement du Canada a pris la décision de consacrer une somme de 2,2 milliards de dollars aux paiements de transfert aux provinces et territoires (de 2000 à 2005) pour l'amélioration des programmes de développement de la petite enfance. Comme le SAF et les TDLA jouent un rôle primordial dans les problèmes de santé des enfants, un récent budget fédéral a prévu une initiative visant à sensibiliser davantage les femmes enceintes et à améliorer les services qui leur sont offerts. Cette initiative doit notamment apporter une plus grande aide aux familles autochtones du Canada. Cette aide a pour double but de sensibiliser le public et de fournir des services aux personnes qui souffrent du SAF ou de TDLA. On peut obtenir plus de renseignements sur ces services d'aide en communiquant avec Santé Canada.

Le traitement des jeunes qui souffrent du SAF est d'autant plus difficile que ceux-ci possèdent souvent une bonne compétence en expression orale. C'est une caractéristique que les autres utilisent pour juger des aptitudes intellectuelles. Mais à cause des symptômes du SAF ou des TDLA, ces jeunes ont un comportement nettement inférieur aux attentes, si l'on se fie seulement aux apparences. Souvent, le jeune et les personnes de son entourage sont régulièrement frustrés en raison des attentes déraisonnables qui ne peuvent être satisfaites.

Comme les personnes souffrant du SAF ou de TDLA éprouvent des problèmes particuliers qu'on ne comprend pas toujours, ceux qui s'occupent des jeunes doivent mieux connaître les conséquences de cette déficience incurable. Certains pavillons de ressourcement ne peuvent pas accueillir les individus souffrant du SAF ou de TDLA parce qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires - il faudrait leur donner de l'information sur les fonds fédéraux prévus pour leur venir en aide (voir ci-dessus). Apprendre aux femmes qu'elles ne doivent pas boire d'alcool durant leur grossesse doit devenir une priorité pour tous les membres de la collectivité. Le jumelage de programmes de guérison traditionnels et de programmes ordinaires à l'intention des gens souffrant du SAF ou de TDLA est un moyen de leur montrer d'une façon positive qu'ils sont uniques. L'acquisition d'une formation professionnelle plutôt que d'une formation scolaire semble certainement plus efficace, car elle leur permet de devenir des membres productifs de la collectivité plutôt que des participants malheureux du système de justice pénale.

Quand on travaille avec de jeunes Autochtones, il faut parvenir à reconnaître les symptômes du SAF ou des TDLA et trouver le meilleur moyen de s'occuper de ceux qui manifestent ces symptômes. Bien que ces déficiences soient incurables, cela ne signifie pas que ces individus sont sans valeur. Judicieusement conseillées, les personnes atteintes du SAF ou de TDLA et celles qui vivent et travaillent avec elles peuvent canaliser leurs énergies de telle manière que tous soient moins déroutés par ces déficiences et puisent une force dans les qualités uniques de ceux qui sont atteints. C'est une leçon importante pour les délinquants, les Aînés, les organismes et les collectivités appelés à aider les jeunes exposés au risque.

Les travaux de recherche

Au Rassemblement, un participant a déclaré : "La recherche devrait nous éclairer sur les points que les jeunes contrevenants ont en commun, ce qui nous permettrait de savoir dans quel secteur nos efforts de prévention seront les plus utiles."

Pour donner suite à cette suggestion, nous avons examiné quelques études qui offrent un point de vue intéressant sur ce sujet.

Le 10 mai 2000, la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada a réalisé dans l'ensemble du pays une étude intitulée One Day Snapshot of Aboriginal Youth in Custody. Cette recherche contient des statistiques qui nous indiquent où les jeunes vivaient avant de commettre leurs infractions, où ils les ont commises et où ils avaient l'intention d'aller vivre après leur mise en liberté. Les données de cette étude sont importantes non seulement pour le gouvernement, qui peut ainsi savoir où il doit affecter ses ressources, mais aussi pour le personnel de première ligne, qui peut savoir où ses énergies sont le mieux utilisées.

Les données de cette étude proviennent des villes, municipalités et réserves de chaque province et territoire du Canada. Les jeunes appartiennent aux groupes des Premières nations (75 p. 100), des Métis (16 p. 100), des Inuits (3 p. 100) et des Inuvialuits (2 p. 100). Quatre pour cent des jeunes visés par cette étude n'étaient pas en mesure de dire à quel groupe autochtone ils appartenaient. La majorité des délinquants (82 p. 100) étaient des jeunes hommes. La plupart des jeunes avaient commis leurs infractions en milieu urbain; seulement 17 p. 100 des infractions avaient été commises dans une réserve.

