Examen des politiques et des pratiques policières dans le Mi’kma’ki – Les voies qui mènent à des relations policières positives

Avis

Sécurité publique Canada a financé ce projet dans le cadre de la réponse intérimaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Les conclusions et les opinions sont celles de(s) auteur(s) et les personnes qui participent au projet.

Rapport par L. Jane McMillan avec Pam Glode-Desrochers, Paula Marshall.

Sommaire

Les peuples autochtones et leurs relations avec les services de police ont fait l’objet de nombreuses enquêtes et commissions, notamment : l’enquête Marshall (1989), la Commission d’enquête sur la justice pénale et les autochtones du Manitoba, (1991), la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), Stonechild (2004), la Commission d’enquête sur Ipperwash (2007), la Commission d’enquête de la Commission des services de policiers de Thunder Bay (2018) ainsi que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées (2019) et la Commission d’enquête Viens (2019), pour n’en nommer que quelques-uns. Toutes ces enquêtes font ressortir de graves lacunes systémiques et une discrimination raciale au sein du système de justice en général et au sein des services de police en particulier.

En collaboration avec le Mi’kmaw Legal Support Network (MLSN) et la Mi’kmaw Native Friendship Society (MNFS), cette recherche comprenait des méthodologies axées sur l’action participative communautaire. Cette collaboration a été conçue pour éclairer les politiques et transformer les pratiques policières au profit des collectivités autochtones. L’objectif de la recherche d’avoir un effet bénéfique direct sur la sécurité et le bien-être des femmes et des filles autochtones en mettant en avant les expériences des participants et les priorités souhaitées et en les présentant aux décideurs.

Le projet comprenait les tâches suivantes : la mise sur pied d’une équipe de recherche; la présentation réussie d’une demande au conseil d’éthique de recherche de l’Université Saint-Francis-Xavier; une revue détaillée de la documentation et des documents des études antérieures; un exercice de cartographie des arrangements actuels en matière de services de police, y compris les ententes communautaires tripartites entre les bandes des Premières Nations et les services de police municipaux et de la GRC; une série de 15 entrevues avec des intervenants clés et des experts en la matière; et dix cercles communautaires de collecte et de partage des connaissances dans les collectivités micmaques de la province, dans les réserves et hors réserve, y compris à Halifax.

Entre juin et décembre 2019, quinze entrevues ont été réalisées en personne et au téléphone avec des intervenants et des experts en la matière (fournisseurs de services de première ligne; dirigeants politiques, y compris les chefs, le conseil de bande et les membres du grand conseil des Micmaques; fournisseurs de services micmacs, provinciaux et fédéraux, anciens et actuels agents de police autochtones et d’autres agents d’application de la loi; personnes qui aident les familles de femmes et de filles disparues et assassinées; unité de liaison en matière d’information familiale de la Nouvelle-Écosse; fournisseurs de services de santé de proximité; personnel des services aux victimes des Micmaques; personnel d’Elizabeth Fry; anciens détenus; agents de libération conditionnelle et de probation et agents de liaison de police). Les entrevues visaient à a) évaluer les pratiques exemplaires actuelles en matière de services de police et d’actifs communautaires pour les services de police, b) déterminer les secteurs problématiques et les lacunes en matière de ressources dans les services et les pratiques de police, c) tabuler les priorités des collectivités autochtones pour améliorer les relations policières et d) mettre en lumière des solutions communautaires concrètes pour réduire la violence faite aux femmes et aux filles.

Entre août et décembre 2019, dix cercles de collecte et de partage des connaissances ont eu lieu. Les cercles de partage ont eu lieu dans des endroits partout dans la province qui convenaient aux participants (deux au Mi’kmaw Legal Support Network et au Mi’kmaw Friendship Centre d’Halifax, Membertou, deux rassemblements à Eskasoni, Wagmatcook, Paqtnkek, Sipekne’katik, Millbrook et We’koqma’q). Les rassemblements étaient conçus pour : a) déterminer les actifs communautaires, b) cerner les lacunes en matière de service et c) générer des priorités communautaires pour améliorer les relations policières à l’intérieur et à l’extérieur des réserves en Nouvelle-Écosse. Les participants aux cercles de partage ont relevé des lacunes et exploré des possibilités de pratiques exemplaires fondées sur la culture pour réduire le racisme, le sexisme et la discrimination dans les services de police. Les séances ont été enregistrées sur support audio avec la permission des participants, afin de rendre possible une analyse exacte après la séance. L’animation a été offerte à titre de contribution en nature par la MNFS et le MLSN. Toutes les séances organisées comprenaient des cérémonies d’ouverture et de clôture, de purification, de prière et de fête. Les services de traduction ont été fournis par le Mi’kmaw Legal Support Network au besoin.

Les questions posées lors des entrevues et des cercles de partage ont été générées avec le Mi’kmaw Legal Support Network et le Mi’kmaw Friendship Centre en consultation avec les Aînés et les membres du comité consultatif communautaire. Dans les cercles, nous avons généralement demandé :

  1. Quelles sont vos expériences (positives et négatives) des services de police?
  2. Quels sont les principaux défis que vous aimeriez que l’on relève?
  3. Quels sont les enseignements les plus importants que nous pouvons partager avec Sécurité publique Canada pour l’aider à fournir des services de police sûrs sur le plan culturel?

Chaque collectivité du Mi’kma’ki, dans les réserves et hors réserve, est unique, et cette diversité doit être prise en considération au moment de l’élaboration et de la mise en œuvre de services de sécurité, de la réparation des torts et de la protection. Les réalités démographiques, géographiques, politiques, économiques, culturelles et sociales de chacune des 13 collectivités des Premières Nations du Mi’kma’ki et des populations vivant dans des centres urbains comme Halifax ont une incidence sur les types de services de police et de services désirés et requis.

Nos constatations concordent avec celles du Comité d’experts sur les services de police dans les communautés autochtones :

La compréhension globale de la sécurité et du bien-être dans les communautés autochtones exige une réflexion multidimensionnelle, y compris la prise en compte des facteurs sociaux et culturels. Cette compréhension rend possible l’adoption d’approches policières qui reflètent les vues holistiques de la sécurité et du bien-être déjà ancrées dans les cultures autochtones. Les services de police dans les communautés autochtones s’inscrivent dans un contexte juridique et politique complexe, marqué par l’importance croissante accordée à l’autodétermination des Autochtones et la nécessité de reconnaître leurs droits et leurs lois. Bien que des efforts aient été déployés au cours des dernières décennies pour améliorer les services de police dans les communautés autochtones du Canada, beaucoup continuent de se voir offrir des services qui ne répondent pas à leurs besoins en matière de sécurité et de protection.

Dans les communautés autochtones et non autochtones, les moyens les plus prometteurs de promouvoir la sécurité et le bien-être reposent sur les relations entre la police, les autres prestataires de services et les membres de la communauté. Les approches efficaces fondées sur les relations sont dirigées par la communauté et offrent à la police l’occasion d’aider à mobiliser ses membres et de gagner leur confiance. Les occasions de changement commencent par l’offre de choix substantiels pour la mise en place d’ententes sur les services de police compatibles avec l’autodétermination. Ces choix nécessitent des ressources permettant la durabilité et pouvant être favorisées par des réformes systémiques, en phase avec les besoins des communautés autochtones sur le plan de la sécurité et du bien-êtreNote de bas de page 1.

Dans les populations urbaines comme dans les réserves, la confiance était le terme le plus couramment employé dans tous les cercles de partage. Il subsiste une profonde méfiance envers les services de police. L’équipe de recherche a été frappée par le nombre de personnes touchées par les tragédies qui se sont produites dans leur famille immédiate. Un nombre important de participants avaient des membres de leur famille qui avaient disparu ou qui avaient été assassinés. Bon nombre de ces participants ont expliqué, en détail, leur perception selon laquelle les services de police n’ont pas su protéger les membres de leur famille et ni n’ont mené d’enquête adéquate, ni n’ont résolu les crimes perpétrés contre ces personnes. Le mécontentement était omniprésent, peu importe l’âge, le sexe, l’orientation spirituelle, la langue et l’orientation économique et politique. Les gens s’inquiètent également de la capacité des agents de faire face aux réalités vécues de la vie dans les réserves et du fait que le niveau actuel de ressources visant à améliorer la santé et le mieux-être par la collaboration n’est pas suffisant pour optimiser la prestation de services ou pour promouvoir les initiatives de justice communautaire.

Presque universellement, les participants ont affirmé avoir une plus grande confiance envers les agents autochtones et de meilleurs rapports avec eux, qu’ils soient micmacs ou viennent d’une autre communauté. Il existait une profonde impression que la nature des services de police a changé au fil du temps et qu’il y a une certaine distance par rapport aux services de police communautaire du passé et que les gens aimeraient observer un retour aux services de police communautaires avec des services supplémentaires comme des navigateurs en santé mentale sur appel, des espaces sûrs et des mesures de soutien pour signaler les crimes et les plaintes, une transparence et une communication accrues, une présence visible et la participation aux événements communautaires et aux programmes de covoiturage et de mentorat.

Les membres des collectivités veulent que la police travaille plus souvent avec les jeunes et les écoles pour offrir une formation sur la sécurité publique, la prévention du suicide et la sensibilisation à la lutte contre la drogue. Les camps de chasse à l’orignal lancés par un groupe d’agents de la GRC des Micmacs ont connu un grand succès, mais le fardeau financier repose sur les fonds de la bande et cela ne résout pas les iniquités. Les conseils de bande et les fournisseurs de services veulent de meilleurs programmes pour les jeunes, une plus grande compétence culturelle, des délais d’intervention plus courts et des enquêtes approfondies, ainsi que des mises à jour régulières sur les enquêtes, et ils considèrent le tout comme un droit. Les collectivités favorisent clairement les agents qui mettront en place des wigwams et qui travailleront avec les enfants.

Les priorités de la plupart des collectivités comprennent une préparation et une formation culturelles approfondies avant de venir travailler dans la Première Nation. Les participants veulent qu’il y ait des agents parlant le micmac qui comprennent les obstacles sociaux et systémiques auxquels leurs membres font face, y compris la pauvreté, la toxicomanie, les traumatismes intergénérationnels, la discrimination systémique et la violence interpersonnelle, ainsi que les nombreuses aspirations de guérison et de bien-être au sein de la collectivité. Ils veulent que les agents vivent dans la collectivité. Ils n’aiment pas que les agents traitent les services de police comme un « travail de 9 h à 16 h, quittent la collectivité en fin de journée et oublient cela. Nous devons vivre ici. » Dans tous les cercles de partage, les gens ont exprimé leur frustration face à la nature transitoire des services de police. « Alors même que nous apprenons à connaître quelqu’un et à lui faire confiance, il est transféré. » Certaines bandes sont disposées à fournir des logements aux agents dans le cadre des ententes communautaires tripartites.

En plus du fait pour les agents de vivre dans les réserves, les collectivités souhaitent qu’il y ait des programmes d’orientation des agents où les nouveaux agents sont encadrés par des agents aimés qui peuvent les présenter à la collectivité. De nombreuses personnes ont suggéré d’organiser des cérémonies d’accueil pour les agents, et tout le monde a convenu que la police devrait faire le tour de la collectivité pour rencontrer les Aînés et apprendre d’eux, ces derniers pouvant contribuer à former les agents d’une façon anti-partisane qui est éclairée par la culture.

Les participants à cette recherche ont discuté de la sous-protection et de la surpolice et ont expliqué les expériences de discrimination systémique et de racisme en abordant les sujets suivants : rapports, communication, gestion de cas, usage de la force, visibilité, rapidité d’intervention et efficacité. La formation sur les compétences culturelles et l’autochtonisation ne sont que des solutions partielles à ces problèmes. La majorité des participants aimeraient observer un retour à la police tribale, pourvu qu’elle dispose de ressources suffisantes.

Les participants ont reconnu que de graves obstacles structurels entravaient la mise en œuvre des recommandations de l’enquête Marshall, de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées ainsi que l’exercice de leurs droits issus de traités. Les obstacles exprimés étaient les suivants : un profond manque de connaissances sur les droits issus de traités autochtones; l’omission d’identifier et de respecter la nation micmaque; et le déni par les colons de la légitimité de la gouvernance et des principes juridiques des Micmacs dans la gestion de leurs terres et de leurs ressources. Les critiques des collectivités micmaques ont mis en lumière une discrimination systémique insidieuse. En ce qui concerne l’élaboration de politiques, il est important de garder les conséquences historiques de la colonisation et les circonstances contextuelles de la résurgence autochtone et les droits à l’autodétermination à l’avant-plan, de sorte que l’engagement et la collaboration communautaires soient respectueux, significatifs et produisent des changements substantiels et égalisants.

Ensemble, les appels à l’action de la CVR, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées et les recommandations de l’enquête Marshall créent une base sur laquelle bâtir un changement systémique. Le Mi’kma’ki compte de nombreux actifs, comme le Mi’kmaw Friendship Centre et le Mi'kmaq Legal Support Network et leurs réseaux d’alliés, d’experts et de détenteurs de connaissances, dont Sécurité publique peut s’inspirer s’il est déterminé à établir des relations de collaboration pour encourager, maintenir et favoriser un dialogue honnête et ouvert. Les services de police du Mi’kma’ki ont besoin d’une infusion importante de soutien et d’une collaboration globale afin de pouvoir offrir des services durables, réactifs, cohérents et sécuritaires aux collectivités, aux délinquants, aux victimes et aux familles, en harmonie avec les principes juridiques et la gouvernance des Micmacs. Avec le mandat du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile consistant à élaborer conjointement avec la ministre des Services aux Autochtones un cadre législatif pour les services de police des Premières Nations – ce cadre reconnaissant les services de police des Premières Nations comme un service essentiel – et de travailler avec les collectivités intéressées pour accroître le nombre de collectivités desservies par les services de police des Premières Nations, les problèmes systémiques décrits par les participants à cette recherche peuvent être abordés et un service de police décolonisé peut devenir réalité dans le Mi’kma’ki.

Remerciements

Un grand merci à Pam Glode Desrochers et au personnel (Mi'kmaw Native Friendship Centre) et à Paula Marshall et au personnel (MLSN) pour leur soutien et leur contribution considérables à ce travail. Nous sommes reconnaissants envers tous les membres des collectivités qui ont participé à l’étude et partagé leurs réflexions de façon si réfléchie et ouverte dans nos cercles, envers les Aînés pour leur sagesse et leurs enseignements cérémoniels, envers les traiteurs pour la savoureuse victuaille et envers le personnel de soutien qui a contribué à faire des cercles de partage des endroits sûrs. Merci à Kashya Young, Cheyla Rogers, Devann Sylvester, Scott Lekas, Tammy Williams et à tous les membres de la Nova Scotia Native Women’s Association et à Elizabeth Fry pour l’aide incroyable qu’elles nous ont apportée pour nous permettre de nous rassembler et d’entendre les voix et d’apprendre des expériences. Merci beaucoup à tous les agents de police actuels et anciens pour leurs pistes de réflexion. Merci notamment à Don Clairmont pour son inspiration continue et à Daniel Cunningham, de Sécurité publique, pour son soutien. Merci aux bureaux des subventions financières et de recherche de l’Université Saint-Francis-Xavier. Welalioq.

1. Introduction

Le personnel du Programme de contributions à l’élaboration de politiques de Sécurité publique Canada a lancé en 2018 le programme de recherche « Examen des politiques et des pratiques policières en ce qui concerne les peuples autochtones », qui s’inscrivait dans la réponse du Canada à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). À l’automne 2018, Daniel Cunningham, analyste, Division de la politique de la politique des Autochtones à Sécurité publique Canada, a communiqué avec L. Jane McMillan, Ph. D., membre du corps professoral de l’Université Saint Francis Xavier (StFX), et Pam Glode-Desrochers, directrice générale de la Mi’kmaw Native Friendship Society (MNFS), à Halifax, pour présenter une proposition visant à effectuer un examen des politiques et des pratiques policières qui ont une incidence sur les peuples autochtones vivant dans les réserves et hors réserve en Nouvelle-Écosse. [Traduction] « Le but de l’examen est de déterminer les comportements problématiques de la police qui peuvent prendre la forme de racisme, de sexisme, de discrimination ou d’autres comportements préjudiciables en vue de déterminer des pratiques exemplaires pour améliorer les relations entre les services de police et les peuples autochtonesNote de bas de page 2. »

Glode et McMillan ont communiqué avec Paula Marshall, directrice générale du Mi’kmaw Legal Support Network (MLSN), afin qu’elle se joigne à l’équipe et conçoive le projet.

Pam Glode-Desrochers, directrice générale de la MNFS, Paula Marshall, directrice générale du MLSN, et L. Kane McMillan (StFX) ont collaboré à diverses études d’impact sur les politiques, évaluations de programmes et activités de mobilisation des connaissances au cours de la dernière décennie, notamment : la publication Addressing Mi’kmaw Family Violence; une évaluation de la mise en œuvre et de l’efficacité des recommandations de l’enquête Marshall; l’étude Urban Aboriginal Wellbeing, Wellness and Justice: A Mi’kmaw Native Friendship Centre Needs Assessment Study for Creating a Collaborative Indigenous Mental Resiliency, Addictions and Justice Strategy; et un certain nombre de projets financés par le Forum tripartite portant sur l’application des règlements administratifs, les services de traduction et les stratégies d’intervention en matière de toxicomanie. Plus récemment, nous avons établi un partenariat sur L’nuwey Tplutaqan, une subvention financée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) visant à réunir plusieurs intervenants pour discuter des priorités communautaires en matière de recherche afin d’orienter la mise en œuvre des appels à l’action no 42 à 50 de la Commission de vérité et réconciliation sur la reconnaissance et la mise en œuvre des systèmes de justice autochtones et la création d’institutions juridiques autochtones. Notre mandat collectif (MLSN, MNFC, StFX) consiste à mener une recherche collaborative qui permettra de renforcer la capacité de recherche et la formation des Autochtones et qui bénéficiera directement aux collectivités autochtones en employant des méthodes d’action participative et de décolonisation.

Des relations policières positives sont essentielles pour les collectivités avec lesquelles nous travaillons. Après avoir été témoins directs des répercussions de la colonisation, des effets intergénérationnels des politiques de protection de l’enfance et des pensionnats, de la discrimination systémique et du racisme, de la condamnation injustifiée de Donald Marshall Junior et de nombreux incidents mettant en cause la police dans des situations de confrontation criminelle, civile, réglementaire et de traités, nous sommes bien placés pour examiner les politiques et les pratiques policières. Nous avons participé à la Commission de vérité et réconciliation (CVR) et à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), et nos travaux sont directement guidés par ces expériences et nos efforts visent à faire en sorte que les recommandations de toutes les enquêtes autochtones soient mises en œuvre. Dans le cadre de notre examen, nous offrons des points de vue communautaires afin d’améliorer les relations entre les services de police et les peuples autochtones et nous recensons des solutions concrètes pour réduire la violence contre les peuples autochtones, les hommes, les femmes, les filles et la communauté 2ELGBTQQIA afin de poursuivre les appels à la justice de l’ENFFADA et les appels à l’action de la CVR.

