Trajectoires criminelles de jeunes de l'Ontario qui ont fait l'objet d'une décision judiciaire

Question de recherche
Numéro 8 - Octobre 2012

Question :

Quelles sont les tendances à long terme liées à l'activité criminelle, et quels sont les facteurs associés au parcours criminel des délinquants adolescents de l'Ontario?

Contexte :

Au cours des 15 dernières années, l'accumulation et l'approfondissement des recherches sur les parcours criminels ont permis d'obtenir une compréhension plus détaillée et exhaustive des trajectoires criminelles (c.-à-d., le point de départ précis du comportement criminel, sa fréquence, son intensification et la renonciation à ce comportement au cours de la vie d'un délinquant). Par ailleurs, on comprend maintenant mieux le rôle et l'incidence des principaux facteurs de risque sur le développement d'un comportement antisocial et criminel.

Les recherches ont permis de constater que les délinquants forment une population diversifiée, tel que démontré par la variabilité de leur taux d'activité criminelle au fil du temps et la durée de leur parcours criminel. La majorité des jeunes qui ont des démêlés avec la justice présentent un taux de délinquance très faible, certains renonçant à leurs activités criminelles quelques années après leur première comparution devant un tribunal. En revanche, un petit pourcentage de jeunes délinquants poursuivent une longue carrière criminelle et commettent un grand nombre de crimes et d'infractions plus graves.

Malgré les connaissances plus avancées, les recherches canadiennes sur les parcours criminels sont relativement rares. La présente étude est une exception qui vise à accroître les connaissances actuelles : (1) des trajectoires criminelles des jeunes délinquants au Canada; (2) des divers facteurs qui font en sorte que ces jeunes présentent un risque de poursuivre une carrière criminelle. Les nouvelles connaissances permettront d'éclairer la conception de programmes de prévention en vue d'éloigner de la criminalité les jeunes qui présentent un risque élevé d'y adhérer.

Méthode : L'étude de la trajectoire criminelle de l'échantillon de Toronto est un projet continu de collaboration en matière de recherche qui vise à étudier les parcours criminels de jeunes de l'Ontario qui ont fait l'objet d'une décision judiciaire. L'échantillon se compose de deux  sous-échantillons dans lesquels est répartie la population entière de 764 garçons délinquants qui ont purgé une peine de garde en milieu fermé à Toronto, en Ontario, entre le 1er janvier  1986 et le 30 décembre 1997.

Au départ, un sous-échantillon de 378 jeunes, soit l'échantillon A, a été sélectionné au hasard aux fins de l'étude. Un suivi des activités criminelles de ces jeunes pendant 12,1 ans en moyenne, de la première comparution consignée devant un tribunal jusqu'en mars  2001 a été effectué. Puis, la période de suivi pour cet échantillon a été prolongée jusqu'en septembre  2007 (18,7 ans en moyenne). Les 386 autres délinquants constituaient le deuxième sous-échantillon, soit l'échantillon B. Un suivi des activités criminelles de ce groupe pendant en moyenne 16,4 ans, de la première comparution consignée devant un tribunal jusqu'en septembre  2007 a été effectué.

Les données sur l'activité criminelle proviennent de diverses sources, notamment les dossiers criminels fédéraux et provinciaux ainsi que les rapports tenus par le centre de santé mentale pour enfants. L'activité criminelle a été mesurée en fonction du nombre, par tranche d'âge, de comparutions devant un tribunal découlant de nouvelles accusations (selon les dossiers officiels).

Un schéma de codage exhaustif a été élaboré afin de consigner les variables clés de l'enfance (de 0 à 12 ans) et de l'adolescence (de 13 à 18 ans) en provenance des dossiers des jeunes conservés par le centre de santé mentale pour enfants qui administrait les deux foyers collectifs. Ces facteurs de risque appartenaient à quatre grands domaines (c.-à-d., personnel, familial, pairs et scolaire).

Afin d'examiner les trajectoires criminelles des deux sous-échantillons au cours de plusieurs périodes de suivi et d'isoler les facteurs de risque associés aux groupes de délinquants présentant des taux élevés d'infractions et des comportements chroniques, deux types d'analyses statistiques ont été utilisés pour cerner : (1) les délinquants qui suivaient une trajectoire criminelle semblable au cours de leur vie; (2) les facteurs de risque durant l'enfance et l'adolescence qu'affichaient les membres de chaque groupe de trajectoires.