Les résultats de l'étude qui révèlent que les crimes ont été commis en majeure partie en milieu urbain et par des jeunes contrevenants de sexe masculin montrent que les programmes qui ont été offerts ou qui continuent d'être offerts visent la bonne cible.

Une autre étude, résumée dans The Youth, a été parrainée par les Native Counselling Services of Alberta. Dans cette étude, les jeunes expliquent ce qui les a détournés du crime. Il ne fait pas de doute qu'apprendre à assumer ses responsabilités est une notion autour de laquelle gravitent les réflexions de ces jeunes hommes, tout comme celles des participants du Rassemblement.

Il est important aussi de faire connaître aux membres non autochtones de la collectivité les traditions autochtones. Si les policiers comprennent la signification culturelle de certains actes, il est probable qu'ils adopteront une attitude de coopération plutôt que d'opposition. La société non autochtone dans son ensemble aurait peut-être une attitude plus ouverte si elle comprenait pourquoi les Autochtones ont besoin de cette aide.

"C'est important d'enseigner les médecines aux gens, pour éviter qu'elles soient mal utilisées."

C'est tout aussi important que les membres de la communauté autochtone, et plus particulièrement les jeunes, connaissent les traditions et les médecines. Parfois, les gens qui ont grandi hors des collectivités autochtones ont besoin d'être informés parce qu'ils savent peu de chose à propos de leur culture. Ce genre d'enseignement, en plus d'aider ceux qui apprennent, contribue à guérir ceux qui le donnent.

Au Rassemblement, cette question a été soulevée. Un participant a déclaré : "Nous devons nous concentrer sur les enseignements traditionnels et laisser aux jeunes le temps d'assimiler ces enseignements."

Carol LaPrairie, dans son ouvrage fort innovateur intitulé Visibles mais sans voix : les Autochtones dans la ville, souligne que "l'interaction de certains facteurs permet de prévoir jusqu'à quel point les individus auront des démêlés avec le système de justice pénale" (LaPrairie, p. xiv, TRADUCTION). En effet, certains facteurs comme la durée de la période de vie dans la ville (plus cette durée est longue, plus le risque est élevé), ajoutés au manque d'instruction et de compétences professionnelles, font en sorte que certaines personnes risquent plus que d'autres d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale.

En ce qui concerne les gens qui vivent dans les réserves, LaPrairie a constaté qu'il n'y avait pas vraiment de demi-mesure. Contrairement à ce que l'on peut croire, il existe des classes sociales dans les réserves et elle a observé que "les gens qui vivent dans les réserves sont très à l'aise ou très pauvres, probablement à cause de la concentration du pouvoir" (ibid., p. xiv, TRADUCTION). Les participants du Rassemblement étaient d'accord avec elle sur ce point, mais seulement en partie, car pour plusieurs la vie selon les traditions est un moyen tout aussi bon de garder les individus dans la bonne voie.

LaPrairie conclut que "le système de justice pénale n'est pas un échec pour tous les Autochtones pas plus qu'il n'est un échec pour tous les non-Autochtones. Le problème, c'est qu'il est un échec pour les Autochtones dans une plus grande proportion, tout simplement parce que ceux-ci risquent de s'y retrouver en plus grand nombre" (ibid. p. xvii, TRADUCTION). Cette vulnérabilité résulte de facteurs comme la toxicomanie et le manque d'instruction et de compétences professionnelles, dont la cause est un milieu de vie complètement dépourvu de tout soutien. Sur ce point, LaPrairie et les participants du Rassemblement se rejoignent, parce que tous ces milieux de vie, qu'ils soient ruraux ou urbains, ont besoin d'un développement communautaire intensif et constant. Par conséquent, pour réduire la proportion d'Autochtones qui ont des démêlés avec le système de justice pénale, il faut connaître et satisfaire les besoins intellectuels, affectifs, spirituels et physiques de cette population. Et ces besoins sont aussi bien ceux des enfants que ceux des adultes.

Tenir ce raisonnement, c'est reconnaître, comme d'autres l'ont fait dans le passé, que l'hypothèse d'un conflit culturel, plus particulièrement en ce qui concerne la justice pénale, est simplement un écran de fumée servant à cacher les vrais problèmes, bien qu'il puisse aggraver les difficultés qui existent déjà. Dans un domaine connexe, les opinions émises par les participants du Rassemblement ne correspondent pas aux conclusions formulées dans un grand nombre de travaux de recherche. Certains de ces travaux, en effet, laissent entendre que toute cette question s'explique par la marginalité socio-économique, qu'il s'agisse des Noirs des États-Unis ou des Autochtones du Canada. Cette affirmation est difficilement compatible avec une idée formulée au Rassemblement, selon laquelle un contact plus étroit avec les traditions autochtones et une meilleure connaissance de celles-ci peuvent mener à la guérison.