2. Méthodologie et conception de la recherche

Les peuples autochtones et leurs relations avec les services de police ont fait l’objet de nombreuses enquêtes et commissions, notamment : l’enquête Marshall (1989), la Commission d’enquête sur la justice pénale et les autochtones du Manitoba (1991), la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), Stonechild (2004), la Commission d’enquête sur Ipperwash (2007), la Commission d’enquête de la Commission des services de policiers de Thunder Bay (2018) ainsi que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées (2019) et la Commission d’enquête Viens (2019), pour n’en nommer que quelques-uns. Toutes ces enquêtes font ressortir de graves lacunes systémiques et une discrimination raciale au sein du système de justice en général et au sein des services de police en particulier.

Les conceptions et les techniques de recherche sociale qui assurent une documentation exhaustive et représentative, en particulier, sont considérablement prometteuses, surtout si elles sont fondées sur les connaissances autochtones sur la façon de prendre part à l’apprentissage, de participer aux conversations, de poser des questions et de consigner les expériences. En partenariat avec le Mi’kmaw Legal Support Network et la Mi’kmaw Native Friendship Society, les membres du projet Les voies qui mènent à des relations policières positives (L. Jane McMillan, responsable du projet) examinent les politiques et les pratiques policières dans les réserves et hors réserve partout en Nouvelle-Écosse. Le Mi’kmaq Legal Support Network (MLSN) est un fournisseur de services de justice autonome et non constitué en société qui exploite l’aide judiciaire à coûts partagés aux échelles fédérale et provinciale, le droit coutumier, les services aux victimes et d’autres programmes d’accès à la justice destinés aux peuples autochtones de toute la Nouvelle-Écosse. Le MLSN a des bureaux à Eskasoni, à Millbrook et dans la Municipalité régionale d’Halifax. Les besoins des clients du MLSN sont diversifiés, et les services sont fournis pour s’assurer que les peuples autochtones reçoivent un traitement égal et ne font l’objet d’aucune discrimination à aucune étape du contact avec le système de justice canadien. Par conséquent, des relations policières positives et une participation significative de la police sont essentielles à l’efficacité de la prestation du programme du MLSN.

La Mi’kmaw Native Friendship Society (MNFS) offre des programmes structurés et axés sur la société à l’usage et au profit des Autochtones vivant en milieu urbain afin de promouvoir l’avancement éducatif, culturel et économique des peuples autochtones. De plus, elle collabore avec le gouvernement et d’autres organisations pour assurer une compréhension mutuelle et une relation positive entre les peuples autochtones et les autres peuples. La MNFS facilite les programmes de réinsertion sociale des détenus, les audiences de libération conditionnelle assistées dans la collectivité, les services aux victimes, l’éducation de la petite enfance, le logement, les programmes d’apprentissage des adultes et une foule de services culturels. Le centre est situé à Halifax, à deux pâtés de maisons du quartier général de la police régionale d’Halifax.

En collaboration avec le Mi’kmaw Legal Support Network et la Mi’kmaw Native Friendship Society, cette recherche comprenait des méthodologies axées sur l’action participative communautaire. Cette collaboration a été conçue pour éclairer les politiques et transformer les pratiques policières au profit des collectivités autochtones. L’objectif de la recherche d’avoir un effet bénéfique direct sur la sécurité et le bien-être des femmes et des filles autochtones en mettant en avant les expériences des participants et les priorités souhaitées et en les présentant aux décideurs.

Le projet comprenait les tâches suivantes : la mise sur pied d’une équipe de recherche; la présentation réussie d’une demande au conseil d’éthique de recherche de l’Université Saint-Francis-Xavier; une revue détaillée de la documentation et des documents des études antérieures; un exercice de cartographie des arrangements actuels en matière de services de police, y compris les ententes communautaires tripartites entre les bandes des Premières Nations et les services de police municipaux et de la GRC; une série de 10 entrevues avec des intervenants clés et des experts en la matière; et dix cercles communautaires de collecte et de partage des connaissances dans les collectivités micmaques de la province, dans les réserves et hors réserve, y compris à Halifax. À l’origine, huit cercles de collecte et de partage des connaissances étaient prévus, mais à la fin de novembre, l’équipe avait reçu des demandes pour tenir deux autres cercles : l’un dans la Première Nation de We’koqma’q, après le meurtre de Cassidy Bernard (2018), 22 ans, et un suivi très médiatisé de l’enquête policière et de l’arrestation un an plus tard (2019). Un autre cercle avec des femmes membres de la communauté ces centres d’amitié, qui ont fourni des pistes de réflexion supplémentaires sur les services de police en milieu urbain, a eu lieu le 19 décembre 2019. Grâce à la prolongation de l’entente de contribution, nous avons pu inclure ces séances de mobilisation importantes dans le présent rapport.

Entre juin et décembre 2019, quinze entrevues ont été réalisées en personne et au téléphone avec des intervenants et des experts en la matière (fournisseurs de services de première ligne; dirigeants politiques, y compris les chefs, le conseil de bande et les membres du grand conseil des Micmaques; fournisseurs de services micmacs, provinciaux et fédéraux, anciens et actuels agents de police autochtones et d’autres agents d’application de la loi; personnes qui aident les familles de femmes et de filles disparues et assassinées; unité de liaison en matière d’information familiale de la Nouvelle-Écosse; fournisseurs de services de santé de proximité; personnel des services aux victimes des Micmaques; personnel d’Elizabeth Fry; anciens détenus; agents de libération conditionnelle et de probation et agents de liaison de police). Les entrevues visaient à a) évaluer les pratiques exemplaires actuelles en matière de services de police et d’actifs communautaires pour les services de police, b) déterminer les secteurs problématiques et les lacunes en matière de ressources dans les services et les pratiques de police, c) tabuler les priorités des collectivités autochtones pour améliorer les relations policières et d) mettre en lumière des solutions communautaires concrètes pour réduire la violence faite aux femmes et aux filles.

Entre août et décembre 2019, dix cercles de collecte et de partage des connaissances ont eu lieu. Les cercles de partage ont eu lieu dans des endroits partout dans la province qui convenaient aux participants (deux au Mi’kmaw Legal Support Network et au Mi’kmaw Friendship Centre d’Halifax, Membertou, deux rassemblements à Eskasoni, Wagmatcook, Paqtnkek, Sipekne’katik, Millbrook et We’koqma’q). Les rassemblements étaient conçus pour : a) déterminer les actifs communautaires, b) cerner les lacunes en matière de service et c) générer des priorités communautaires pour améliorer les relations policières à l’intérieur et à l’extérieur des réserves en Nouvelle-Écosse. Les participants aux cercles de partage ont relevé des lacunes et exploré des possibilités de pratiques exemplaires fondées sur la culture pour réduire le racisme, le sexisme et la discrimination dans les services de police. Les séances ont été enregistrées sur support audio avec la permission des participants, afin de rendre possible une analyse exacte après la séance. L’animation a été offerte à titre de contribution en nature par la MNFS et le MLSN. Toutes les séances organisées comprenaient des cérémonies d’ouverture et de clôture, de purification, de prière et de fête. Les services de traduction ont été fournis par le Mi’kmaw Legal Support Network au besoin.

Les questions posées lors des entrevues et des cercles de partage ont été générées avec le Mi’kmaw Legal Support Network et le Mi’kmaw Friendship Centre en consultation avec les Aînés et les membres du comité consultatif communautaire. Dans les cercles, nous avons généralement demandé :

  1. Quelles sont vos expériences (positives et négatives) des services de police?
  2. Quels sont les principaux défis que vous aimeriez que l’on relève?
  3. Quels sont les enseignements les plus importants que nous pouvons partager avec Sécurité publique Canada pour l’aider à fournir des services de police sûrs sur le plan culturel?

Le fait d’être assis en cercle est un engagement cérémonial qui facilite un environnement non hiérarchique pour la mobilisation de la recherche. Ce fut un honneur d’être assis en cercle et témoins du partage qui s’est produit. Les gens ont généreusement raconté leur histoire dans ce rapport de recherche pour aider Sécurité publique à améliorer les relations policières, et c’est un honneur et une responsabilité immense pour l’équipe de recherche que de transmettre ces histoires. Les activités de collecte de connaissances représentaient des processus inclusifs et productifs au cours desquels les participants partageaient leurs points de vue généraux sur les relations policières et leurs expériences profondément personnelles des services de police dans divers contextes.

Les participants ont été désignés par les partenaires du projet, le Mi’kmaw Native Friendship Centre (MNFC) et le Mi’kmaw Legal Support Network (MLSN), aidés de la Nova Scotia Native Women’s Association. Parmi les participants, on trouvait des membres invités des collectivités, des membres de la famille de Micmacs disparus et assassinés, des Aînés, des fournisseurs de services autochtones, des conseils de bande, des agents de police et d’application de la loi et des membres d’organismes micmacs, comme la Nova Scotia Native Women’s Association, le Mi’kmaw Women’s Leadership Network, le Mi’kmaw Family Children Services, le Seven Sparks Healing Path Program (réinsertion des délinquants), la Membertou Men’s Society, l’Initiative améliorée pour les enfants et les familles, le comité d’intervention contre la violence sexuelle de Paqtnkek, des clients d’Elizabeth Fry et des personnes qui s’emploient à lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles.

Ensemble, les activités de cette conception de recherche ont donné un aperçu de l’histoire des services de police, une carte à jour des services de police et des politiques en place dans le Mi’kma’ki (Nouvelle-Écosse), un inventaire des programmes de formation en sécurité culturelle et une évaluation de ces programmes, et des récits d’environ 150 participants autochtones, dont la majorité sont membres de la nation micmaque, pour contribuer à cerner des pratiques exemplaires et informer la création d’outils et de ressources permettant de combler les lacunes en matière de prestation de services de police compétents et sûrs sur le plan culturel. L’équipe de recherche est profondément reconnaissante de la générosité et du courage de chaque répondant.Note de bas de page 3

3. Brève histoire des services de police dans le Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse, au Canada

Afin de comprendre le paysage actuel des politiques et des pratiques policières comme l’ont vécu les Micmaques et d’autres peuples autochtones, inuits et métis de la Nouvelle-Écosse, il est essentiel d’examiner les répercussions mondiales et locales de la colonisation, de la discrimination systémique et du racisme sur les peuples autochtonesNote de bas de page 4. Les services de police, le crime, la victimisation et l’incarcération des Autochtones ont fait l’objet d’études approfondies par la Commission royale sur la poursuite de Donald Marshall Jr. (1989), la Commission d’enquête sur l’administration de la justice au Manitoba (1991), la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), la Commission de vérité et réconciliation (2015), la Commission d’enquête de la Commission des services de policiers de Thunder Bay (2018), l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2019), la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (2019) et le Comité d’experts sur les services de police dans les communautés autochtones : Vers la paix, l’harmonie et le bien-être (2019). Ces enquêtes et bien d’autres indiquent que pour que les peuples autochtones puissent faire l’expérience de la justice, nous ne pouvons pas ignorer l’héritage colonial. Aux fins du présent rapport, la présente section donne un aperçu historique des relations précoloniales et coloniales dans le Mi’kma’ki afin de mieux comprendre le contexte de la présence policière excessive et de la sous-protection que les participants à l’étude ont déclaré avoir vécues.

Services de police avant la Confédération

Les peuples autochtones vivent dans le Mi’kma’ki, le territoire maintenant connu sous le nom des provinces de l’Atlantique, dont la Nouvelle-Écosse, depuis plus de 14 000 ans, selon les données archéologiques recueillies à Debert. Les premiers peuples ont développé un lien sacré avec leurs territoires et leurs ressources. Grâce à leurs liens avec la terre, ils ont produit des sociétés très complexes et innovantes dotées de lois, de culture, de religion et de gouvernance. Les coutumes et les valeurs qui gouvernent le comportement et les interactions, permettant aux gens de vivre, de travailler et de prospérer en tant que nations, étaient intégrées à toutes les facettes de la vie communautaire. Lorsque des problèmes survenaient, des mécanismes étaient disponibles pour gérer les différends, pour réintégrer les malfaiteurs dans la famille et la collectivité et pour rétablir les relations affectées. La responsabilité du maintien de la paix était collective; tout le monde avait un rôle à jouer dans la recherche d’une solution et la facilitation de la réconciliation : la survie communautaire en dépendait. Les pourparlers représentaient une stratégie clé; chaque personne qui choisissait d’y participer avait la possibilité de s’exprimer. Les Aînés et les chefs donnaient une orientation au moyen d’enseignements mettant en lumière les relations respectueuses. Les sanctions spirituelles et les rituels de purification favorisaient la guérison des dissensions entre les personnes, les familles et les collectivitésNote de bas de page 5.

Avant la domination coloniale, les Micmacs étaient bien outillés et bien adaptés à leur environnement. En plus de leur culture matérielle et de leurs stratégies en matière de ressources, pour assurer leur survie, ils avaient des modes de vie collective correspondants, imprégnés de culture, au sein de leurs environnements. La cohésion communautaire et le partage des valeurs étaient à la base de la transposition des enseignements culturels, par la voie des traditions orales micmaques. La façon de vivre correctement était d’abord transmise au sein des familles micmaques. Les adultes enseignaient aux enfants les règles et l’étiquette dans le ménage familial étendu, que les grands-parents et d’autres membres renforçaient. Les valeurs centrales, représentées aujourd’hui comme les « sept enseignements sacrés » reflètent les concepts de l’amour, de l’honnêteté, de l’humilité, du respect, de la vérité, de la patience et de la sagesseNote de bas de page 6. Les enseignements comprenaient des protocoles destinés à montrer aux enfants le respect envers leurs aînés et comment se comporter les uns envers les autres et comment honorer le monde qui les entoure. Les Micmacs avaient des idées sur ce qui devait être fait pour maintenir l’équilibre du monde et sur la façon de se traiter équitablement les uns les autres. Les normes sociales de la culture micmaque existaient sans la force constante des tribunaux, de la police ou d’autres expressions d’autorité de ce genreNote de bas de page 7.

Traités de paix et d’amitié

En raison de leur emplacement géographique, les Micmacs ont subi la plus longue période de colonisation. Leur contact soutenu avec les colons français et anglais a commencé au début des années 1600. Afin de mettre un terme à la perturbation des incursions des colons, les Micmacs ont conclu des traités de paix et d’amitié avec la Couronne britannique de manière à protéger leurs liens sacrés avec leurs territoires et leurs ressources. Les ententes visaient à faire en sorte que les nations autochtones puissent poursuivre leur organisation sociale et assurer leur subsistance sans être maltraitées. Résistant activement à l’expropriation de leurs terres et à l’ingérence des colons dans leurs affaires, elles signèrent entre 1725 et 1779 une série de traités avec les Britanniques, et tout au long du processus, ces nations soulignèrent qu’elles étaient les premiers habitants et les propriétaires légitimes des terresNote de bas de page 8. Mais les traités ont fait en sorte de modifier les anciennes techniques de gestion des différends des Micmacs. Une clause du traité de 1726 affirmait ceci : [Traduction] « En cas de malentendu, de querelle ou de blessure entre les Anglais et les Indiens, aucune vengeance privée ne sera prise, mais une demande de réparation sera faite conformément aux lois de Sa Majesté. » Lorsque les Micmacs ont signé les traités, les Britanniques ont supposé que les Micmacs se soumettraient à un processus judiciaire fondé sur l’État de droit et les peines britanniques. Pour avoir accès à la justice, les gens devaient porter plainte au gouverneur, le représentant du roi, qui était responsable de la médiation des différends avec les Micmacs. En 1749, Edward Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle-Écosse et homme connu pour sa brutalité, ouvrit une commission qui le fit, avec un conseil et une assemblée, le législateur de la colonie. En 1752, lorsque la Couronne signa un autre traité avec les Micmacs, celui-ci stipulait que tous les différends entre les Micmacs et les colons britanniques seraient jugés devant [Traduction] « les tribunaux de justice civile de Sa Majesté, où les Indiens auront les mêmes avantages et privilèges que tout autre sujet de Sa MajestéNote de bas de page 9 ». Les Micmacs, toutefois, continuèrent de résister à la domination britannique et, avec sagesse peut-être, évitèrent les tribunaux britanniques, car les Proclamations de scalpation offraient [Traduction] « une récompense de dix guinées pour chaque Micmac indien [sic] capturé ou tué »Note de bas de page 10.

À l’époque où le christianisme et l’alcool étaient largement disponibles dans la société micmaque, la nation était en crise en raison des baisses radicales de la population découlant des [Traduction] « maladies endémiques causées par des changements alimentaires suite au contact et au commerce avec les Européens du XVIe siècle »Note de bas de page 11. Les maladies contractées des Européens et la famine ont indubitablement déformé les pratiques culturelles. Le déclin rapide de la population a fait en sorte de dissoudre les réseaux de parenté, de perturber la succession politique et d’interrompre la mobilité saisonnière et les stratégies d’approvisionnement et de sécurité alimentaires. Les mécanismes de l’ordre social étaient perturbés parce que les porteurs de savoir étaient morts prématurément sans que leurs enseignements soient transmis aux générations suivantes et maintenus par celles-ci. Les lois des Micmacs se sont effondrées alors que la société de colons imposait ses règles et ses ordres sociaux en grande partie en criminalisant les modes de vie autochtones.

Au cours des deux derniers siècles, de nombreuses collectivités autochtones ont fait l’objet d’une surveillance excessive par l’intermédiaire de contacts élevés avec des agents fédéraux des Indiens faisant office d’agents de police, surveillant les actes de la vie quotidienne dans le cadre du programme de « civilisation indienne ». À la suite de la Proclamation royale de 1763, les principes de la mission civilisatrice étaient de protéger les colons, d’améliorer les conditions de vie et d’assimiler les peuples autochtones. La Proclamation royale de 1763 énonçait ce qui suit :

Attendu qu’il est juste, raisonnable et essentiel pour Notre Intérêt et la sécurité de Nos Colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus indiennes qui sont en relations [sic] avec Nous et qui vivent sous Notre Protection, la possession entière et paisible des parties de Nos Possessions et Territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ou quelques-unes d’entre elles comme territoires de chasseNote de bas de page 12.

Près de cent ans après la signature du premier traité de paix et d’amitié, le juge T.C. Haliburton a fait observer en 1823 que les Micmacs [Traduction] « ont parmi eux un code de lois traditionnelles et coutumièresNote de bas de page 13 ». Seulement deux affaires qui se sont effectivement retrouvées devant juge dans les années 1800 ont entraîné l’interdiction de la vente d’alcool aux Micmacs et protégé leur droit de chasser le marsouin. Cependant, les Micmacs qui ont eu recours au système de justice britannique pour protéger leurs terres ou leurs intérêts n’ont guère trouvé d’appuis. Faisant remarquer que les squatteurs avaient violé toutes les réserves de la Nouvelle-Écosse, sauf deux, H.W. Crawley, un commissaire indien du Cap-Breton en 1849, déclara ceci [Traduction] :

Dans les circonstances actuelles, il n’est pas possible d’obtenir une protection adéquate pour la propriété indienne. Il serait vain de demander à un jury sur cette île un verdict contre les intrus dans les réserves; et un membre du Barreau ne pourrait sans doute pas non plus défendre volontairement et efficacement la cause des Indiens, dans la mesure où il nuirait ainsi à ses propres perspectives en portant atteinte à sa popularitéNote de bas de page 14.

La plupart des sujets britanniques pensaient que les Autochtones étaient incapables de témoigner et de prêter serment devant les tribunaux parce qu’ils n’étaient pas « civilisés » et chrétiens. Les Micmacs n’étaient pas autorisés à prêter serment à leurs divinités, et les tribunaux faisaient fi de leur langue ou de leurs traditions orales. La preuve micmaque, si même elle était traduite, était généralement réduite à une déclaration écrite en anglais qui ne pouvait pas être lue et vérifiée par les témoins. Les Micmacs étaient sommés d’apposer leur marque (signature) sur les déclarations, peu importe l’exactitude.