Résultats :

De façon similaire à ce que l'on trouve dans la littérature, des variations ont été observées, dans les trois ensembles d'analyses, entre les délinquants affichant des taux élevés, modérés et faibles d'infractions, et le nombre de groupes de trajectoires augmentait lorsque les périodes de suivi étaient plus longues. Un petit nombre de délinquants étaient responsables d'un nombre disproportionné d'infractions, et la majorité des jeunes renonçaient à la délinquance avant le milieu de la vingtaine. Plus précisément, les deux tiers environ de chaque sous-échantillon étaient considérés comme présentant des taux faibles d'infractions, alors que les groupes de délinquants présentant des taux élevés d'infractions et des comportements chroniques représentaient moins de 10 % des délinquants pour les trois ensembles d'analyses.

Il y avait beaucoup de chevauchements entre les facteurs de risque durant l'enfance et l'adolescence associés aux groupes de délinquants présentant des taux élevés d'infractions et des comportements chroniques. Les facteurs les plus significatifs et importants appartenaient généralement à deux domaines : (1) le domaine personnel (comportement antisocial précoce, hyperactivité, impulsivité, inattention); (2) le domaine familial (familles désunies et/ou transitions familiales, criminalité de la famille, prise en charge par des tiers). Par exemple, le développement précoce d'un comportement antisocial et la prise en charge par des tiers augmentaient le risque d'appartenir à un groupe de délinquants à long terme affichant des taux élevés ou modérés d'infractions, comparativement à un groupe présentant des taux faibles d'infractions. Dans le même ordre d'idées, l'expérience d'une famille désunie et/ou de transitions familiales à l'enfance et/ou à l'adolescence prédisait l'appartenance à un groupe de délinquants présentant des taux élevés ou modérés d'infractions et des comportements chroniques, par rapport à un groupe affichant des taux faibles d'infractions.

Répercussions :

  1. Pour être efficaces, les politiques et les programmes du système de justice pénale concernant l'incarcération, l'intervention et la réadaptation devraient tenir compte des diverses dimensions de la carrière criminelle des délinquants (c.-à-d., le taux d'infractions, la durée de la trajectoire, ainsi que le type et la gravité des infractions commises et le moment de la perpétration).
  2. On peut s'attendre à une période limitée d'activité criminelle de la part de la majorité des jeunes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale. La compréhension des facteurs de renonciation constitue une question de recherche cruciale qui mérite que l'on s'y attarde.
  3. Pour éviter ou prévenir les cheminements développementaux qui mènent vers une vie de criminalité, il faut concentrer davantage d'efforts sur l'identification précoce, la prévention et l'intervention auprès des jeunes qui présentent des risques de suivre un long parcours de délinquance grave. Ces jeunes comparaissent souvent devant les tribunaux, commettent des infractions graves et violentes et posent le plus de difficultés pour le système de justice pénale. Cependant, les délinquants à long terme présentant des taux modérés d'infractions peuvent aussi être la cible première des interventions de réadaptation du système de justice pénale; ces interventions devraient cibler les facteurs personnels et psychosociaux qui peuvent pousser les jeunes dont les taux d'infractions sont modérés, à continuer activement à mener une vie de criminalité.
  4. L'approfondissement des connaissances sur les facteurs de risque associés aux taux élevés d'infractions et aux comportements délinquants chroniques est important. Ceci permettra d'élaborer des programmes de prévention et d'intervention précoce efficaces et ciblés visant à réduire les effets des facteurs de risque sur les enfants et les jeunes à haut risque.

Source :

Day, D. M., Nielsen, J. D., Ward, A. K., Rosenthal, J. S., Sun, Y., Bevc, I., Duchesne, T., Rossman, L. et Samuels, S. (2012). Trajectoires criminelles de deux sous-échantillons de jeunes de l'Ontario qui ont fait l'objet d'une décision judiciaire. Rapport de recherche du CNPC. Ottawa (Ontario), Sécurité publique Canada.

Pour de plus amples informations:

Lucie Léonard
Centre national de prévention du crime
Sécurité publique Canada
269, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0P8
Téléphone : 613-957-6362
Courriel : Lucie.Leonard@ps-sp.gc.ca

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