Carol LaPrairie examine deux croyances qui, malgré leur fausseté, ont une influence prépondérante sur les politiques de la justice pénale. Selon ces croyances, la plupart des crimes commis par les Autochtones ont lieu dans les réserves et les Autochtones sont tous également susceptibles d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale. La première croyance vient du fait que l'on confond les notions de réserves et de Premières nations. La deuxième vient du fait que l'on considère l'ensemble des Autochtones comme un groupe homogène, sans tenir compte de la stratification économique et sociale qui caractérise presque toute collectivité d'une certaine importance. Ces croyances orientent les politiques gouvernementales sur une voie qui non seulement est improductive, mais qui risque aussi de provoquer des conséquences néfastes, car si les ressources sont utilisées d'une manière qui va à l'encontre du but recherché, les problèmes se multiplient à la source.

Dans Visibles mais sans voix, l'auteure montre que la tendance à considérer que les Autochtones sont tous semblables constitue un obstacle majeur à une politique efficace en matière de justice et d'intervention sociale. La raison en est que les gens qui éprouvent les besoins les plus graves sont les moins capables de les exprimer, tandis que les puissants groupes politiques et de pressions autochtones ont des plans d'action qui ne s'intéressent pas beaucoup aux individus vivant dans les quartiers démunis des grandes villes canadiennes.

Selon LaPrairie, presque tous les Autochtones les plus démunis ont été victimes d'une forme quelconque, et souvent de plusieurs formes, de mauvais traitements. Le dépistage des victimes de mauvais traitements qui présentent un risque élevé permettrait qu'on leur vienne en aide avant qu'elles aient des démêlés avec la justice. Ce qui complique la situation, c'est que les gens qui comprennent les difficultés des jeunes et des adultes ne veulent pas subir personnellement ces difficultés et quittent donc dès qu'ils le peuvent ce milieu malsain et instable.

Cette observation ramène directement sur le tapis la nécessité de stimuler le développement communautaire, car plus une collectivité est saine, plus les gens souhaitent y demeurer. Quand ces gens restent dans la collectivité, ils sont plus en mesure d'aider les individus en difficulté à devenir plus sains. Ainsi, un ex-détenu viendra s'établir dans une collectivité où il sait qu'il peut obtenir de l'aide et il pourra, à son tour, participer à un programme visant à aider les jeunes à éviter la voie qu'il a suivie.

Les actes négatifs forment une réaction en chaîne. Les mauvais traitements peuvent entraîner des problèmes affectifs, des difficultés de concentration, une formation insuffisante, donc des aptitudes professionnelles insuffisantes, la toxicomanie, le désespoir, donc des démêlés avec le système de justice pénale. Il est toutefois possible de rompre plusieurs maillons de cette chaîne et plus on rompt de maillons, plus la chaîne devient faible et moins l'individu risque de se retrouver dans le système de justice pénale. Ou alors, comme le rappelle Carol LaPrairie, "la société peut mettre en place des initiatives de lutte contre le crime et de résolution des problèmes sociaux et intervenir ainsi après le fait, mais il serait plus humain, plus efficace et moins coûteux de prévenir ces problèmes avant qu'ils n'arrivent" (ibid. p. 94, TRADUCTION).

La plupart des ex-détenus ont affirmé à LaPrairie que leur situation serait meilleure s'ils pouvaient compter sur de solides appuis avant même d'être remis en liberté dans une ville. L'aide dont ils ont besoin pourrait notamment consister en programmes offerts dans les établissements. Certains programmes, comme ceux qui portent sur les traditions autochtones, ont permis d'aider les frères et les sours incarcérés à trouver l'équilibre. Par contre, on a encore peu examiné la possibilité de recruter parmi les délinquants les plus stables des individus qui pourraient s'occuper des jeunes et les aider à éviter de commettre les mêmes erreurs, ce qui, par la même occasion, aiderait ces délinquants à guérir.

L'Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition montre que l'âge moyen des délinquants autochtones à l'admission est inférieur à celui des délinquants non autochtones (p. 41). De plus, on y apprend que la proportion de délinquants autochtones incarcérés est plus élevée que celle des délinquants non autochtones (ibid., p. 43). Ces statistiques, considérées dans l'optique de l'analyse de Carol LaPrairie, font ressortir la nécessité de trouver d'autres moyens d'intervention que ceux qui ont été utilisés jusqu'à maintenant. Si l'on venait en aide plus tôt aux jeunes Autochtones, il y aurait peut-être moins d'Autochtones adultes dans le système de justice pénale canadien.