Les Micmacs n’étaient pas passifs, loin d’accepter simplement les insuffisances du système juridique imposé. Bien au contraire : ils résistèrent de diverses manières, qu’il s’agisse de l’évitement, du refus de participer aux affaires judiciaires ou de la résistance active à l’aide de pétitions et de protestations. Pendant plus d’un siècle, les Micmacs présentèrent des pétitions aux représentants de la Couronne en Angleterre contre la violation britannique des traités, que les Micmacs qualifiaient de violations des relations sacrées. Les pétitions présentées en 1814, 1841, 1854 et en 1860 (et même en 1982) faisaient état de nombreuses infractions aux droits de l’homme et de nombreux cas de discrimination raciale, de vol de biens, de confiscation de terres et de violations de personnes. Elles soulignaient également l’extrême pauvreté et la mauvaise santé dans lesquelles vivaient les Micmacs à la suite de la colonisation britannique. Les pétitions sont restées en grande partie sans réponseNote de bas de page 15.

Assimilation par les forces de l’ordre à l’ère de la Confédération

À mesure que les populations de colons augmentaient, les populations autochtones au Canada étaient censées disparaître. La machine de colonisation, les lois, les politiques et les expériences reposaient en grande partie sur cette hypothèse. Conformément à cette volonté de se débarrasser rapidement du « problème indien », c’est-à-dire de former les peuples autochtones pour qu’ils soient comme des colons blancs, l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus indiennes dans la province, et de modifier les lois relatives aux Indiens reçut la sanction royale en 1857.  La loi visait à supprimer toute distinction juridique entre les peuples autochtones et les autres sujets de Sa Majesté, à faciliter l’acquisition de biens et, après une période de probation, à affranchir les personnes de « bon caractère moral et sans dette…qui ne seront plus considérées comme des SauvagesNote de bas de page 16 ». La loi définissait qui était un « Sauvage » et diminuait ainsi tout pouvoir communautaire de détermination de l’appartenance aux yeux de l’État. Elle déclencha un processus substantiel de suppression de la diversité autochtone. En 1859, l’Acte pour encourager la civilisation graduelle fut modifié pour y inclure d’autres « mesures de protection ». On y ajouta un article qui interdisait la vente, le troc, l’échange ou la remise à tout « Sauvage, homme, femme ou enfant, tout genre de liqueurs spiritueuses, de quelque façon que ce soit », à moins d’une ordonnance par un médecin.

L’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 comprenait au paragraphe 91(24) la disposition suivante selon laquelle les « Sauvages et terres réservées aux Sauvages » devaient être sous l’autorité législative du Parlement fédéral du Canada. Cela marqua l’institutionnalisation d’un fossé de compétence entre les responsabilités fédérales et provinciales, créant de nombreuses échappatoires où la reddition de comptes et la responsabilité disparurent. Cette approche en matière de compétence ne tenait nullement compte de la nécessité de respecter les obligations découlant des traités de paix et d’amitié de la Couronne et de la société des colons, et l’exclusion des traités nuisit considérablement aux droits et aux libertés des peuples micmacs. Le paragraphe 91(24) a eu une incidence importante sur l’évolution et la prestation des services de police aux peuples autochtones.

En 1869, le Canada adopta l’Acte pourvoyant à l’émancipation des Sauvages afin d’imposer une structure politique qui conférant au Parlement le pouvoir de retirer les capacités de prise de décision des collectivités autochtonesNote de bas de page 17. Les gouverneurs pouvaient destituer les dirigeants élus sans le consentement de la collectivité. L’influence des organes directeurs traditionnels précoloniaux, comme le grand conseil des Micmacs, des nations autochtones à l’échelle du pays fut donc déstabilisée et délégitimisée par la société de colons. L’étendue du pouvoir de ceux qui appliquent la loi et maintiennent l’ordre a augmenté et les services de police sont passés de constables nommés par les colons, des habitants de la région qui remplissaient un rôle civil de surveillance saisonnière, à des forces institutionnalisées, en uniforme et armées, quasi-militaires, conçues pour étouffer les rébellions et les émeutes et pour protéger les biens de l’État tout en patrouillant la frontière. Dans l’Ouest canadien, la Police montée du Nord-Ouest fut créée en 1873 en tant qu’organisation paramilitaire qui servait a servi [Traduction] « d’extension de l’autorité de l’État auprès d’une population civile ou autochtone dispersée ».

En 1876, le ministère de l’Intérieur du Canada consolida les lois relatives aux Indiens et en élargit la portée en codifiant les attitudes eurocentriques et racialisées d’ascendance patrilinéaire et d’économies terrestres axées sur l’agriculture dans le premier Acte des Sauvages.  Dans la définition des termes de l’article 12, le terme « individu » ou « personne » signifiait « un individu autre qu’un Sauvage, à moins que le contexte n’exige clairement une autre interprétationNote de bas de page 18 ». Par cette loi, le gouvernement déterminait qui était un Indien et quels Indiens pouvaient devenir citoyens. Toute femme indienne mariant toute autre personne qu’un Indien ou un Indien non lié à un traité cessait d’être indienneNote de bas de page 19.

Cette loi représentait une percée en matière de colonisation, un système d’administration imposé rapidement pour promouvoir l’assimilation qui touchait à toutes les facettes de la vie des peuples autochtones et qui fit en sorte de perturber des tissus culturels tissus au cours de milliers d’années. Souvent présentées comme une façon bienveillante d’administrer les peuples autochtones, les politiques ont légiféré en faveur de la discrimination, de la pré-confédération à la consolidation des dispositions législatives dans l’Acte des Sauvages de 1876 et par la suite. Au début des années 1880, plusieurs lois modifiant le premier Acte des Sauvages, par le ministère des Affaires indiennes nouvellement nommé, reçurent la sanction royale. Ces modifications s’ajoutaient à la liste des pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil et comprenaient la capacité de contrôler les produits autochtones comme le grain, les racines ou d’autres produitsNote de bas de page 20. Les agents des Indiens pouvaient interdire la vente et permettre la saisie de produits autochtones et imposer des pénalités pour leur achat. Chaque commissaire des Indiens, commissaire des Indiens adjoint, surintendant des Indiens, inspecteur des Indiens ou agent des Indiens fut déclaré officiellement juge de paix d’officeNote de bas de page 21.

Afin d’ajouter encore plus de restrictions, un nouvel article fut ajouté à la Loi, ayant une incidence sur la mobilité et l’utilisation des territoires traditionnels des Autochtones en réglementant l’utilisation des terres par la délivrance de licences aux membres de la bande par le surintendant général. Il devint illégal pour les peuples autochtones de chasser ou de vivre près de leur lieu de chasse, à moins d’être membres de la bande locale et d’avoir reçu un permis. Le surintendant général ou toute personne instruite qu’il nommait adjoint avait « les mêmes pouvoirs que ceux exercés pour l’exécution de mandats en matières criminelles » et pouvait expulser la partie et recouvrer auprès d’elle les frais associés à son expulsionNote de bas de page 22. Cette loi conduisit à la criminalisation des moyens de subsistance des Autochtones et créa les fondements de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire d’aujourd’hui.

En 1884, l’Acte conférant certains privilèges aux bandes les plus avancées des Indiens du Canada en vue de les former à l'exercice de pouvoirs municipaux est adopté par le Parlement reçut reçu la sanction royale le 19 avril. Cette loi, connue sous le nom d’Acte d’avancement des Sauvages, décrivait plus en détail les élections et les structures opérationnelles des conseils de bande. Les conseils étaient en mesure d’adopter certains règlements et certaines règles qui, s’ils étaient approuvés et confirmés par le surintendant général, avaient force de loi dans les réserves et s’appliquaient à toute personne qui y vivait. Les règlements englobaient la confession religieuse des écoles, les soins de santé, la paix et l’ordre dans les assemblées, la nomination des agents de police, la répression de l’emprise et de l’immoralité, la division des biens et des terres à usage commun, ainsi que l’entretien des édifices, des routes, de l’eau, des bois et des taxes. Les amendes perçues pour des infractions aux règlements devaient être versées à l’agent des Indiens, qui agissait également à titre de trésorier, pour l’usage de la bande.

D’autres modifications apportées à la Loi étaient conçues pour réprimer davantage les cultures autochtones en faisant de l’exercice des traditions juridiques autochtones, comme celles qui sont enchâssées dans les cérémonies, une infraction criminelle. L’article 3 de l’Acte pour amender de nouveau l’Acte relatif aux Sauvages, (1880) se lit comme suit :

Tout Sauvage ou autre personne qui participe ou assiste à la célébration de la fête sauvage désignée sous le nom de la « Potlatche », ou à la danse sauvage désignée sous le nom de « Tamanawas », est coupable de délit et passible d’incarcération, pour une durée d’au plus six mois et d’au moins deux mois, dans une prison ou autre lieu de confinement, et tout Sauvage ou autre personne qui encourage, directement ou indirectement, un Sauvage ou des Sauvages à organiser ou célébrer cette fête ou cette danse, ou à assister à la célébration de cette fête ou de cette danse, est coupable du même délit et passible de la même peineNote de bas de page 23.

La criminalisation de la spiritualité autochtone et les cérémonies de guérison, combinées aux effets des pensionnats et à d’autres politiques d’assimilation qui ont nui aux moyens de subsistance, eurent une profonde incidence négative sur les traditions juridiques autochtones et le bien-être culturel intergénérationnelNote de bas de page 24.

Alors que le gouvernement du Canada procédait à l’établissement du pays, des modifications furent ajoutées afin de retirer plus facilement les peuples autochtones s’ils étaient perçus comme des obstacles au e développement des villes, des routes et des chemins de fer. La réinstallation forcée des Micmacs se produisit dans de nombreux endroits de la Nouvelle-Écosse, y compris King’s Road à Sydney, comme l’ordonna le tribunal en 1916, et dans certaines régions d’Halifax. La police procédait à ses réinstallations.

Au début des années 1900, les agents des Indiens présentaient des rapports annuels donnant un compte rendu de l’état de la réserve, des statistiques de l’état civil, de la santé, des professions, de l’éducation, de la religion, des caractéristiques et du progrès et de la tempérance de la moralité. Les agents des Indiens du comté micmac formulaient des remarques générales qui comprenaient des déclarations comme [Traduction] « l’intempérance est freinée par les personnes les mieux intentionnées, aidées par la peur d’être exposées par la loiNote de bas de page 25 ». La loi et ses agents d’exécution n’étaient pas considérés comme des alliés des Micmacs : ils étaient l’ennemi. La Police de la Nouvelle-Écosse, l’organisme de police provincial de la Province, fut dissoute en 1932 lorsqu’elle fut remplacée par la Division « H » de la Gendarmerie royale du CanadaNote de bas de page 26.

Considérons un instant la violence, l’agression identitaire qui s’est produite par la criminalisation des moyens de subsistance, des systèmes de croyances et des réseaux de parenté. Des lois imposées par des étrangers eurent pour effet de restreindre la mobilité, d’inverser les rôles de genre, de diminuer la sécurité alimentaire, d’interrompre la sécurité culturelle, d’interdire les cérémonies, de miner les systèmes de connaissance, d’effacer la vie et la liberté et de déchirer les familles. Les peuples autochtones étaient systématiquement rayés de la société; leur présence était niée; leurs diversité extraordinaire, résilience et richesse culturelle devaient des éléments exotiques qui étaient passés sous silence dans l’histoire canadienne et dans l’éducation des générations à venir.

Les processus coloniaux étaient justifiés et fortifiés par les mythes des frontières, les concepts juridiques comme celui de terra nullius, la doctrine de la découverte et l’extinction, qui décourageaient tous les expressions autochtones de souveraineté et les droits humains autochtones. Les pensionnats servirent de principal mécanisme employé par les colons pour la protection de l’enfance autochtone au CanadaNote de bas de page 27. En Nouvelle-Écosse, le pensionnat indien (PI) de Shubenacadie ouvrit ses portes sous la direction du sous-ministre des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, en 1929Note de bas de page 28. Scott était d’avis qu’il y avait un « problème indien » et que la seule façon d’éliminer ce problème était une assimilation agressive. Les pensionnats sont maintenant reconnus comme des instituts de génocide culturel où les mauvais traitements physiques, la torture, la violence sexuelle et la famine étaient courants. Présentées comme des établissements bienveillants de la société de colons, les pensionnats visaient à détruire les réseaux de parenté, à interrompre la transmission des connaissances autochtones et à rendre honteuses les pratiques culturelles par un prosélytisme religieux vigoureux. Une modification apportée à la Loi sur les Indiens en 1920 rendit obligatoire la fréquentation des écoles parrainées par l’État (externats, pensionnats, instituts) pour les personnes âgées de 7 à 15 ansNote de bas de page 29. Plus de 2 000 enfants micmacs fréquentaient le pensionnat lorsque celui-ci ferma ses portes en 1968Note de bas de page 30. Environ 750 survivants directs et des milliers de descendants sont vivants aujourd’hui. Une modification apportée en 1951 à l’article 88 de la Loi sur les Indiens permit d’appliquer les lois provinciales sur la protection de l’enfance dans les réserves, ce qui entraîna une forte augmentation nationale des enfants autochtones pris en charge et marqua le début de ce qu’on appelle aujourd’hui la « rafle des années soixanteNote de bas de page 31 ».

Les réserves, les pensionnats et la « rafle des années soixante », créés pour accélérer l’assimilation, détruisirent les familles, les pratiques et les langues autochtones et constituèrent les actes les plus odieux jamais commis dans l’histoire canadienneNote de bas de page 32. D’autres conséquences de la colonisation ont fait en sorte de perturber les rôles de genre et de génération, et les femmes sont devenues la cible de violence, d’intimidation et de négligence, même dans les collectivités où elles détenaient jadis un pouvoir considérableNote de bas de page 33. Les forces policières du Canada étaient des agents clés qui exécutaient ces politiques d’assimilation pour le gouvernement en rassemblant les élèves pour les livrer au pensionnat, en pourchassant et en capturant ceux qui s’échappaient, en servant d’agents de surveillance pour les externats et en participant aux arrestations d’enfants pour les services sociauxNote de bas de page 34.  Les personnes qui ont contribué à ce projet se rappellent avoir été témoins d’actes traumatisants par les services de police qui ont fait en sorte de séparer violemment les familles et de nuire à leur subsistanceNote de bas de page 35.

Dans les années 1940, le Canada se mit à expérimenter avec le concept de la centralisation, un autre processus d’assimilation qui devait avoir des répercussions profondes et durables sur les familles micmaques en Nouvelle-Écosse. Le gouvernement fédéral décida de centraliser 19 collectivités micmaques existantes en deux endroits (Eskasoni et Sipenkne’katik). Les motifs étaient l’efficacité administrative, les économies de coûts et une meilleure surveillance et supervision, ce que motivait en partie la conviction persistante que des décennies de dépenses d’aide urgente par le gouvernement avaient été gaspillées et que l’assimilation nécessitait des services de police plus efficaces. Les rapports du gouvernement préconisaient la fusion des réserves dans des endroits centraux, un processus qui pourrait être financé par [Traduction] « la vente et l’aliénation de toutes les réserves actuelles qui ne conviennent pas à l’installation ou qui ne sont pas occupées par les Micmacs ». Afin de persuader les familles de déménager, les agents des Indiens les menacèrent de les mettre en prison, de leur imposer des amendes, d’appréhender leurs enfants, d’incendier leurs églises et de démolir leurs maisons. On leur promit de nouvelles maisons, écoles, églises et de nouveaux emplois s’ils partaient. Ces promesses ne se concrétisèrent jamais. L’estimation des liens de parenté devint faussée; le surpeuplement causa des problèmes sociaux et de santé; la crainte et la méfiance à l’égard de la police s’intensifièrent, tout comme le taux d’incarcération.

Dans le passé, les gouvernements fédéral et provinciaux ont fourni des services de police aux Premières Nations sans la participation des peuples autochtones. Les récits historiques relatant les relations entre les peuples autochtones et les services de police décrivent en détail les défis culturels, politiques, géographiques, sociaux, économiques et juridiques que posent le colonialisme et les conséquences de celui-ci, à savoir la discrimination systémique, le racisme, l’application des politiques d’assimilation et la production d’inégalités dévastatrices.

Au cours des décennies qui ont suivi la confédération, le Canada considérait que les services de police dans les collectivités des Premières Nations relevaient exclusivement de sa responsabilité conformément au paragraphe 91(24)Note de bas de page 36.  Au cours des 50 dernières années et plus, un changement de la position du Canada a fait en sorte que les services de police dans les réserves soient considérés comme une responsabilité conjointe avec les provincesNote de bas de page 37. Le coût du transfert aux provinces et aux municipalités de la responsabilité fédérale de la prestation des services et de la protection était, et demeure, une source de conflit. Souvent, la confusion des instances entraînant des services de police inéquitables, inefficaces, incohérents et sous-financés dans les réserves et hors réserve, et ce sont les membres des collectivités qui en souffraient.

Gendarmes de bande

Avant 1950, la GRC fournissait des services de police à tous les peuples autochtones et inuits. À la fin des années 1960, la GRC annonça son retrait des services de police dans les collectivités des Premières Nations de l’Ontario et du Québec, alors que les conseils de bande commençaient à gérer leurs propres affaires. La Circulaire 34, publiée le 28 avril 1969 et précisée par la suite par la Circulaire 55, décrivait le programme des gendarmes de bande d’Affaires indiennes et du Nord Canada (AANC).  Dans le cadre de ce programme, les bandes étaient autorisées à embaucher leurs propres gendarmes des Premières Nations, financés par AINC et généralement dirigés par le conseil de bande avec l’orientation de la GRC ou d’autres services de police provinciaux. Souvent, en travaillant en étroite collaboration avec le chef et le conseil d’une bande, les gendarmes spéciaux ne se limitaient pas aux règlements de la bande et pouvaient compléter, mais non remplacer, la police d’instance supérieure dans la région. L’option 3b, les initiatives Scout Venture et les initiatives de stagiaire d’été étaient conçues pour accroître le nombre d’Autochtones dans le service de police. Dans de nombreux cas, le gendarme de la bande était considéré comme étant d’un grade inférieur à celui de ses collègues non autochtones.

Dans le Mi’kma’ki, plusieurs bandes nommèrent un gendarme, et certaines d’elles se partageaient un gendarme. De telles nominations étaient accordées à des hommes de confiance qui avaient une bonne réputation dans les collectivités, parlaient la langue et étaient prêts à agir comme chauffeur de taxi ou à aider les gens à se procurer de la nourriture et à conseiller les personnes en deuil, à reconduire chez elles les personnes en état d’ivresse, en plus d’être habiles à la médiation des différends. Dans certaines collectivités, il était difficile de garder occupé le poste de gendarme de bande. Les collectivités étaient souvent dépourvues de services de police locaux à l’expiration des contrats de nomination, et la signature de nouvelles ententes était souvent tardive. Les gendarmes étaient fréquemment chargés de la tâche impopulaire de maîtriser les chiens. Les gens commencèrent à se plaindre que les crimes commis au sein des collectivités ne faisaient pas l’objet d’une enquête complèteNote de bas de page 38.

Malgré la présence des gendarmes de bande, les membres des collectivités entretenaient de plus en plus d’interactions avec la police municipale ou la GRC par l’application des interdictions prévues par la Loi sur les Indiens et d’autres pratiques de contrôle social, comme les lois sur le couvre-feu qui faisaient écoper d’une amende les parents dont les enfants étaient emmenés chez eux par la police s’ils étaient « pris » à l’extérieur après 19 h 30 du lundi au vendrediNote de bas de page 39. La police procédait à ce que les habitants appelaient des « rafles » dans la réserve : ils allaient chercher les adultes qui n’avaient pas payé leurs amendes, habituellement à la suite d’accusations d’ivresse publique, et ils les emmenaient à la prison du comté. Il arrivait parfois que les jeunes micmacs transforment en jeu leurs tourments causés à la police, ce qui entraînant souvent des pourchasses. On s’attendait à se faire violenter si on se faisait attraper. Lorsque des problèmes survenaient entre les colons et les Micmacs, la personne micmaque était celle que l’on tenait responsable. Les colons étaient été renvoyés chez eux; les Micmacs étaient envoyés en prison.

Les Micmacs ne connaissaient pas la représentation égale dans le système économique, politique ou d’éducation de la Nouvelle-Écosse. Au lieu de cela, les relations étaient marquées par la marginalisation et l’isolement à long terme, les préjugés et la discrimination – tous des symptômes de l’état d’esprit colonial selon lequel les Micmacs étaient représentés comme étant une sous-classe dangereuse et sans foi ni loi. Par exemple, les collectivités de Membertou et de Sydney étaient séparées sur le plan physique et aliénées sur les plans culturel et socialNote de bas de page 40. Une fois que les lois interdisant aux peuples autochtones d’acheter de l’alcool furent abrogées dans les années 1960 et à peu près au même moment où ces peuples obtinrent le droit de vote – et que les couvre-feu furent levés –, les Micmacs commencèrent à fréquenter les bars de la ville et à assister à des danses locales. Pourtant, la socialisation au-delà des frontières sociales et raciales était relativement rare.

Donald Marshall Junior et la police de Sydney

En avril 1971, le ministre des Affaires indiennes, Jean Chrétien, se rendit en avion à Sydney, en Nouvelle-Écosse, pour superviser une entente entre la Ville de Sydney et le ministère des Affaires indiennes et pour rencontrer les chefs et les conseils de l’Union of Nova Scotia Indians. Aux termes de l’entente, la Ville devait fournir les services de police et de protection contre les incendies, ainsi que s’occuper des rues, des égouts, de l’éclairage et de tous les autres services municipaux dans la réserve de Membertou. Le gouvernement fédéral devait payer les coûts des services. Il s’agissait d’une des premières ententes de ce genre au pays. C’est ce service de police qui mena à la poursuite injustifiée de Donald Marshall et à la peine d’emprisonnement à perpétuité pour un meurtre que ce dernier n’avait pas commis.

Donald Marshall était un garçon micmac de 17 ans de Membertou lorsqu’il fut accusé du meurtre de Sandy Seale, un jeune noir de 17 ans de Sydney Pier. Donald et Sandy s’étaient croisés à Wentworth Park, à Sydney, dans la nuit du 28 mai 1971. Peu après, ils ont rencontré deux hommes, une confrontation s’en suivit et les deux garçons furent poignardés par Roy Ebsary. Les blessures de Sandy Seale lui furent fatales. 

Les deux garçons venaient de bonnes familles. La mère de Donald était une vaillante travailleuse qui faisant l’entretien à l’hôpital St. Rita et dans des foyers de riches habitants de Sydney. Elle était une fabricante de paniers experte, une catholique dévouée et une survivante de la centralisation, et elle travaillait sans relâche à élever ses 13 enfants. Donald était le fils aîné du grand chef de la nation micmaque, Donald Marshall Sr. Le poste de grand chef est important et hautement respecté. Son père voyageait partout dans les Maritimes. Il possédait une entreprise florissante de cloisons sèches, jouait aux quilles dans les ligues de la ville et avait l’estime des Chevaliers de Colomb. Normalement, le poste de grand chef est héréditaire et le candidat idéal est considéré comme le fils aîné du chef. Mais c’était un poste que Donald Jr. ne put remplir parce que son incarcération injustifiée lui enleva la possibilité d’obtenir cet honneur coutumier.

Donald était un enfant typique. Il jouait au ballon, pourchassait les filles et faisait des bêtises, et il n’aimait pas tant l’école. Il parlait couramment le micmac et avait un emploi – il aimait aussi boire et se battre. La police de Sydney était hostile envers Donald et ses camarades. Plusieurs personnes ont parlé des fois où ils étaient forcés de rentrer chez eux par les policiers, qui n’étaient pas très désireux de pénétrer dans la réserve pour faire du travail de police, mais qui souhaitaient garder les enfants micmacs hors de la ville.

Quand les enfants des colons avaient maille à partir avec les enfants de la réserve, il était plus probable que les garçons de Membertou passent la nuit en prison tandis que les enfants blancs étaient renvoyés chez eux. La situation était tendue. La police municipale ou la GRC n’offrait pas de services de police communautaires. La police était source de peur : c’était elle qui allait chercher les gens et qui les emmenaient ailleurs – vers les pensionnats, vers la prison – pour de petites choses – comme le paiement d’amendes –, ou qui déchiraient les familles dans les cas d’appréhension d’enfants. La police ne comprenait ni la langue ni les pratiques culturelles et ne s’efforçait pas de les comprendre. Elle ne venait pas prendre le thé ou célébrer les événements communautaires – elle rôdait à la périphérie de la réserve, menaçante.

Pendant les onze années d’emprisonnement de Donald Marshall pour un crime qu’il n’avait pas commis, les relations policières et la perception des services de police dans le Mi’kma’ki ne se sont pas améliorées. Membertou avait encore un contrat avec la Ville de Sydney pour les services de police et la protection contre les incendies, mais le conseil de bande s’était régulièrement plaint auprès d’Affaires indiennes au motif que les services de police municipaux étaient inadéquats et ne respectaient pas leurs obligationsNote de bas de page 41. Dans le cadre d’un contrat semblable, le service de police de la Ville de Truro fut étendu à la Première Nation de Millbrook en 1973 afin d’assurer le remboursement des coûts estimatifs des servicesNote de bas de page 42.

Parmi les peuples autochtones à l’échelle du pays, on prenait de plus en plus conscience des droits, et à la suite de la résistance collective au Livre blanc de 1969, de nombreuses associations tribales se formèrent dans les années 1970. Les peuples autochtones du Canada organisaient des manifestations pour rappeler aux colons la nécessité de reconnaître les droits autochtones et d’honorer les terres autochtones. Les questions de police et de justice étaient une priorité élevée. Le peuple micmac voulait d’une meilleure protection et s’exprimait contre l’inégalité, l’itinérance, la dépendance vis-à-vis l’aide sociale, le manque d’accès à l’éducation et aux soins de santé ainsi que la discrimination qu’il avait subie de la part des services d’aide à l’enfance et de police. 

Le racisme et la discrimination persistaient toutefois, et les membres des réserves et hors réserve hésitaient à signaler les crimes ou à coopérer avec les organismes d’application de la loi de l’extérieur. Micmac Nation News, un journal mensuel, se mit à publier des articles d’information juridique sur ce qu’il faut faire quand on se fait aborder par la police et pour connaître ses droits pendant les perquisitions et les arrestationsNote de bas de page 43. Le journal rapportait également de nombreuses fusillades d’Autochtones par la police à l’échelle du paysNote de bas de page 44. Des titres comme « Piètres services de police à Membertou » ou « Discrimination??? » étaient monnaie courante dans le Micmac News parce que les collectivités estimaient que les demandes d’enquête étaient ignorées et que lorsqu’elles se présentaient effectivement devant les tribunaux, elles étaient traitées plus durement, leurs preuves étaient utilisées contre elles et elles recevaient des peines plus longues ou des amendes plus élevées que les personnes non autochtones pour les mêmes infractionsNote de bas de page 45.

Le programme de gendarmes spéciaux continua d’être offert dans les réserves de l’ensemble de la Nouvelle-Écosse dans les années 1970, mais il ne reçut pas reçu beaucoup de ressources. Les agents devaient utiliser leur propre voiture, n’avaient pas d’espace de bureau ni de bureau, et ils n’étaient pas armés. Plusieurs reportages font état des voies de fait subies par les gendarmes spéciaux.

Les gendarmes de bande étant incapables de répondre aux attentes de la collectivité, la méfiance envers la GRC s’exprimait simultanément par l’évitement, le non-signalement et la non-coopération pendant les enquêtes, ou encore par l’affrontement direct ainsi que par le vandalisme et les graffitisNote de bas de page 46. La GRC et les services de police municipaux réagirent aux conflits et à l’insatisfaction en essayant d’autochtoniser leurs forces.  Les efforts visant à améliorer le recrutement de membres autochtones firent en sorte que plusieurs gendarmes spéciaux fussent envoyés suivre une formation avancée au Collège de police maritime de l’Île-du-Prince-Édouard et à la Division Dépôt à Regina. La GRC commença à fréquenter les camps de jeunes pour tenter de créer des relations positives entre les jeunes et encourager ces derniers à entrevoir un avenir à titre d’agents de la loi.

En plus de siècles de domination coloniale et de traitement discriminatoire, la condamnation injustifiée de Donald Marshall eut une incidence considérable sur la perception des Micmacs à l’égard de tous les services de police. L’exonération de Donald Marshall fut la première fois que le Canada admettait qu’une condamnation pour meurtre était erronée sur la base des faits. La terrible facilité avec laquelle cette tragique erreur judiciaire se produisit et, en particulier, le rôle que joua le racisme dans la poursuite, a depuis résonné dans tout le système de justice pénale.

4. Mise en contexte du paysage actuel des services de police : De l’enquête Marshall à aujourd’hui

La poursuite injustifiée de Donald Marshall Jr. était en grande partie attribuable au fait qu’il était autochtone et qu’à ce titre, il était la cible d’une vision étroite par la police et d’un biais systémique dans l’ensemble du système de justice canadien. De nombreux facteurs ont contribué à la condamnation injustifiée de Marshall : la vision étroite de la police, les obstacles linguistiques, l’incompétence des avocats, les faux témoignages, l’intimidation des témoins, l’omission de divulguer des éléments de preuve, les erreurs judiciaires et le biais systémique. Il n’a pas été jugé par un jury de pairs. Il s’est vu refuser un procès équitable. Son appel présenté en 1983 a été entaché par le même racisme qui a infecté son procèsNote de bas de page 47.

Donald Marshall a fermement maintenu son innocence pendant ses onze années d’incarcération, mais il était piégé dans un système qui ne le relâcherait pas à moins qu’il admette sa culpabilité et manifeste des remords. Comment peut-on exprimer des remords pour un meurtre que l’on n’a pas commis? Dans son combat pour la liberté, Marshall a été soumis à une série d’obstacles, aggravant les erreurs judiciaires scandaleuses. Sa condamnation injustifiée, très médiatisée, a donné lieu à une enquête de la Commission royale d’enquête pour savoir ce qui s’était passé. L’enquête a révélé que l’indigénéité de Donald Marshall – le fait qu’il était micmac – était la cause fondamentale de la poursuite injustifiée de Marshall.

[Traduction] Le système de justice criminelle a failli à son devoir envers Donald Marshall Jr. pratiquement à toutes les étapes, de son arrestation et sa déclaration de culpabilité erronée pour meurtre en 1971, jusqu’à son acquittement par la Cour d’appel en 1983 et même par la suite.  Le caractère tragique de ces manquements est exacerbé par la preuve que cette erreur judiciaire aurait pu — et aurait dû — être empêchée, ou à tout le moins corrigée rapidement, si les divers intervenants du système s’étaient acquittés de leurs tâches d’une manière plus compétente, professionnelle ou les deux.  S’ils ne l’ont pas fait, c’est, en partie du moins, en raison du fait que Donald Marshall Jr. est un AutochtoneNote de bas de page 48.

L’enquête Marshall a révélé une faute au procès du procureur de la Couronne, de l’avocat de la défense et du juge du procès. La Couronne n’a pas divulgué les déclarations incohérentes de ses témoins. La défense n’a pas fourni de représentation professionnelle adéquate, n’a pas mené d’enquête indépendante, n’a pas tenu compte des éléments de preuve et n’a pas cherché à obtenir la divulgation. Le juge du procès a refusé à Donald Marshall un procès équitable en raison de l’effet cumulatif de décisions incorrectes, et une interprétation erronée de la Loi sur la preuve au Canada lui a coûté un acquittement. La Cour d’appel, l’avocat de la défense et l’avocat de la Couronne ont tous commis des erreurs lorsque M. Marshall a interjeté appel de sa condamnation, et la Commission a conclu qu’il y avait eu une violation grave de la norme de conduite professionnelle attendue.

Au cours d’une nouvelle enquête sur l’affaire en 1982, un renvoi en vertu du Code criminel a été présenté à la Cour d’appel, qui reprochait à M. Marshall sa condamnation injustifiée en tentant d’innocenter le système de justice face à toute allusion d’échec en indiquant que [Traduction] « Toute erreur judiciaire est cependant plus apparente que réelle. » De tels commentaires gratuits de la Cour [Traduction] « ont créé des difficultés pour Marshall, tant en termes de négociation d’une indemnisation que d’acceptation publique de son acquittement »Note de bas de page 49. La Commission a également conclu que le procureur général, la GRC et la police de Sydney avaient tous été fautifs envers Donald Marshall.

Recommandations de l’enquête Marshall

La Commission royale a formulé 82 recommandations visant à corriger les lacunes systémiques dans l’administration de la justiceNote de bas de page 50. Bon nombre des recommandations relatives à l’administration de la justice et aux services de police ont été prises au sérieux à l’époque. En 1987, le bureau du solliciteur général a été rétabli en tant que ministère du gouvernement responsable des services de police et des services correctionnels, séparant ces services du bureau du procureur général. Le bureau du solliciteur général a été chargé de mettre en œuvre les recommandations relatives à l’administration de la justice pénale et en particulier les recommandations concernant la police et les services de police (recommandations 46 à 82). L’ancien directeur du bureau du solliciteur général se souvient qu’il avait travaillé fort pour « cocher toutes les cases » des recommandations de l’enquête Marshall afin d’atténuer les problèmes systémiques dans les services de police et correctionnels. En 1990, la Loi sur le directeur des poursuites pénales, ch. 21, art. 1, a fait en sorte de créer un directeur indépendant des poursuites pénales et le service des poursuites pénales.  Les tentatives de maintien de l’indépendance de ceux qui déposent des accusations et de ceux qui engagent des poursuites à leur égard ont été d’un degré d’efficacité varié. En 1993, le ministère du Solliciteur général a été aboli et ses fonctions ont été reprises par le ministère de la Justice.

La condamnation injustifiée de Marshall incarnait la discrimination et le racisme systémiques dont ont été victimes les peuples autochtones au cours des XXe et XXIe siècles. Les processus et les politiques coloniaux ont perturbé les lois traditionnelles autochtones et empiété sur elles pendant des centaines d’années. La mise en place de la Commission royale sur la poursuite de Donald Marshall, Jr. en 1989 a représenté un tournant décisif pour permettre aux Micmacs de regagner leur contrôle de tous les aspects de leur vie, de contrer la colonisation et de se gouverner eux-mêmes. Les rapports de l’enquête Marshall ont donné une forme réelle au racisme que de nombreux Micmacs avaient vécu dans le système de justice canadien.

Les recommandations issues de l’enquête Marshall, ainsi que d’autres rapports d’enquête à l’échelle du pays (par exemple, la Commission d’enquête sur la justice pénale et les autochtones de 1991, la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996) ont confirmé le fait que les Micmacs et toutes les autres nations autochtones ont une interprétation culturelle distincte et des façons d’être distinctes qui nécessitent d’autres ensembles d’institutions pour tenir compte de ces réalités. Les organisations politiques micmaques se sont servies du rapport, avec plus ou moins de succès, comme puissant outil de négociation visant à apporter des changements sociaux dans leurs collectivités. Les quatre-vingt-deux recommandations ont donné aux Micmacs des moyens tangibles de formuler leurs demandes du droit de contrôler leurs propres processus judiciaires.

Le suivi de la mise en œuvre des recommandations a offert aux Micmacs un moyen de mesurer leurs droits juridiques par rapport à ceux qui leur avaient été retirés par l’application de lois et de pratiques coloniales et contemporaines discriminatoires. Le mouvement de reconstruction de la nation, et l’affaissement des attitudes coloniales, disposaient de fondements solides dans la conscience publique, sur le plan juridique et à d’autres égards, à la suite de l’enquête Marshall. Manifestement, tout le monde voulait que des changements importants soient apportés au système de justice accusatoire, et la majorité des gens voulaient que les programmes communautaires reflètent mieux leurs circonstances, leurs valeurs et leurs expériences de vie uniques. Plus important encore, toutes les parties micmaques voulaient participer directement aux consultations relatives à l’élaboration des programmes et des politiques. Elles s’opposaient à l’imposition unilatérale de lignes directrices par les organismes provinciaux et fédéraux.

Le deuxième volume du rapport en sept volumes de la Commission royale sur la poursuite de Donald Marshall, Jr., intitulé Public Policing in Nova Scotia, est une étude approfondie par Richard Apostle et Philip Stenning. Les auteurs ont examiné l’organisation des services de police, les questions de contrôle et de reddition de comptes en ce qui concerne les services de police et le rôle du gouvernement provincial, le rôle des organismes municipaux, les plaintes du public contre la police, le recrutement, la formation, les enquêtes sur les crimes graves et les relations entre la police et les minorités, et ils ont formulé cinquante recommandations qui ont éclairé le rapport final des commissairesNote de bas de page 51. Sur les 82 recommandations de l’enquête Marshall, bon nombre s’adressent à la police. La formation de la police intégrant du contenu sur les préoccupations de la police ou des minorités et la sensibilisation, dès l’admission et de façon continue pendant l’éducation, a été soulignée dans l’ensemble des recommandations. La clarification des rôles de la police dans les enquêtes et dans le dépôt d’accusations devait être énoncée dans les manuels du procureur de la Couronne, et des politiques claires pour chaque force concernant la résolution des désaccords concernant le dépôt d’accusations, la confidentialité des enquêtes et un [Traduction] « système de contrôle après l’accusation pour s’assurer qu’aucune accusation qui ne soit strictement nécessaire conformément à la preuve et à l’intérêt public n’aille de l’avantNote de bas de page 52 ». La recommandation no 42 sur l’obligation de divulgation par la police s’harmonisait avec la directive du procureur général sur la divulgation et nécessitait le respect de ses principes au cours des relations entre la police et les procureurs. Elle nécessitait aussi que la formation continue de la police comprenne des renseignements sur la nécessité de respecter la politique de divulgationNote de bas de page 53. Sous la rubrique « Police and Policing » [La police et les services de police], trente-sept recommandations portaient sur les politiques, les structures, l’indépendance, les évaluations et la portée des activités des commissions de police, les questions de ressources et de financement, les liens avec les conseils de police, et plusieurs recommandations portaient sur la formation, les normes, les procédures d’enquête, la sensibilité culturelle, en plus de certaines recommandations consacrées au recrutement et à la promotion des membres autochtones.