L'Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition indique aussi que 80 p. 100 des délinquants autochtones sous responsabilité fédérale purgent une peine pour une infraction avec violence (ibid., p 47), ce qui démontre que cette situation est urgente, surtout si l'on considère que le nombre de délinquants autochtones dans les collectivités est en hausse (ibid., p. 49). Cette dernière statistique est probablement attribuable, du moins en partie, à l'augmentation du taux de libérations conditionnelles accordées aux délinquants autochtones sous responsabilité fédérale (ibid., p. 61). La libération conditionnelle peut être une mesure très efficace lorsque le délinquant a fait des efforts en vue de sa guérison et que la collectivité où il retourne est prête à l'accueillir.

Conclusion

Les personnes qui se sont réunies sur le territoire de la Première nation Goodstoney en février 2002 l'ont fait parce qu'elles avaient le souci d'améliorer la vie des gens de leur peuple et de toute la population. Tout au long de ce texte, j'ai utilisé le mot délinquants afin que le lecteur comprenne de qui je parle, mais au cours du Rassemblement, on a parlé de ces hommes et de ces femmes en les appelant frères et sours, pour bien montrer qu'ils appartiennent aux peuples autochtones du Canada et qu'ils sont des êtres humains à part entière.

Au cours de ces quatre journées de février, nous avons compris que le succès est une chose bien relative.

"Un frère avait été incarcéré pour un crime horrible. Tout ce qu'il voulait, c'était de purger sa peine pour payer son dû à la société. En prison, les programmes pour Autochtones et la cérémonie de la suerie lui ont permis de se familiariser avec notre culture. Les programmes enseignent comment utiliser la colère d'une façon différente. Ce frère a suivi son plan correctionnel. Après avoir changé sa vie complètement dans l'établissement à sécurité moyenne, il a été transféré dans un établissement à sécurité minimale. Après avoir passé des mois dans l'établissement à sécurité minimale sans commettre d'infraction à la discipline, il s'est mis en colère contre un gardien. Il a donc été transféré de nouveau dans un établissement à sécurité moyenne. Ce frère a expliqué qu'il avait simplement mis en pratique les moyens qu'on lui avait enseignés dans les programmes. Quand on m'a rapporté cette affaire, j'ai dit qu'il avait bien agi - à une autre époque, il aurait tué le gardien.

La guérison est un très long cheminement. Quand un frère a des ennuis, il faudrait que toutes les personnes participant à son processus de guérison se réunissent en cercle avant qu'on envisage de le transférer dans un établissement à niveau de sécurité plus élevé. Dans le cas particulier de ce frère, le système a dépensé beaucoup d'argent pour qu'il suive des programmes et lui a permis de faire des progrès incroyables, puis il l'a laissé tomber pour une simple dispute."

Par où faut-il commencer si l'on veut garder les jeunes loin du système de justice pénale? Comme dans toute chose, il faut commencer par le début.

Le Rassemblement avait la chance de compter un Aîné cri parmi ses participants. Même s'il ne s'exprimait pas dans un langage compris par tous, la puissance de ses paroles a subjugué toute la salle. Voici la traduction de ses propos sur les enfants : "Nos enfants sont comme le peuplier blanc. Ils subissent l'influence de leur milieu. À mesure qu'ils grandissent, il faut qu'on leur transmette de bonnes valeurs. Si la famille et la collectivité ne leur proposent pas de bons modèles, ils vont aller en chercher ailleurs."

Peu importe à quelle nation les gens appartenaient, l'éducation des enfants était l'une de leurs principales préoccupations.

"Quand nous sommes dans le sein de notre mère, il y a beaucoup de choses fixées d'avance, et de la naissance à trois ans, beaucoup de choses sont aussi fixées d'avance. Si [les enfants] vivent dans la colère et la violence, c'est difficile de changer ça. Il y a beaucoup d'incompréhension parce que les gens ne regardent pas d'où nous venons, comme personnes ou comme peuple."

Les participants du Rassemblement comprennent, et ils veulent aussi que tout le pays comprenne, qu'il faut du temps pour guérir. Si vous vous cassez un bras, il faudra plus de temps pour le guérir qu'il en a fallu pour le casser. Pour que le délinquant puisse guérir, il est important que celui-ci et la collectivité où il retourne apprennent à se faire mutuellement confiance.