Avant la condamnation injustifiée de Marshall, il n’y avait pas de processus de justice réparatrice, pas d’avocats ou de professionnels du droit micmacs, très peu d’agents de police micmacs et certainement pas de programme de justice autochtone autorisés ou reconnu par le gouvernement fédéral ou provincial. Les tribunaux ne siégeaient pas dans les collectivités micmaques et les services de police étaient entachés de racisme, de surveillance excessive et de criminalisation des moyens de subsistance des MicmacsNote de bas de page 54. Les choses devaient changer.

Deux thèmes principaux ont émergé dans les discours micmacs après l’enquête Marshall. L’un était un discours sur les droits qui comportait des arguments relatifs aux traités, à la constitution et aux droits de la personne en faveur de l’autodétermination et donc du droit de contrôler leur propre système de justice. L’autre thème englobait la nécessité culturelle de contrôler un système de justice distinct qui pouvait gérer de manière significative les différends dans le pays micmac en s’appuyant sur des concepts de collaboration et de justice réparatrice. Les Micmacs étaient aussi favorables à tout effort visant à autochtoniser le système, en donnant cette mise en garde toutefois : [Traduction] « Une autochtonisation du système actuel ne fera qu’améliorer l’administration d’une forme non micmaque de justice, d’application de la loi et d’incarcération s’appliquant aux Micmacs »Note de bas de page 55. Cette approche n’était pas perçue comme une solution par les dirigeants politiques micmacs, qui voulaient définir et opérationnaliser la justice micmaque selon leurs propres conditions.

C’est un euphémisme de dire qu’il y a eu de graves problèmes lorsque les Micmacs rencontraient les membres des services de police du gouvernement canadien. L’enquête Marshall a mis en lumière des préoccupations critiques dans l’ensemble des services de police des collectivités autochtones de la Nouvelle-Écosse. La discrimination systémique, le racisme, les stéréotypes criminels, l’incompétence culturelle et le manque d’agents de police autochtones sont quelques-uns des problèmes relevésNote de bas de page 56.

À la suite de l’enquête Marshall, l’Union of Nova Scotia Indians, maintenant appelée l’Union of Nova Scotia Mi’kmaw, a demandé au professeur Don Clairmont de l’Atlantic Institute of Criminology d’étudier les points de vue et les expériences des Micmacs devant les tribunaux et dans les systèmes de police afin d’orienter la mise en œuvre des politiques et des programmes pour répondre aux besoins exprimés par les collectivités micmaques. Les objectifs étaient de déterminer les besoins en services de police des Micmacs des réserves et hors réserve et d’évaluer la nécessité d’un programme d’assistants parajudiciaires et ses rôles et fonctions connexes. L’analyse de Clairmont sur les résultats de l’enquête auprès des services de police a révélé ce qui suit [Traduction] :

Un besoin de profond changement, en particulier en ce qui concerne le style de police, la sensibilité culturelle, l’autochtonisation et l’orientation des efforts policiers; il semble y avoir trois principaux obstacles à leur accommodement par les autorités policières. La police estime parfois qu’être amical et abordable est synonyme d’une participation communautaire substantielle; les Autochtones ont souvent reconnu le premier aspect, tout en exigeant fortement le second. Deuxièmement, la nature mineure et le degré modeste des infractions par les Autochtones peuvent laisser croire à la police qu’il n’y a pas de problème, mais les attentes des Autochtones à l’égard du rôle des services police vont bien au-delà de ces questions superficielles. Troisièmement, les autorités policières semblent être idéologiquement engagées face à un mode de maintien de l’ordre universel, alors que de nombreux Autochtones insistent sur leur caractère distinctif et sur leurs besoins et situations particuliers. Ces trois obstacles semblent particulièrement importants dans les services de police municipauxNote de bas de page 57 [comme ceux de Membertou et de Millbrook], où, malgré les recommandations issues de l’enquête Marshall, aucun effort majeur ne semble avoir été déployé pour résoudre systématiquement les problèmes communautaires avec les Autochtones, pour assurer la sensibilisation à la culture, pour recruter des Autochtones ou pour comprendre les droits spéciaux des Autochtones. À la GRC, bien qu’il y ait eu une reconnaissance officielle beaucoup plus grande et qu’un programme de mise en œuvre ait été établi, l’application des changements proposés au niveau opérationnel présente toujours un problème majeur. Enfin, il a été noté que les questions d’autonomie gouvernementale des Autochtones ont ajouté une nouvelle dimension au programme de services de police qui va au-delà du caractère adéquat du service fourniNote de bas de page 58.

La documentation sur les services de police a mis en lumière la présence simultanée de présence policière excessive et de sous-police et le caractère approprié d’une philosophie de services de police communautaires, en mettant l’accent sur la résolution de problèmes et la collaboration entre la police et la collectivité pour établir les priorités en matière de services de police.

L’étude de Clairmont a clairement indiqué qu’il fallait aborder la question des services de police en formulant quatorze recommandations axées sur la police, en mettant fortement l’accent sur l’élaboration d’une entente de services de police communautaires entre les forces qui servent les collectivités autochtones. En plus de la formation sur la sensibilisation à la culture, l’amélioration du professionnalisme de la police et le recrutement d’agents autochtones, en particulier les femmes, Clairmont demande instamment que les 37 recommandations visant les services de police qui figurent dans l’enquête Marshall soient mises en œuvre le plus tôt possible. Il a également été suggéré d’établir des bureaux satellites de la GRC dans les réserves afin de faciliter les initiatives communautairesNote de bas de page 59. Pour répondre aux besoins en matière de formation, le projet de courte durée intitulé Community Legal Issues Facilitators (CLIF) Demonstration Project a permis d’offrir une formation de sensibilisation à la culture pendant trois ans en Nouvelle-Écosse, et certains organismes, comme le Service de police de Halifax, ont déployé des efforts pour offrir une formation à leurs agents. Cependant, à l’époque, les responsables du programme CLIF estimaient que la formation sur la sensibilisation à elle seule ne préparait pas adéquatement les agents pour gérer les différences culturellesNote de bas de page 60. Le programme CLIF a ensuite été intégré au Mi’kmaq Justice Institute (MJI), qui devait prendre en charge le programme de travail judiciaire et élaborer la loi micmaque, servant de cadre administratif pour tous les programmes associés à la justice autochtone.

Le MJI devait s’occuper de tous les services judiciaires, des services de traduction, de la création du programme de droit coutumier, de l’élaboration des règlements administratifs des bandes, des testaments et des actifs, des droits issus de traités, de l’éducation et de la formation juridiques pour tous ces programmes, ainsi que de la sensibilisation communautaire et de la prestation d’une formation sur la sensibilisation culturelle pour les organismes provinciaux. La vision était remarquable, mais la capacité de réaliser la vision était limitée en termes de ressources, de personnel et de bureaucratie juridictionnelle et institutionnelle. Il faut beaucoup de temps, d’énergie et de pouvoir humain pour établir une confiance dans les processus de justice communautaire et établir de meilleures relations avec la police et le système de justice canadien.

Politique sur les services de police des Premières Nations

En 1989, la même année de la publication du rapport de l’enquête Marshall, le commissaire adjoint de la GRC, Robert Head, a publié le document intitulé Une police pour les autochtones du Canada : le rôle de la G.R.C. Ce rapport important demandait des changements importants à tous les aspects des politiques de la GRC en ce qui concerne les services de police autochtones. À la suite du rapport de Head, un groupe d’étude fédéral sur le maintien de l’ordre dans les réserves indiennes a indiqué en 1990 que le Canada n’avait pas exercé son pouvoir conféré par le par. 91(24) de réglementer les services de police des Premières Nations, et il a donc mis l’accent sur la compétence provinciale par l’intermédiaire du par. 92(14) et l’application des lois provinciales dans les réserves par l’intermédiaire de l’art. 88 de la Loi sur les IndiensNote de bas de page 61. Le portefeuille des services de police des Premières Nations a été transféré d’Affaires indiennes et du Nord Canada (maintenant Services aux Autochtones Canada) au Solliciteur général du Canada (maintenant Sécurité publique Canada).

En 1991, le gouvernement du Canada a annoncé la Programme des services de police des Premières nations (PSPPN), destinée à améliorer les services de police offerts aux Premières Nations, le gouvernement fédéral acceptant de payer 52 % des coûts d’une Première Nation, tandis que la province apportait une contribution de 48 %. Ce programme remplaçait le programme de gendarmes de bande et le programme 3B par le Programme de gendarmes communautaires autochtones. Le PSPPN a été conçu pour compléter les services de police provinciaux existants en finançant des postes d’agents spécialisés ou de gendarmes spéciaux dans une collectivité des Premières Nations par l’intermédiaire d’une entente communautaire tripartite (ECT) ou en créant un service de police des Premières Nations en particulier par l’intermédiaire d’une entente d’autonomie administrative (EAA). L’intention était d’adopter des approches proactives et préventives en matière de services de police afin d’éviter une réaction excessive aux préoccupations des Autochtones et de réduire le risque de conflits et de confrontations violentsNote de bas de page 62. Les domaines thématiques visés par le réexamen des approches en matière de services de police comprenaient les tactiques de médiation et de négociation, la participation communautaire et les partenariats, la formation, la sensibilisation culturelle et la participation des agents des Premières Nations. L’année 1992 a été marquée par la création de la Direction générale de la police des Autochtones sous l’égide du Solliciteur général du Canada et par la création de l’Association des chefs de police des Premières NationsNote de bas de page 63.

Police tribale d’Unama’ki

Depuis les années 1970, les Micmacs font pression pour obtenir le contrôle de la façon de maintenir l’ordre dans leurs collectivités. Ce n’est qu’à la suite de la Commission royale sur la poursuite de Donald Marshall Jr. que les demandes ont été prises au sérieux. Au cours des dernières décennies, un certain nombre d’initiatives importantes en matière de justice découlant des recommandations de l’enquête Marshall ont été mises en œuvre dans les collectivités micmaques, allant de l’autochtonisation des programmes traditionnels aux programmes de travailleurs des tribunaux, de la création de stratégies de gestion des différends fondées sur le droit coutumier à l’exploration d’options de contrôle de la réglementation des ressources, des audiences de libération conditionnelle assistées par la collectivité aux programmes correctionnels adaptés à la culture, des initiatives de prévention du crime aux programmes de justice en passant par les programmes de justice comme les programmes de guérison et les services aux victimesNote de bas de page 64. Mais la plupart de ces projets étaient des projets pilotes qui n’étaient pas durables, ne faisant que déstabiliser ou simplement autochtoniser le système de justice canadien.

En réponse à l’enquête Marshall, sans toutefois répondre à une recommandation directe, la Police tribale Unama’ki autogérée a été créée en 1994, sous l’égide de la Politique sur la police des Premières nations (PSPPN) fédérale, pour fournir des services de police aux cinq collectivités micmaques situées sur l’île du Cap-Breton : Potlotek; Eskasoni; We’koqma’q; Wagmatcook; et Membertou. Les objectifs de la police d’Unama’ki étaient de [Traduction] « fournir aux Premières Nations des services de police professionnels, efficaces et adaptés à la culture; améliorer la sûreté et la sécurité dans les collectivités des réserves; donner aux collectivités des Premières nations une voix forte dans l’administration de la justice alors qu’elles assument un plus grand contrôle et une plus grande responsabilité dans les affaires qui touchent à leurs collectivités; et s’assurer que les services de police des Premières Nations rendent des comptes aux collectivités qu’ils serventNote de bas de page 65 ». À ce titre, la police tribale d’Unama’ki était été considérée comme un moyen d’améliorer le contrôle de la justice par les Micmacs et l’accès des Micmacs à la justice.

Le contrôle des services de police était perçu par les dirigeants autochtones comme un catalyseur de l’autonomie gouvernementale des Premières Nations micmaques. On espérait que les agents des services de police tribaux d’Unama’ki s’appuient sur des analyses des incidents criminels fondées sur la culture. La police tribale devait employer des méthodes de police communautaire pour révéler les causes profondes du crime et se servir des traditions juridiques autochtones appropriées comme mesures de résolution des problèmes, en utilisant le droit coutumier pour faciliter la réconciliation, rétablir les relations brisées et promouvoir la guérison communautaire. Les pratiques de la police tribale devaient être holistiques, axées sur la collectivité et la réintégration plutôt que d’appliquer l’approche accusatoire de la société de colons – le retrait et l’incarcération des délinquants –, qui refuse à la collectivité la participation à la prise de décisions en matière de gestion des différends. La police tribale devait travailler avec le Mi’kmaq Justice Institute afin de mettre au point des services de justice pour les collectivités micmaques.

Les membres de la police tribale d’Unama’ki étaient d’anciens gendarmes spéciaux. Disposant de pouvoirs et de responsabilités élargis dans leurs nouveaux rôles, ils aimaient être davantage que des surveillants pour la GRC. Ils menaient leurs propres enquêtes et avaient leurs propres dossiers, et l’autonomie leur a permis de s’extirper de l’arrangement paternaliste de la surveillance constante des agents non autochtones. La police tribale a assumé volontiers la responsabilité d’aider ses collectivités à se mettre sur les sentiers de la guérison afin de redonner de la vigueur aux principes juridiques des Micmacs à mesure qu’elle trouve des solutions pour les victimes et les délinquants. La police tribale comprenait la pauvreté, les réseaux de parenté, les modèles de violence et les conséquences de la colonisation – le racisme et la discrimination systémique – auxquelles leurs collectivités sont confrontées quotidiennement; ils l’avaient vécu aussi.

Au cours de ses trois premières années de fonctionnement, le service de police tribal d’Unama’ki eu trois chefs de police différents. L’emploi était extrêmement difficile parce que la force envisageait être responsable de créer un modèle de services de police exclusivement autochtone, mais elle a rencontré une profonde résistance de la part du gouvernement pour obtenir le respect face au changement systémique à apporter aux services de police communautaires autochtones. Le manque de personnel pour maintenir l’ordre efficacement dans les secteurs relevant de la compétence de la police tribale et le financement insuffisant pour offrir une formation et des incitations salariales afin de maintenir le personnel en poste n’étaient que la pointe de l’iceberg. Cette police se battait constamment pour obtenir sa légitimité dans les collectivités et faisait face à une opposition tant interne qu’externe. Le poste de police principal était situé à Eskasoni, à au moins trente minutes de route de Membertou et à quarante-cinq minutes de We’koqma’q. Les membres de la collectivité se sont plaints du long délai de réponse et du manque de visibilité dans les collectivités dépourvues d’un service permanent.

Dans une lettre adressée à la Direction générale de la police des Autochtones, le service de police tribal d’Unama’ki a décrit les défis auxquels il était confronté [Traduction] :

Le service de police d’Unama’ki s’est engagé à fournir des services de police de qualité, et en particulier des pratiques et des principes de police communautaires, dans toutes les collectivités des Premières Nations qu’il dessert sur l’île du Cap-Breton. Il s’agit d’un défi important pour notre nouveau service de police puisque les ressources sont très limitées, les attentes de la collectivité sont assez élevées et les niveaux de problèmes sociaux et de criminalité conventionnelle sont très élevés dans nos administrations. L’effectif de base est à peine suffisant pour assurer le maintien de l’ordre dans des collectivités dispersées géographiquement où le niveau de crimes et de crimes de violence conventionnels, comme l’ont démontré les vérificateurs, est au moins cinq fois supérieur à celui des administrations de la GRC et trois fois supérieur à celui des administrations municipales de la Nouvelle-Écosse. Comme dans de nombreuses collectivités des Premières Nations, la demande et les attentes en matière de services de police sont assez élevées; les appels de service ont augmenté de 400 % depuis que le service de police d’Unama’ki a été créé en décembre 1994Note de bas de page 66.

Les collectivités où le maintien de l’ordre est assuré par la police tribale d’Unama’ki ont signalé des crimes plus souvent que lorsque le maintien de l’ordre y était assuré par des organismes de colons – le niveau de confort et de confiance était beaucoup plus élevé avec un organisme autochtone. L’augmentation des signalements nécessitait la disponibilité d’un plus grand nombre de services de police et un meilleur accès aux processus de gestion des différends coutumiers selon les traditions juridiques autochtones, ce qu’institutionnalisait la mise en œuvre des recommandations de l’enquête Marshall demandant la création d’un institut de justice autochtone, de comités de justice autochtone et d’une cour criminelle autochtone.

En octobre 1998, le poste de police d’Unama’ki et la prison située sur la rue principale de Membertou ont ouvert leurs portes. Immédiatement, les bâtisses ont été la cibles de vandalisme et incendiées par plusieurs jeunes mécontents. La même année, le plan d’entreprise de la police tribale d’Unama’ki faisait état de nombreuses préoccupations concernant la capacité de la force d’assurer efficacement le maintien de l’ordre dans les collectivités du Cap-Breton. Le manque de personnel, qui n’avait que peu d’incitatifs à l’avancement, et une vaste zone géographique pour patrouiller avec des ressources insuffisantes, ont entraîné une faible présence dans les réserves, un faible moral chez le personnel et un [Traduction] « service inadéquat aux collectivitésNote de bas de page 67 ». À la fin de l’entente de financement quinquennale, la police tribale d’Unama’ki a cessé ses activités en 2001, ce qui a beaucoup déçu les partisans de l’autodétermination. Souffrant des mêmes lacunes, le Mi’kmaq Justice Institute avait fermé ses portes l’année précédente avant de créer d’importantes lacunes en matière de services et de possibilités de formation en littératie culturelle et en compétences. En 2002, des ententes tripartites ont été signées pour rétablir la GRC en tant que service de police dans toutes les Premières Nations du Cap-BretonNote de bas de page 68.

Les histoires de la police tribale d’Unama’ki et du Mi’kmaq Justice Institute concordent directement avec les thèmes recensés par Clairmont et Murphy (1998) dans leur étude intitulée Self-Administered First Nations’ Policing: An Overview of Organizational and Managerial IssuesNote de bas de page 69. Les auteurs ont cerné les circonstances particulières des services de police des Premières Nations et les défis particuliers liés au fait de répondre aux attentes des collectivités avec des ressources limitées, en plus de la réalité de l’ingérence politique dans le travail de police, l’isolement des forces dans les réserves et les difficultés de recrutement et de maintien en poste. Fait important, le rapport note que bien même si certains services de police des Premières Nations présentaient de meilleurs ratios de police à population que leurs équivalents autres que des Premières Nations, la [Traduction] « formule de financement utilisée par les gouvernements ne tenait pas compte de toutes les considérations pertinentes et n’a pas produit suffisamment d’effectifs policiers pour permettre la prévention du crime et la résolution de problèmes, et encore moins un style de police autochtone distinctNote de bas de page 70 ». Les services de police autogérés peuvent être vulnérables parce que les ententes tripartites se limitent habituellement à des périodes de trois ou cinq ans leur donnant un « statut de projet », et, par conséquent, le sentiment d’[Traduction] « être mis en place pour échouer » est courant parce que :

les services de police des Premières Nations ont été établis avec de grands objectifs et des attentes élevées de la collectivité, mais avec des ressources à ce point insuffisantes que la désillusion de la collectivité et l’incapacité du service de bien attendre ne serait-ce que les objectifs de services de police conventionnels conduisent probablement à la reprise des services de police par les organisations provincialesNote de bas de page 71.

Le recrutement et le maintien en poste d’agents des Premières nations, même s’ils sont souvent louangés comme la solution à des problèmes d’incompétence culturelle et de communication, sont difficiles dans les collectivités où le bassin de candidats intéressés est limité et où l’accès à la formation est limité. [Traduction] « La formation des académies de police provinciales ne tient probablement pas compte des réalités de la situation sociale des réserves et des attentes et controverses à l’égard de la policeNote de bas de page 72. » L’autochtonisation des services de police canadiens n’est pas une solution suffisante aux réalités systémiques de la discrimination.

La décision Marshall relative à la pêche

En essayant de se remettre du traumatisme de sa condamnation injustifiée, Donald Marshall s’est tourné vers sa culture et ses traditions pour guérir et il est allé pêcher les anguilles. L’importance des relations entre les Micmacs et la mer a été intégrée à toutes les facettes de leur vie pendant des milliers d’années, des systèmes de croyances cosmologiques à l’organisation politique et familiale. Les lieux de la pêche traditionnelle micmaque étaient à la fois spirituels et pratiques, mettant l’accent principalement sur le bien-être et la survie des familles et des membres de la collectivité. Les Micmacs pêchaient, chassaient et cueillaient. Leurs activités de subsistance étaient régies par le concept de netukulimk, qui guidait les pratiques de récolte en visant la coexistence. En pêchant et en vendant des anguilles, Marshall menait des activités de subsistance comme l’avaient fait ses ancêtres avant lui.

En pêchant et en vendant des anguilles, Donald Marshall exerçait ce qu’il croyait être son droit conventionnel de gagner sa vie indemne. Cependant, le soulagement qu’a connu Donald Marshall dans l’exercice de ses droits issus de traités en tant que pêcheur d’anguilles a été de courte durée, puisqu’il a été accusé de pêche illégale. Cet incident est devenu l’objet d’une cause-type liée aux traités qui a considérablement modifié les relations avec les ressources des Autochtones et des colons dans les provinces de l’Atlantique du Canada.

En 1999, la Cour suprême du Canada a reconnu les traités de 1760 à 1761 dans R. c Marshall en tant que droit aux moyens de subsistance. Cette affaire a été profondément transformatrice pour la nation micmaque. Elle a étayé le processus « fabriqué en Nouvelle-Écosse » organisé pour la première fois en 1997, lorsque les chefs micmacs de la Nouvelle-Écosse, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse et le gouvernement du Canada ont signé le protocole d’entente tripartite (PE), qui était une entente entre les trois parties destinée à entamer des discussions sur les enjeux et sur les « questions communes ». L’approche du forum tripartite était fondée sur l’une des 82 recommandations de la Commission royale sur la poursuite de Donald Marshall Jr. (1989).

La décision Marshall a provoqué une redistribution de l’accès aux ressources naturelles, permettant d’accroître les possibilités de développement économique et d’autonomie. La possibilité de remédier aux modes de dépendance et d’assujettissement des communautés micmaques et d’autres peuples autochtones dans tout le pays, en faveur d’un avancement communautaire durable, par l’affirmation des droits issus de traités et autochtones, et par la justification du savoir traditionnel, marque un tournant sans précédent dans les relations colonialesNote de bas de page 73. La décision a eu une incidence partout au pays, ce qui a incité les collectivités autochtones à s’unir dans une action collective pour garantir leurs droits à l’égard des ressources. Le gouvernement fédéral, le ministère des Pêches et des Océans et les pêcheurs non autochtones n’étaient pas prêts pour la décision. Le jugement a mené à un conflit et à une controverse immédiats dans les Maritimes, attirant les grands titres internationaux et gâchant la victoire juridique des Micmacs. Les pêcheurs non autochtones ont résisté aux conclusions de la Cour suprême au motif qu’ils croyaient détenir des droits traditionnels sur les eaux et qu’ils n’étaient pas disposés à partager les ressources limitées – mais lucratives – avec qui que ce soit, surtout les « Indiens ». La nation micmaque de la Nouvelle-Écosse a tiré parti de la décision Marshall et de ses droits issus de traités sur les moyens de subsistance pour exiger des relations de consultation et de négociation prévisibles, productives et respectueuses avec les promoteursNote de bas de page 74.

La décision Marshall a suscité une surveillance et un contrôle accrus pour tous les pêcheurs. La peur et la concurrence accrues ont mis à rude épreuve les relations entre les Autochtones et les colons, prévenant tout potentiel de coopération et de collaboration en matière d’accès aux pêches et de cogestion de celles-ci. Vu la fragilité de l’économie de la pêche, l’acrimonie a augmenté non seulement entre les colons et les peuples autochtones, mais aussi au sein de ces groupes. Malgré l’avis de la Cour suprême, les revendications des Micmacs à l’égard des territoires, de la gestion des ressources et de l’accès équitable ont été refusées en pratique. Les comptes rendus des médias ont alimenté l’animosité envers les chasseurs autochtones en perpétuant des stéréotypes négatifs et en exagérant les cas de surpêche et d’utilisation d’équipement illégal. Les tensions persistent aujourd’hui alors que les Micmacs exercent leurs droits relatifs aux moyens de subsistance et que le contrôle de la mise en œuvre des traités exige l’attention de tous les organismes d’application de la loi.

Examen de l’enquête Marshall

Au milieu des années 2000, la Division « H » de la GRC a fait face à des obstacles et a été critiquée au sein des collectivités micmaques et par le grand public au motif qu’elle ne répondait pas aux besoins de la nation micmaque. Un conseil de bande a publié une résolution du conseil de bande visant à transférer à l’extérieur de sa collectivité un membre du service de police qui ne respecte pas la culture. Dans une autre collectivité, la GRC, incapable de s’occuper des membres de la collectivité en colère, a été assujettie à une barricade pendant une courte période sur les lieux d’un homicide et n’a pas été en mesure par la suite de maintenir la sécurité sur les lieux. Dans une autre collectivité encore, le sac de médecine sacré d’une Aînée a été profané lorsque la résidence de l’Aînée a fait l’objet d’un mandat de perquisition en raison d’une enquête ciblée sur la drogue concernant son petit-fils. Les gens ont été indignés après que la GRC a eu tué par balle M. John Simon, âgé de 44 ans, dans son domicile de la collectivité micmaque de Wagmatcook le 2 décembre 2008, ce qui a donné lieu à une enquête ouverte par la présidence sur les plaintes et une enquête d’intérêt public concernant la conduite des membres de la GRC présents. Des incidents mettant en cause le traitement des personnes micmaques en prison ont également soulevé des préoccupations au sein des collectivités. Une deuxième tragédie très médiatisée concernait l’enquête sur les circonstances de Mme Victoria Paul, 44 ans, d’Indian Brook, mère d’un enfant, et ce qui lui est arrivé au service de police Truro, où elle a subi un accident ischémique alors qu’elle était en garde à vue à Truro en août 2009, avant de mourir par la suite à l’hôpital.

L’enquête Victoria Rose Paul a été menée par le commissaire du bureau des plaintes contre la police de la Nouvelle-Écosse en collaboration avec le service de police de Truro, la Police Association of Nova Scotia, la Police régionale d’Halifax (PRH), la famille Paul, la présidente de l’Association des femmes autochtones et des membres de la communauté micmaque, dont un ministre nommé « observateur autochtone ». De concert avec les enquêteurs, les participants ont examiné les questions plus générales concernant l’arrestation de Mme Paul et le décès subséquent de cette dernière. L’enquête portait principalement sur la question de savoir si la police de Truro avait suivi les politiques et les pratiques appropriées; si une assistance médicale avait été fournie au besoin; si les lignes directrices de la force concernant les personnes en état d’ivresse sont adéquates; et si l’enquête de la PRH avait été impartiale. 

Dans le rapport final, la commissaire aux plaintes a conclu [Traduction] « qu’il y avait de nombreuses pratiques incohérentes et de la confusion parmi les agents et les gardiens en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions dans l’établissement de détention ». Elle fait remarquer que même si les agents et les gardiens ont peut-être effectué le nombre requis de vérifications du bien-être de Mme Paul, la qualité des vérifications [Traduction] « était déficiente ». L’auteure a soulevé la question du racisme institutionnel dans son rapport. Cooper Mont souligne que, du point de vue de nombreux membres de la communauté micmaque, Mme Paul a été maltraitée parce qu’elle était une personne autochtone. Bien que l’enquêteuse n’eût pas de preuve concluante à l’appui d’allégations de racisme, elle a noté que la façon dont Victoria Paul avait été traitée [Traduction] « n’est pas une pratique normale ». Dans sa conclusion, la commissaire aux plaintes a fait valoir qu’[Traduction] « il est essentiel d’améliorer les normes, la formation et les politiques existantes pour contribuer à réduire ces événements tragiquesNote de bas de page 75 ».

Une troisième tragédie concernait le meurtre de Mme Tanya Jean Brooks, une femme micmaque de 36 ans et mère de cinq enfants qui vivait dans la Première Nation de Millbrook. Mme Brooks a été retrouvée assassinée dans une caisse de soupirail de l’école St. Patrick’s Alexandra à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 11 mai 2009. On l’avait vue pour la dernière fois quitter le quartier général de la police régionale d’Halifax le 10 mai 2009. Cette affaire criminelle majeure n’est toujours pas résolue. Les collectivités et les organisations des Premières Nations se sont mobilisées et ont exigé que le gouvernement fédéral prenne des mesures positives pour mettre fin à la violence faite aux femmes. L’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) et ses sections provinciales ont tenu une réunion en juillet 2012 pour discuter des questions des femmes autochtones disparues et assassinées. En décembre 2012, le mouvement Idle No More se répandait dans tout le pays.

Après ces tragédies hautement médiatisées mettant en cause la police dans le Mi’kma’ki, les appels à une évaluation de la mise en œuvre des recommandations de l’enquête Marshall ont pris de l’ampleur. Les Micmacs demandaient : « Si les recommandations de l’enquête Marshall avaient été mises en œuvre, ces tragédies se seraient-elles produites? » Dans le cadre d’un examen à l’échelle de la province de la mise en œuvre des recommandations de l’enquête Marshall à son 25e anniversaire pour le forum tripartite, les peuples micmacs ont partagé des comptes rendus profondément intimes de leurs expériences du système de justice canadien. Avec une régularité alarmante, les gens ont parlé d’incidents douloureux où ils avaient eu l’impression d’être maltraités et mal compris par la police, les avocats, les juges et les fournisseurs de services.

Mme McMillan et son équipe de recherche ont constaté que [Traduction] « il y a toujours une perception de discrimination systémique et de racisme dans les services de police aujourd’hui. Les agents autochtones ont fait état d’expériences de marginalisation et d’une dévaluation de leur expertise locale. Les cahiers de compétences utilisés par la GRC sont limités sur le plan culturel et seraient plus efficaces en incluant davantage les points de vue de la police autochtone et des collectivités qu’elle sertNote de bas de page 76. » Les agents non autochtones sont souvent perçus par les membres de la collectivité comme étant en affectation « d’emprisonnement » dans la réserve, et on note qu’ils sont rapidement promus, tandis que les agents autochtones qui servent les collectivités autochtones n’ont pas la même occasion de promotion ou réussite à cet égard.

Pendant l’évaluation des recommandations de l’enquête Marshall, les collectivités micmaques ont confié des anecdotes d’usage excessif de la force, de perquisitions déraisonnables, de profilage, de traitement injuste, de suraccusation, d’utilisation de menaces et d’intimidation par la police, de délires autocratiques, de méfiance, de peur et de colère envers la police. [Traduction] « Nous avons entendu plusieurs témoignages de menaces spécifiques d’appréhensions d’enfants effectuées inadéquatement par la police. Les membres des collectivités ont déclaré que la police n’était pas proactive et ne parlait pas avec les gens. Ils ont laissé entendre qu’en s’entretenant régulièrement avec des gens amicaux, le besoin de faire usage de la force serait grandement réduit parce que les gens seraient prêts à apporter leur aide ou, du moins, à éviter la confrontation. La conversation est aussi un moyen de réduire la perception négative de la surveillance qui a été largement rapportée. »Note de bas de page 77

L’évaluation Marshall a permis de conclure que toutes les collectivités ont de sérieuses préoccupations au sujet des services de policeNote de bas de page 78. Il y avait une forte demande d’agents pouvant parler micmac. La police doit comprendre les relations de parenté. De nombreux participants voulaient que la police tribale soit envisagée de nouveau, et bien que la plupart des participants ne veulent pas que la police participe à leur vie, ils veulent que les agents soient présents de manière visible dans les collectivités. La plupart des gens éviteront de signaler des crimes, même s’ils sont victimes, à moins d’être incités à le faire. Toutes les collectivités préfèrent que les agents autochtones au motif que ces derniers sont plus dignes de confiance et comprennent mieux la vie dans les réserves, et leurs membres se sont dits davantage disposés à demander de l’aide à des agents autochtones. La plupart des collectivités voulaient d’une intervention policière plus importante et plus efficace contre le trafic de drogues. La majorité des incidents impliquent des personnes sous l’influence de l’alcool ou de la drogue. De nombreuses personnes ont tiré des recommandations de l’enquête Marshall l’interprétation qu’elle inclut une force de police tribale, et elles aimeraient qu’une force bien dotée en ressources et bien formée soit en place.

Les gens ont toujours constamment indiqué que les recommandations de l’enquête Marshall (1989) et la décision de la Cour suprême dans R c. Marshall [1999] étaient à la fois fondamentales pour établir un système de justice micmac et impératives pour l’autodétermination, mais ils ont reconnu que de sérieux obstacles structurels entravaient la mise en œuvre des recommandations et l’exercice de leurs droits issus de traités. Les obstacles exprimés étaient les suivants : un profond manque de connaissances sur les droits issus de traités autochtones; l’omission d’identifier et de respecter la nation micmaque; et le déni par les colons de la légitimité de la gouvernance et des principes juridiques des Micmaques dans la gestion de leurs terres et de leurs ressources. Les critiques des collectivités micmaques ont mis en lumière une discrimination systémique insidieuse. En ce qui concerne l’élaboration de politiques, il est important de garder les conséquences historiques de la colonisation et les circonstances contextuelles de la résurgence autochtone et les droits à l’autodétermination à l’avant-plan, de sorte que l’engagement et la collaboration communautaires soient respectueux, significatifs et produisent des changements substantiels et égalisants.

5. Cartographie des services de police d’aujourd’hui dans le Mi’kma’ki

Les gouvernements des Premières nations s’efforcent de changer les modèles coloniaux de services de police qui échouent dans de nombreuses collectivités autochtones et qui contribuent à une surreprésentation dans les tribunaux et les prisons canadiens. La GRC de la Nouvelle-Écosse a établi le poste de Services de police autochtones et interculturels (SPAI) afin d’améliorer les services de police offerts aux Premières Nations en mettant l’accent sur l’application de la loi, l’intervention et la prévention du crime fondés sur des données probantes. Afin d’améliorer les services, l’accent a été mis sur la mobilisation des membres de première ligne par l’entremise des agents de police communautaires (APC) et des policiers éducateurs en matière de sécurité (PES) afin de tenir les jeunes à risque à l’écart du système de justice pénale surchargé. Un poste d’agent de liaison autochtone – violence conjugale de la GRC a été créé en 2010 dans le cadre de l’initiative SPAI afin de combler les lacunes en matière de services dans le domaine de la violence familiale en fournissant des services coordonnés et cohérents aux survivants de la violence familiale et à leur famille.

Les services de police de la Nouvelle-Écosse ont également entrepris un certain nombre d’initiatives pour répondre aux besoins de la collectivité micmaque en partenariat avec des organismes communautaires, ceux-ci assumant les coûts. Par exemple, le projet « Safe Keeping » était une collaboration de trois ans avec la Division « H » et l’Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse, visant à sensibiliser les gens et à les renseigner au sujet de la traite de femmes autochtones dans les collectivités des Premières NationsNote de bas de page 79.

 Dans son énoncé d’orientation de 2009-2010, le ministre de la Sécurité publique a demandé à la GRC d’examiner d’autres approches vis-à-vis le PSPPN, comme une forme appropriée de prestation de services de police communautaire pour appuyer les services de police provinciaux dans les collectivités des Premières Nations. Cependant, selon une évaluation du Programme des services de police des Premières nations, dans de nombreuses collectivités visées par une ETC, l’intention de la présence d’agents dédiés du PSPPN a été minée parce que les agents ne sont pas intégrés aux collectivitésNote de bas de page 80. La police passe son temps à se rendre dans les collectivités et à en revenir, ou à exécuter d’autres priorités policières plutôt que les activités du PSPPN. En ce qui concerne le professionnalisme, les services de police financés par le PSPPN respectent les politiques et les normes provinciales en matière de police. Toutefois, les agents travaillant aux termes d’une entente autogérée ont un accès limité à la formation continue et des ressources limitées pour les outils liés à l’emploi, comparativement aux agents de police travaillant aux termes d’une ECT.

Les évaluateurs ont déterminé que les ententes de contribution ne constituent pas le mécanisme de prestation idéal pour le PSPPN. Cette observation figurait également dans l’évaluation réalisée en 2010 et dans le rapport du Bureau du vérificateur général de 2014.  Les ententes de contribution doivent fréquemment être renouvelées, et le renouvellement suppose chaque fois un lourd fardeau administratif. Ce fait, de même que l’incertitude en matière de financement, empêche les collectivités et les services de police de faire des plans à long termeNote de bas de page 81.

Le vérificateur général du Canada a conclu que le PSPPN n’était pas conçu pour fournir adéquatement des services de police dans les réserves conformément aux principes de police, et que Sécurité publique Canada devait travailler avec les collectivités des Premières Nations, les provinces et les fournisseurs de services de police sur l’avenir du PSPPNNote de bas de page 82.

En 2016, l’Assemblée des Premières Nations et la GRC ont signé un protocole de renforcement des relations ayant pour objectifs d’assurer la sécurité publique sans discrimination, de promouvoir le respect des droits fondamentaux des Premières Nations en tant que nations, peuples, collectivités et personnes, d’élaborer des stratégies pour faciliter la guérison et la réconciliation, d’élaborer des stratégies de recrutement appropriées pour les membres des Premières Nations, de poursuivre le développement de la sensibilisation culturelle et de la formation anti-discrimination de la GRC, ainsi que d’appuyer des mesures pour aborder la question de la sécurité des femmes et des filles autochtones. Les rapports annuels doivent énoncer les enjeux, les priorités, les objectifs et les initiatives entreprises conjointement en vertu du protocole, de même qu’évaluer l’efficacité du protocole quant aux questions de sécurité publique dans les collectivités des Premières Nations.

Les priorités recensées par l’Assemblée des Premières Nations sont la reconnaissance des services de police des Premières Nations comme services essentiels, la protection des droits ancestraux et issus de traités en ce qui concerne les modifications apportées à la législation sur les armes à feu, et les répercussions de la révision du cadre de sécurité nationale du Canada, de même que la lutte contre la discrimination dite très répandue dans les services de police canadiens.Note de bas de page 83 La résolution 45/2017 de l’APN intitulée [Traduction] « Investissements fédéraux dans les services de police des Premières Nations » et les résolutions subséquentes, 107/2017 et 44/2018, exhortent le gouvernement de reconnaître les services de police des Premières Nations comme des services essentiels. Le Programme des services de police des Premières nations est classé comme un programme discrétionnaire, ce qui permet de le sous-financer comparativement aux services de police municipaux et provinciauxNote de bas de page 84. L’Assemblée des Premières Nations veut que les services de police des Premières Nations soient financés équitablement comme les autres organismes de police non membres de Premières Nations.