"Les délinquants ont souvent de la difficulté à gagner la confiance de la collectivité, à cause de ce qu'ils ont fait. [Les délinquants] se conduisent bien quand ils sont sobres, mais quand ils recouvrent la liberté et qu'on ne leur fait pas confiance, ils retombent dans leurs vieilles habitudes. Les Aînés disent que si on commet une faute, c'est parce qu'on a quelque chose à apprendre, alors il faut poursuivre ses efforts."

"Les ex-détenus devraient avoir la possibilité de participer à quelque chose comme un programme de grand frère ou de grande sour, parce que [normalement] c'est un choix qui ne leur est pas offert à cause de leurs infractions."

Lorsqu'un tel mouvement sera lancé, les résultats pourraient être très positifs. Voici le témoignage d'un ex-détenu qui a mis de l'ordre dans sa vie et qui maintenant vient en aide à d'autres délinquants et aux jeunes:

"Quand j'ai fait ma demande de libération conditionnelle, j'ai décidé que je n'allais pas chez moi pour retomber dans mes habitudes de toxicomane, je voulais m'en débarrasser là. Quand j'ai dit ça à la Commission, on m'a refusé la libération conditionnelle. Peu de temps après, j'ai reçu une lettre d'un détective de l'endroit me disant que je devrais retourner dans ma collectivité d'origine parce qu'ils avaient déjà assez de criminels comme ça. Je lui ai écrit à mon tour pour lui dire qu'il pourrait m'accepter ici en liberté conditionnelle ou quand je sortirais en liberté d'office, mais que je restais ici parce qu'ici seulement je pouvais apprendre à vivre avec mes habitudes de toxicomane. Si je retournais chez moi, je devrais vivre aussi avec les problèmes de ma famille. Le détective m'a écrit de nouveau et m'a dit ' Bienvenue à [nom de la collectivité]. J'ai gardé longtemps ces lettres. Bien des années ont passé et nous nous saluons encore dans la rue."

Le fait que ce groupe ait discuté de nouvelles possibilités ne veut pas dire qu'il n'y a pas de bons programmes à l'heure actuelle. Il y en a, mais ils sont rares et à de longs intervalles.

"Parfois, les écoles font des demandes. Personne n'est choisi. On leur dit simplement qu'il y a une demande. Nous essayons d'enseigner la responsabilité, une façon de redonner la liberté - pas comme la prison, qui fait le contraire. Les gens font une demande pour venir à [pavillon de ressourcement] parce qu'ils éprouvent le besoin de trouver l'équilibre. Il arrive beaucoup de bonnes choses aux pavillons de ressourcement et on dit toujours aux participants, avant leur départ, qu'ils peuvent revenir demander de l'aide au personnel."

Les personnes présentes au Rassemblement ont affirmé que s'il y avait une chose qui devrait résulter de cette rencontre, ce serait que les gens communiquent mieux, surtout entre groupes.

"Il n'y a pas longtemps, j'ai assisté à une réunion d'une association de femmes, où nous avons discuté des mêmes questions qu'ici, mais nous avons de la difficulté à communiquer avec elles."

Pour répondre à ce besoin de communication, on a dessiné le diagramme suivant pour montrer à tous à quoi la situation ressemblerait si tous les cercles de guérison du pays communiquaient les uns avec les autres de manière à former un seul grand cercle. S'il y parvenai, ça ressemblerait à ceci :

Cercles
Description de l'image

Le diagramme ci-dessus représente un groupe de petits cercles disposés en cercle, qui est lui-même entouré d'un plus grand cercle composé de petits cercles. Le diagramme visait à montrer aux participants à quoi la situation ressemblerait si tous les cercles de guérison du pays communiquaient les uns avec les autres de manière à former un seul grand cercle.

"Nous devons travailler tous ensemble en cercle, avec les détenus, les Aînés, l'équipe de gestion des cas, les services correctionnels communautaires, nos frères et nos sours, les familles et les collectivités. De cette manière, nous saurons très bien d'où vient cet esprit. Nous pourrons aussi donner à l'individu les moyens dont il a besoin pour guérir sur le plan spirituel, mental, physique et affectif, de sorte que l'esprit puisse retourner dans la collectivité, que celle-ci lui donne de l'amour et qu'il donne de l'amour aux autres. Une fois qu'une relation s'est formée, le cercle tout entier devrait continuer de savoir ce qui arrive à ce frère ou à cette sour."

Les délinquants peuvent-ils aider les jeunes à éviter une vie malsaine? Un ex-détenu a très bien répondu à cette question : "Nous avons vécu ça. Nous l'avons éprouvé. Nous l'avons vécu. Nous pouvons les comprendre."

Bibliographie

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