Conformément au protocole de renforcement des relations de 2016, l’Assemblée des Premières Nations et Sécurité publique produisent conjointement un rapport d’analyse des écarts sur les enjeux auxquels sont confrontés les services de police des Premières Nations et élaborent une réaction stratégique aux problèmes de racisme et de discrimination. Afin de combler les lacunes dans les services de police des Premières nations, l’Assemblée a adopté une résolution (01/2017) visant à établir une table multilatérale pour promouvoir la sécurité communautaire et éliminer le racisme et la violence auxquels les Premières Nations sont confrontées dans les zones urbaines (le 1er mars 2019). Dans sa mise à jour sur les services de police et la sécurité publique des Premières nations, l’Assemblée des Premières nations a noté que Sécurité publique Canada finance actuellement le Programme des services de police des Premières nations (PSPPN). Selon Sécurité publique Canada, en 2018-2019, le ministère a fourni plus de 146 millions de dollars dans le cadre du PSPPN pour soutenir 1322 postes d’agent de police négociés dans plus de 450 collectivités Inuites et des Premières des Premierès nations et des InuitsNote de bas de page 85. En 2018, un montant supplémentaire de 291,2 millions de dollars a été débloqué pour remédier au sous-financement chronique du matériel, des salaires et de l’infrastructure. L’engagement de financement fédéral à long terme comprend un facteur de progression annuel de 2,75 % s’expliquant par l’inflation.  Une somme de 44,8 millions de dollars sera débloquée en 2019-2020 pour recruter jusqu’à 110 postes d’agent supplémentaires, dont une partie sur cinq ans sera fournie à la GRC pour payer les services fournis conformément aux ententes communautaires tripartites (ECT) et sera partagée avec les ententes autogérées et les ententes municipales. L’investissement total sur cinq ans par le gouvernement fédéral dans le Programme des services de police des Premières nations s’élevait à 813,7 millions de dollars. Comme il s’agit d’ententes à frais partagés, on demandera au gouvernement provincial d’augmenter son financement pour maintenir sa part de 48 % des coûts du programmeNote de bas de page 86.

Le rapport annuel de la GRC sur l’équité en matière d’emploi pour l’exercice 2017-2018 indique que l’organisation a respecté ses obligations générales en matière d’équité en matière d’emploi prévues par la loi pour la représentation au sein de l’effectif, dans la mesure où elles s’appliquent aux peuples autochtones. Une proportion de 6,8 % de sa main-d’œuvre s’identifie comme autochtone, comparativement à un taux de disponibilité de la main-d’œuvre de 4 % pour les Autochtones. Parmi les Autochtones employés par la GRC, 7,8 % sont des membres réguliers, 3,9 % sont des membres civils et 5,7 % sont des fonctionnaires, avec un taux de 4 % de disponibilité de la main-d’œuvre canadienne. Les Autochtones sont employés dans des services administratifs et réglementaires dans des postes de niveau débutant dans la fonction publique. Les peuples autochtones sont sous-représentés en économie, en sciences sociales et en gestion financière. Le groupe de classification des sciences économiques et sociales est chargé de mener des recherches et de fournir des conseils stratégiques sur la politique et la législation économiques, socioéconomiques et sociales. Par conséquent, la sous-représentation dans ce secteur signifie que la participation des Autochtones aux politiques et aux lois est limitéeNote de bas de page 87. En ce qui concerne les embauches et les départs, il y a un changement net négatif touchant aux membres réguliers et aux membres civils. Vingt-neuf personnes qui s’identifient comme Autochtone ont été embauchées à titre de membres réguliers, mais 77 d’entre elles sont partiesNote de bas de page 88.

 En Nouvelle-Écosse, sur les 1 410 employés de la GRC, 139 personnes s’identifient comme Autochtone. Les femmes sont sous-représentées dans l’effectif de la GRC. Une personne a été embauchée en tant que membre civil, mais dix sont parties. Le nombre d’employés de la fonction publique a augmenté de quatre. Le faible taux de croissance des peuples autochtones est conforme au point de vue de la collectivité selon lequel il y a très peu de recrues qui entrent à la GRC, et cela a des conséquences pour le recrutement et le maintien en poste.

En ce qui concerne la représentation par grade et niveau, il y a une diminution de la représentation des Autochtones à des niveaux progressivement plus élevés. Les Autochtones sont sous-représentés au sein du groupe des dirigeants et dans les grades de cadres supérieurs. [Traduction] « Les solutions rapides visant à obtenir le nombre voulu pour assurer la représentation entraînent souvent l’accumulation d’employés en quête d’équité dans des postes de niveau inférieur, avec un moral faible et une capacité limitée d’apporter des contributions positives, ce qui renforce encore les idées fausses et les stéréotypesNote de bas de page 89 ». Cela concorde avec les perceptions des membres réguliers autochtones interrogés pour ce projet, qui font remarquer qu’il y a des obstacles à l’avancement, y compris peu d’efforts de promotion de la mobilité, des possibilités de mentorat minimales en raison de la sous-représentation dans les grades supérieurs et le renforcement des stéréotypes négatifs sur la capacité et l’éthique de travail, ce dont il est question ci-dessous.

Selon le Recensement de 2016, Statistique Canada a déclaré que 51 495 personnes, soit 5,7 % de la population de la Nouvelle-Écosse, sont des Autochtones. On dénombre 25 380 personnes qui s’identifient comme Autochtone et 795 personnes qui s’identifient comme Inuit. On dénombre également 23 310 personnes qui s’identifient comme Métis, ce qui est source de controverse parmi les dirigeants des Premières Nations. Une proportion de 53,3 % de la population autochtone vit dans les collectivités rurales; 23,8 %, dans de petites agglomérations; et 22,9 %, dans de grandes agglomérations. Près de 60 % (59,9 %) des membres des Premières Nations ayant le statut d’Indien inscrit vivent dans une réserve, et 40,1 % vivent hors réserve. Les cinq principales régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement par identité autochtone sont Halifax (15 815), le Cap-Breton (7 675), Truro (2 455), New Glasgow (1 415) et Kentville (1 165)Note de bas de page 90.

La répartition selon l’âge maintient la tendance d’une population autochtone plus jeune, alors que 22,4 % de la population a 14 ans ou moins et que l’âge moyen des membres des Premières Nations est de 31,8 ans, comparativement à 43,5 ans dans la population non autochtone. Un peu plus de 20 % des membres des Premières Nations possèdent la capacité de converser dans une langue autochtone et environ 17 % des membres ont une langue maternelle autochtone, la plus courante étant le micmac, qui compte un peu plus de 4 300 locuteursNote de bas de page 91.

Aujourd’hui, la GRC fournit des services de police aux niveaux fédéral, provincial et municipal et a conclu des contrats pour desservir plus de 600 collectivités autochtonesNote de bas de page 92. Les ententes communautaires tripartites sont négociées entre le Canada, par l’entremise du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, la province, représentée par le ministre de la Justice et procureur général, et les bandes des Premières Nations, représentées par le chef et le conseil. Il n’y a pas d’ententes autogérées en Nouvelle-Écosse à l’heure actuelle. En ce moment, on compte sept ententes communautaires tripartites de services de police avec la GRC (ECT) et une avec la municipalité régionale du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse. Les chefs et les conseils reçoivent des rapports mensuels d’activités et d’appels des services de police.

Les processus de négociation et de renouvellement des ECT sont parfois controversés et incertains. Les Premières Nations du Mi’kma’ki ont connu de sérieuses lacunes de services entre la date de fin et le renouvellement d’un contrat. De nombreux facteurs ont une incidence sur le processus d’ECT : la confiance, les changements à la direction, les taux de roulement élevés au sein de la GRC et d’autres unités policières, les cycles électoraux, les taux de criminalité, l’évolution des lois, l’élaboration des règlements administratifs, la mise en œuvre des droits issus de traités, la capacité d’autodétermination, les paysages économiques et les changements démographiques. La précarité du financement et la confusion des compétences aux niveaux fédéral, provincial et local ajoutent aux défis de répondre aux attentes de la collectivité en matière de services de police et d’assurer un recrutement et un maintien en poste efficaces des agents autochtones. Conformément à la règle juridique relative au principe de Jordan, les collectivités réclament une égalité réelle et des services culturellement appropriés dans tous les secteurs.

Les ECT établissent le nombre d’agents affectés à une collectivité et les engagements de la GRC ou des services de police municipaux. L’objectif est de nommer des agents autochtones et ceux qui connaissent la culture et les circonstances uniques de la collectivité, mais rien ne garantit que ces postes seront comblés par des agents autochtones. Les ECT sont conçues pour être structurées de manière à ce que les agents affectés aux collectivités des Premières Nations consacrent 100 % de leurs heures de travail régulières aux besoins de la collectivité en matière de services de policeNote de bas de page 93. Les ECT exigent également la création de groupes consultatifs communautaires (GCC), composés d’un certain nombre de membres de la bande selon la taille de la collectivité, qui se réuniront régulièrement.  Les fonctions de ces groupes peuvent comprendre : 1) cerner les questions et les préoccupations relatives aux services de police de la Première Nation et les porter à l’attention de la GRC; 2) collaborer avec les membres de la GRC pour élaborer des objectifs, des priorités, des buts et des stratégies en matière de services de police communautaires; 3) participer à l’évaluation périodique des services de police pour régler des problèmes communautaires particuliers; 4) identifier les attributs souhaitables pour la GRC qui est déployée dans la collectivité; et 5) remplir le rapport annuel non financier dans lequel le GCC fournit une rétroaction sur les services de police dans la collectivité.  Les ECT exigent également que la GCC fournisse une lettre d’attentes aux agents de la GRC afin d’officialiser, par écrit, les attentes de la collectivité à l’égard des priorités en matière de services de police en ce qui concerne les types de services que la collectivité recevra ainsi que le type de relations de travail et d’expérience avec les agents de police affectés à la collectivitéNote de bas de page 94. Cette recherche a révélé que dans les collectivités où se trouve un groupe consultatif communautaire actif, inclusif et transparent, les collectivités estiment exercer un plus grand contrôle sur la nature et la qualité des activités policières.

Les membres de la police autochtone font état de préoccupations au sujet de l’auto-identification comme étant problématique et de l’utilisation possible de cette identité pour accéder aux emplois et aux possibilités réservés aux Autochtones. Au cours des dernières années, de nombreuses personnes se sont auto-identifiées comme Micmac ou Métis en Nouvelle-Écosse alors qu’elles n’avaient pas de revendication légitime de le faire. La nation micmaque entreprend un processus micmac destiné à définir son identité selon ses propres règles et à sa façon – wula na kinu « Voici ce que nous sommes ». Le processus d’inscription exige qu’une personne ait des liens ancestraux. L’ascendance démontrée d’au moins une des familles micmaques reconnues de la famille de la Nouvelle-Écosse est une règle d’admissibilité. Une deuxième règle est que la nation micmaque doit accepter une personne comme MicmacNote de bas de page 95.

La GRC compte sur des comités consultatifs nationaux pour discuter des problèmes et des obstacles en milieu de travail avec les employés qui s’identifient comme Autochtone. En 2017-2018, le conseil des employés autochtones de la GRC s’est concentré sur l’amélioration de l’accès aux services à l’appui d’interventions en santé mentale adaptées à la culture et pour générer une liste de cercles d’Aînés en vue d’encourager la consultation avec les collectivités autochtones. Il a effectué un examen du programme de mentorat de la GRC pour les demandeurs autochtones. Il existe également un Comité consultatif national du commissaire sur les questions autochtones qui donne des conseils sur le recrutement, la formation, les relations interculturelles et la prestation de services aux collectivités autochtones.

[Traduction] « Environ quatre-vingts personnes qui s’identifient comme Autochtone sont en fonction en Nouvelle-Écosse. De ce nombre, moins de vingt-cinq agents de la GRC s’identifient comme Micmac ayant des liens avec la communauté. Au moins sept membres micmacs qui sont en fonction depuis longtemps et à qui l’on fait grandement confiance prendront leur retraite prochainement, et très peu de recrues, s’il y en a même, s’identifient comme L’nu (Micmac)Note de bas de page 96. »

Les agents autochtones avec qui l’on a communiqué pour ce projet ont discuté de la façon dont ils adoptent les services de police communautaire et en comprennent l’utilité; toutefois, les exigences en matière de politiques et de formalités administratives rendent impossible le travail de la police communautaire sans l’appui et le respect de la haute direction. Les membres de la GRC et de la police municipale autochtones sont des experts locaux bien formés en matière de préparation aux situations d’impasse et de crise, mais ils sont frustrés par une chaîne de commandement qui entrave leur pouvoir discrétionnaire de diffuser efficacement les situations et par les exigences culturelles que leur imposent les collègues non autochtones qui s’attendent à ce que leurs collègues autochtones soient des traducteurs et des médiateurs culturels.

La Commission de vérité et réconciliation, qui enquête sur les répercussions du système canadien de pensionnats indiens, a publié son rapport en 2015 et a produit 94 appels à l’action qui ont mobilisé les gouvernements, les institutions et les organisations de partout au Canada pour qu’ils examinent leurs relations avec les peuples autochtones et créent des stratégies pour faire face aux préjudices intergénérationnels et systémiques qui sont la conséquence de la colonisation. La GRC et les ministères municipaux qui desservent les collectivités micmaques ont activement cherché des façons d’améliorer les relations.

La GRC de la Nouvelle-Écosse a dévoilé l’initiative Plume d’aigle en 2017, la première du genre au Canada, qui permet aux victimes, aux témoins et aux agents de police de prêter serment sur une plume d’aigle. Cette initiative était l’idée de la caporale de la GRC Dee-Anne Sack, membre micmac de la Division « H » et analyste des services de police autochtones. La plume, enveloppée dans un étui de tunique rouge, purifiée par la fumée pendant une cérémonie par l’Aînée Jane Abram, est présente dans chaque détachement desservant treize collectivités micmaques de la province. Les plumes d’aigle sont considérées comme un symbole sacré de la spiritualité des Premières Nations. Suivant l’exemple donné par la GRC, des plumes d’aigle étaient présentes dans tous les tribunaux du système judiciaire de la Nouvelle-Écosse en 2018.  Au cours du mois d’octobre 2018 consacré à l’histoire des Micmacs, la Division « H » a érigé un wigwam et a affiché une robe rouge pour honorer les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.  La caporale Sack a ensuite travaillé avec des détenteurs de savoir de sa communauté pour inculquer des enseignements sacrés dans la Division, et elle a dévoilé une suerie pour permettre aux membres autochtones et non autochtones de se réunir dans un espace très sacré afin d’apprendre et de vivre les cérémonies de guérison des MicmacsNote de bas de page 97. Bien que ce soient des étapes symboliques importantes qui mènent à la réconciliation, les collectivités micmaques, tant les membres des collectivités urbaines que ceux des réserves, se préoccupent de la qualité des services de police, de la diminution du nombre d’agents micmacs et du déclin des services de police communautaires. Parmi ceux qui ont conclu une ECT, certains se demandent également s’ils en ont pour leur argent.

Un groupe d’experts sur les services de police dans les collectivités autochtones a écrit au printemps 2019 que le PSPPN ne donne pas aux collectivités des Premières Nations un choix significatif quant à leurs modèles de services de police, leur gouvernance ou leurs mécanismes de financement et que l’avenir des services de police des Premières Nations doit se diriger dans une voie qui englobe l’autodétermination, un nouveau cadre de financement et une nouvelle relation renouveléeNote de bas de page 98.

Le lundi 3 juin 2019, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a présenté son rapport définitif, intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place. Les responsables de l’enquête ont critiqué les services de police du Canada, en particulier la GRC, et ils ont demandé aux éducateurs de la police d’enseigner à leurs membres l’histoire de la police dans le contexte de l’oppression et du génocide des peuples autochtones. Les responsables de l’enquête ont aussi constaté que « [d]es modes de pensée systémiques comme le racisme, le sexisme et le colonialisme mènent aussi à la violence institutionnelle. Cette forme de violence est perpétrée par des institutions, comme l’armée, l’Église, le système d’éducation, le système de santé, les services de police et les premiers intervenants, ainsi que par le système judiciaire. Le fait que ces institutions soient tenues en haute estime au sein de la société et qu’elles aient adopté des règles précises pour régir leurs activités peut facilement « normaliser » la violence institutionnelle. Ce faisant, elles sont plus difficiles à attaquer ou à modifierNote de bas de page 99. » La discrimination policière, les lacunes dans les services de police, les obstacles liés aux compétences, le taux élevé de roulement des fournisseurs de services et les graves problèmes de méfiance à l’égard de la police sont mis en évidence dans tout le rapport.

Dans ses principes pour le changement et ses 231 appels à la justice, la Commission plaide en faveur d’une approche décolonisatrice pour des solutions et des services culturellement sûrs, éclairés par les traumatismes, autodéterminés et dirigés par des Autochtones. Les appels à la justice 9.1 à 9.11 portent sur les services de police et demandent des améliorations et des changements quant au financement, au recrutement, à la formation, à la coordination des services et aux compétences culturellesNote de bas de page 100.

Dans sa lettre de mandat de décembre 2019 au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le premier ministre Trudeau a donné au ministre Blair la consigne suivante : « Avec le ministre des Services aux Autochtones, co-déveloper un cadre législatif qui reconnaît que les services de police des Premières Nations sont un service essentiel, et travailler avec les communautés intéressées pour accroître le nombre des communautés desservies par les services de police des Premières NationsNote de bas de page 101. »

Figure 1 : Services de police par collectivité dans le Mi’kma’ki
Collectivité Service de police :
Dans les réserves/hors réserve
GRC ou fournisseur municipal Distance du détachement par rapport à la collectivité
Acadia – Yarmouth no 33 Hors GRC Détachement rural de Yarmouth, 4km
Ponhook Lake no 10 Hors GRC Détachement de Bridgewater, 63 km
Medway no 11 Hors GRC Détachement de Liverpool, 31,8 km
Gold River no 21 Hors GRC Détachement de Chester, 10,3 km
Wild Cat no 12 Hors GRC Détachement de Liverpool, 47,8 km
Annapolis Valley – Cambridge no 32 Hors GRC New Minas, 18,6 km
St. Croix no 34 Hors GRC Windsor, 21,7 km
Bear River – no 6 Hors GRC Digby, 19,4 km
Bear River – no  6A Hors GRC Bridgetown, 30,6 km
Bear River – no6B Hors GRC Bridgetown, 25,2 km
Eskasoni - no 3, no 3a - CTA Dans GRC Dans la réserve, service 24 heures
Malagawatch no 4 Hors GRC We’koqma’q, 28,7 km
Glooscap no 35 Hors GRC Wolfville, 19,4 km
Membertou no 28b - CTA Dans Police régionale du Cap-Breton (PRCB) Bureau auxiliaire
Caribou Marsh no 29 Hors PRCB Membertou, 9,7 km
Sydney no 28A NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Malagawatch no 4 Hors GRC We’koqma’q, 28,7 km
Millbrook no 27 – ECT Dans GRC Dans la réserve
Millbrook no 27a, no 27b, no 27c NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Beaver Lake no 17 Hors GRC Sheet Harbour, 21,5 km
Cole Harbour no 30 Hors GRC Cole Harbour, 3,5 km
Sheet Harbour no 36 Hors GRC Sheet Harbour, 2,1 km
Paqtnkek no 23 Hors GRC Antigonish – 23 km
Franklin Manor no 22 NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Summerside no 38 Hors GRC Antigonish, 21,4 km
Pictou Landing – Fishers Grant no 24 – ECT Hors GRC Stellarton, 17,9 km (remorque dans la réserve)
Fishers Grant no 24g NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Boat Harbour no 37 NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Merigomish Harbour 31 NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Franklin Manor no 22 NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Potlotek - Chapel Island no 5 – ECT Dans Bureau satellite Office – GRC St. Peters, 10,5 km
Malagawatch no 4 Hors GRC We’koqma’q, 28,7 km
Sipekne’katik no 13 – ECT Hors GRC Enfield, 19,5 km
Indian Brook no 14 Dans GRC Dans la réserve
Pennal no 19 Hors GRC Chester, 33,5 km
New Ross no 20 NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ NON PEUPLÉ
Wagmatcook no 1 – ECT Dans GRC Bureau auxiliaire dans la réserve
Malagawatch no 4 Hors GRC We’koqma’q, 28,7 km
Margaree no 25 Hors GRC Inverness, 30 km
We’koqma’q no 2 – ECT Dans GRC Bureau auxiliaire dans la réserve
Malagawatch no 4 Hors GRC We’koqma’q, 28,7 km

Données colligées par Cheyla Rogers (2019).

6. Premières voix : Constatations tirées des entrevues et des cercles de collecte et de partage des connaissances

Entre septembre et décembre 2019, dix séances animées avec des membres des collectivités ont eu lieu à Sipekne’katik, à Wagmatcook, à Millbrook, à Membertou, à Paqtnkek, à Eskasoni (2 rassemblements), à We’koqma’q ainsi qu’à Kjipuktuk ou Halifax (2 rassemblements). Au départ, nous avions prévu huit séances, mais nous avons reçu des demandes directes de la Nova Scotia Native Women’s Association pour organiser un rassemblement à We’koqma’q et de la communauté des centres d’amitié pour organiser un deuxième rassemblement au centre d’amitié à Kjipuktuk. Environ 150 adultes qui s’identifient comme Micmac se sont joints à ces cercles de partage pour confier leurs expériences et leurs idées relatives aux services de police dans leurs collectivités. Plusieurs participants se sont identifiés comme Inuit et plusieurs encore se sont identifiés comme appartenant aux communautés bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexuelles et asexuelles (2ELGBTQQIA). Quinze autres personnes, dont la majorité étaient des Micmacs ayant une expérience des services de police, des dirigeants communautaires et des fournisseurs de services de justice et aux victimes, ont participé à des entrevues individuelles en tant qu’intervenants et experts en la matière.

Après avoir examiné l’invitation à participer et discuté des détails du projet, de la portée de la confidentialité et de l’anonymat, les rassemblements commençaient généralement par un Aîné qui guidait les participants lors de cérémonies de purification par la fumée et de prière. Nous nous sommes assis en cercles et les chercheurs ont expliqué le but du projet, passé en revue l’invitation à participer et confirmé le consentement des personnes à prendre part à l’exercice. À chaque ronde du cercle de partage, nous avons demandé aux participants de répondre à une série de questions. Nous avons demandé aux gens de partager leurs expériences d’interactions avec les services de police afin de déterminer les services qui fonctionnent pour eux, de décrire tous les défis, puis de suggérer des solutions pour améliorer les relations policières dans le Mi’kma’ki. Les cercles se sont conclus par une dernière ronde de réflexion sur les priorités communautaires en matière de services de police. Les participants ont été généreux et réfléchis dans leurs réponses, et bon nombre de conversations ont été émotionnelles et difficiles. Ce fut un honneur d’entendre leurs histoires sacrées.

Chaque collectivité du Mi’kma’ki, dans les réserves et hors réserve, est unique, et cette diversité doit être prise en considération au moment de l’élaboration et de la mise en œuvre de services de sécurité, de la réparation des torts et de la protection. Les réalités démographiques, géographiques, politiques, économiques, culturelles et sociales de chacune des 13 collectivités des Premières Nations du Mi’kma’ki et des populations vivant dans des centres urbains comme Halifax ont une incidence sur les types de services de police et de services désirés et requis.

Afin de préserver l’anonymat et la confidentialité des participants, les constatations des cercles de collecte et de partage des connaissances ont été colligées et organisées par thème. Après avoir transcrit et codifié les séances, un certain nombre d’enjeux clés ont été recensés comme étant d’expérience courante.

La première section fait état des pratiques et des politiques policières relevées par les participants de la région d’Halifax. Dans la deuxième section, nous présentons les constatations des participants situés dans les réserves. La troisième section traite des points de vue des agents d’application de la loi autochtones actuels et à la retraite.

Politiques et pratiques du Mi’kma’ki – les expériences d’Halifax

Dans la ville d’Halifax, la Mi’kmaw Native Friendship Society (MNFS) fait figure de centre de mobilisation des collectivités autochtones, offrant des programmes sociaux et culturels aux Autochtones, aux Inuits, aux Métis et à d’autres membres de la collectivité. L’organisme a ouvert ses portes le 17 septembre 1973 et est maintenant l’un des cent dix-neuf centres d’amitié affiliés à l’Association nationale des centres d’amitié à l’échelle du Canada. La Mi’kmaw Native Friendship Society a été constituée en personne morale le 2 juin 1975 et offre depuis des services de soutien, un aiguillage et des programmes à tous les Autochtones vivant en milieu urbain. Il s’agit d’une société sans but lucratif, élue par un conseil d’administration communautaire, qui agit à titre de centre d’amitié et de fournisseur de services pour le Mi’kmaq Child Development Centre et le Kjipuktuk Aboriginal College, en plus de faire office de centre de connexions de carrière pour le soutien à l’emploi.

En plus des programmes de base, le centre applique également le caractère distinctif culturel de la population autochtone urbaine en intégrant à ses modèles de prestation des composantes des connaissances et des pratiques autochtones. La mission de la MNFS est d’offrir des programmes sociaux structurés aux Autochtones vivant en milieu urbain à Halifax et d’offrir un lieu de rassemblement sécuritaire à la communauté urbaine pour les événements d’échanges culturels. La MNFS applique une politique portes ouvertes : les services sont offerts à tous, peu importe leur origine ou leur appartenance culturelle. Le centre se consacre à favoriser le bien-être et la résilience et à améliorer la vie des Autochtones vivant dans un milieu urbain grâce à des programmes sociaux et culturels. La Société crée un environnement d’inclusion, d’ouverture, de transparence et de responsabilité, et elle s’engage à travailler de façon respectueuse et adaptée aux besoins de la collectivité.

 La force policière qui dessert le centre est la Police régionale d’Halifax (PRH), dont le quartier général se trouve à deux pâtés de maisons du centre-ville. Un nouveau chef de police a été assermenté au mois de juillet dernier. Au moment d’écrire ces lignes, le chef n’avait pas encore communiqué avec le centre d’amitié. Le personnel du centre a remarqué un changement dans l’attitude des clients à l’égard de la police au cours des dernières années. Par le passé, quand la police arrivait au centre, les gens couraient et se cachaient et évitaient tout contact à tout prix. Aujourd’hui, les agents de police communautaires sont les bienvenus dans le centre. Ils sont invités et encouragés à participer aux pow-wow, aux fêtes, aux rassemblements culturels et aux événements offerts par le centre. Le personnel du centre aimerait que l’on observe une plus grande présence des agents, qui pourraient passer prendre le thé pour avoir des conversations décontractées avec les clients du centre ou participer aux nombreuses activités comme moyen d’améliorer la confiance ainsi que leur sensibilisation culturelle aux peuples autochtones, inuites et métis vivant dans la ville. Le centre organise des marches annuelles pour commémorer les femmes et les filles disparues et assassinées dans le cadre de la campagne Sœurs par l’esprit, et il organise une marche en l’honneur de la regrettée Tanya Brooks. Les agents qui ont pris part à l’enquête Brooks assistent aux cérémonies, et la collectivité leur sait gré de leur soutien.

Le maintien de relations positives et de confiance est une responsabilité mutuelle, mais la communauté du centre d’amitié a tendance à porter le fardeau. Une fois les liens de confiance sont renforcés et que des ressources sont obtenues, le centre d’amitié pourra peut-être aider à recruter de futurs membres, poursuivre des activités de formation culturelle, aider les services de police à s’orienter au cours des processus de justice réparatrice et à y participer et établir des partenariats avec d’autres services communautaires pour prévenir le crime et réduire la violence contre les femmes, les hommes et les personnes 2ELGBTQQIA et ainsi avoir une incidence positive sur la représentation des Autochtones dans le système de justice canadien.

À l’heure actuelle, le personnel du centre d’amitié n’est pas au courant d’agents autochtones qui desservent la région, mais il connaît bien un agent communautaire bien aimé qui participe effectivement à certains événements.

Ressources du centre d’amitié destinées à la police

L’une des plus grandes ressources que fournit le Mi’kmaw Native Friendship Society est l’accès à une famille autochtone urbaine. La MNFS est un lieu qui relie les peuples autochtones ensemble et avec leurs cultures. Au cœur des cultures autochtones se trouve la parenté. Les liens familiaux et culturels sont à la base du mieux-être du bien-être, selon les participants aux programmes et services. Depuis plus de quarante ans, le SFPN offre un certain nombre de programmes pour aider les personnes à produire des familles saines et, par conséquent, les programmes et les personnes ont créé un réseau de parenté autochtone urbain sain où la MNSF sert de base d’accueil. Des générations de familles sont entrées au centre d’amitié et beaucoup d’entre elles continuent d’être actives dans la communauté urbaine.

Un Aîné du centre d’amitié est coprésident du groupe de travail sur la diversité policière pour la PRH. L’Aîné est souvent appelé à des réunions de police et à des cérémonies de remise des diplômes des cadets pour tenir des prières d’ouverture et pour aider à honorer les agents morts dans l’exercice de leurs fonctions. Le centre d’amitié a dispensé une formation en littératie et en compétence culturelles à plus de 1 200 agents de police. Les Aînés employés par le centre ont conçu un programme de deux heures qu’ils appellent Native 101. Dans le cadre de leur perfectionnement professionnel, les agents se renseignent sur la purification par la fumée, la gestion adéquate des sacs de médecine et d’autres objets sacrés, les styles de communication, la langue et les pensionnats. Au cours des dernières années, les Aînés ont mené plus de 350 « exercices de couverture » de KAIROS avec des cadets dans le cadre de leur formation d’une journée sur la diversité.  Bien qu’ils soient heureux de mener les activités de sensibilisation et d’offrir la formation, ils estiment que les séances de formation sont trop courtes et donc trop superficielles pour aborder les questions profondes qui amènent les peuples autochtones à avoir un contact élevé avec les organismes d’application de la loi. Idéalement, tous les agents qui servent les collectivités autochtones devraient suivre une formation approfondie à long terme avant de pénétrer dans les collectivités urbaines ou dans les réserves. La salle de classe est très différente de la rue. Les programmes de formation devraient être conçus avec la population locale et être expérimentaux et immersifs, en remplissant un rôle pour interagir avec ceux qui souffrent de santé mentale, de toxicomanies, de traumatismes intergénérationnels et de pauvreté et ceux qui sont des locuteurs micmacs.

La formation devrait être continue pendant la carrière des agents d’application de la loi. [Traduction] « On ne peut pas tout apprendre en une seule séance [...] une formation adéquate ne consiste pas seulement à cocher une case ». Les Aînés suggèrent que tous les détachements devraient avoir un conseiller autochtone pour les aider lorsqu’ils parlent avec les victimes ou qu’ils négocient pendant des manifestations. La présence d’Aînés et de gardiens du savoir qui respectent et comprennent la complexité des situations, les réseaux de parenté ainsi que les questions politiques, sociales et de traités peut grandement contribuer à désamorcer les situations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des réserves.

Seven Sparks Healing Path

Le programme Seven Sparks Healing Path est offert par le Mi’kmaq Friendship Centre à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le Groupe de la politique correctionnelle autochtone (GPCA), une division de Sécurité publique Canada, a financé Seven Sparks à titre de projet de démonstration destiné à favoriser la guérison et la réinsertion sociale des délinquants autochtones sous responsabilité fédérale après leur mise en liberté, conformément aux objectifs de l’Initiative sur les services correctionnels communautaires destinés aux Autochtones (ISCCA) en réduisant la récidive chez les délinquants autochtones et en appuyant les processus de guérison individuels, familiaux et communautaires. Après un arrêt perturbateur, le programme est en est à deuxième version grâce au financement de la Province. L’interruption de service est particulièrement difficile pour les personnes les plus vulnérables, celles qui commencent un voyage de guérison au moment où elles passent de la prison à la collectivité. Seven Sparks offre une précieuse reconnexion après l’incarcération par l’intermédiaire de cercles de discussion, d’enseignements culturels et de l’apprentissage des terres. Un aspect crucial de Seven Sparks est que le programme fait office de passerelle vers les cérémonies de guérison (suerie, purification par la fumée, etc.) auxquelles les détenus sont exposés en prison, mais auxquelles ils n’ont généralement pas d’accès soutenu après leur mise en liberté. Des études ont révélé que le maintien de liens spirituels et cérémoniels appris en prison est essentiel à la réussite de la réinsertion sociale. Cela aide également les clients à s’orienter dans les programmes de santé urbaine, d’éducation, d’emploi, de logement et de toxicomanie. La constance du programme et la prévisibilité de sa disponibilité sont essentielles à la réussite de la réduction des méfaits, à la lutte contre la récidive et à la facilitation de la réinsertion sociale positive.

La Police régionale d’Halifax (PRH) comptait deux agents communautaires qui ont participé au programme initial et siégé au comité consultatif de Seven Sparks, mais ces agents ont été transférés et aucun remplaçant n’a été établi. Dans le cadre de la redynamisation du programme, il n’y a eu aucun contact avec le PRH pour pourvoir les postes. Il s’agit d’un défi commun où les programmes autochtones sont reliés à un financement à court terme et disposent de ressources limitées pour maintenir des relations avec les services de police chaque fois qu’un mandat, un changement de programme ou des fonds de projet sont épuisés. Les fournisseurs de services indiquent qu’ils aimeraient que les services de police soient proactifs en engageant les agents communautaires à communiquer régulièrement avec eux et à participer à leurs programmes plutôt que d’avoir le fardeau de la sensibilisation imposée aux fournisseurs de services autochtones. De meilleures voies de communication sont nécessaires pour surmonter les obstacles et les lacunes que crée le roulement de personnel, et ce devrait être une question de fonctionnement quotidien, pour un commandant, que de s’assurer que la sensibilisation communautaire se déroule régulièrement et fréquemment et a une incidence.

Seven Sparks a établi de solides relations avec les services de libération conditionnelle et de probation, car la confiance s’est accrue en même temps que la constance du programme et l’efficacité accrue des audiences de libération conditionnelle assistées par la collectivité. Les clients à risque élevé viennent au centre avant leurs audiences pour obtenir une orientation sur les permis d’absence temporaire avec escorte. Les relations positives entre les services de police favorisent la libération conditionnelle et la probation assistées par la collectivité. Les agents de libération conditionnelle et de probation trouvent que l’approche du cercle de discussion est utile pour réduire l’isolement des agents à l’aide d’une prise de décision collective et collaborative. Cette approche permet de partager la responsabilité de la prise de décisions concernant les ordonnances de libération conditionnelle et de donner au délinquant une responsabilité plus significative devant la collectivité, et non seulement devant le système.

Les responsables de Sept Sparks aimeraient que la GRC et la PRH participent au travail de guérison terrestre de leurs clients. Les agents communautaires pourraient se joindre aux sorties de cueillette d’herbe sainte et dans les sueries sans le port de l’uniforme, de sorte que les clients et les agents puissent se rencontrer dans des contextes positifs et sécuritaires. Les responsables du programme aimeraient également organiser des séances de mobilisation et des cercles de discussion avec des clients volontaires afin que ces derniers puissent exprimer leur expérience de la police et ainsi aider les services de police à comprendre comment les aborder et à lutter contre le racisme perçu qui est enraciné dans les traditions locales.

De nombreux clients du centre d’amitié et des collectivités des réserves bénéficieraient d’une meilleure compréhension de la loi. Les agents pourraient se rendre au centre et offrir des pavillons d’apprentissage sur les rôles et les limites de la police, sur la façon de signaler un crime, sur ce à quoi s’attendre lorsque l’on signale un crime, sur ce qui arrive lorsque l’on est accusé d’un crime, sur la façon d’éviter d’être inculpé, et ainsi de suite, avec ceux qui sont prêts à participer. Les agents auraient intérêt à en apprendre davantage sur les changements en cours dans la législation sous l’angle des répercussions sur les peuples autochtones. Les pavillons d’apprentissage sur les ordonnances de protection d’urgence, les règlements administratifs, les lois sur la protection de l’enfance, les biens immobiliers matrimoniaux, l’imposition, les droits issus de traités et les droits de subsistance, et la façon d’appliquer les lois et de protéger les peuples autochtones dans l’exercice de leurs droits, sont tous des sujets à envisager. Des ententes de service définies ou des ECT entre la PRH et la GRC et le centre d’amitié peuvent contribuer à mettre en place un cadre de travail collaboratif pour recruter des agents autochtones, répondre aux besoins des victimes, réduire le crime, améliorer la capacité culturelle des services de police et répondre substantiellement aux appels à l’action et aux appels à la justice de la CVR et de l’ENFFADA.

Services aux victimes

L’obtention de ressources adéquates, prévisibles et durables pour les services aux victimes autochtones constitue depuis longtemps un défi pour les Micmacs. La demande de services ne cesse d’augmenter et les services aux victimes non autochtones, débordés de leur propre charge de travail, n’ont pas la capacité culturelle ou les ressources adéquates pour aider les survivants autochtones avec leurs expériences uniques et complexes. Le centre d’amitié a récemment établi un partenariat avec le Conseil consultatif sur le statut de la femme de la Nouvelle-Écosse, Elizabeth Fry et le Mi’kmaw Legal Support Network (MLSN) pour financer le poste de navigateur du soutien aux victimes. Le navigateur reçoit des aiguillages de l’Avalon Sexual Assault Centre, de la Police régionale d’Halifax, d’universités urbaines et du MLSN. Il existe une politique portes ouvertes et les clients rencontrent une personne de soutien au triage qui aide les nouveaux arrivants à trouver des ressources. Une partie du rôle du navigateur consiste à développer des réseaux de soutien et à sensibiliser les gens aux programmes du centre d’amitié. La navigatrice actuelle est également membre du Nova Scotia Trafficking Retirement Partnership (NSTEP), un groupe de défense du YWCA fondé sur des pratiques féministes qui cherche à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté, de l’inégalité et de la violence. Le titulaire du poste de navigateur travaille en étroite collaboration avec la GRC et la PRH. La navigatrice actuelle est une ancienne membre d’un service de police tribal et a généreusement partagé ses points de vue sur les perceptions des femmes autochtones en matière de services de police.

Mes clients diraient que 90 % de leurs expériences de la police sont négatives. Ils ont des relations de violence et lorsqu’ils appellent la police, ils ont l’impression d’être traités de façon irrespectueuse et discriminatoire. Parce qu’ils se sont défendus, ils sont accusés et traités comme les coupables, et il y a beaucoup de méfiance en raison des interactions négatives. Ils préfèrent ne pas appeler la police. Quand on parle du taux élevé de personnes disparues ou assassinées, le taux élevé est dû à une interaction policière négative. La police ne prend pas cela au sérieux, ou elle dit que peut-être que la personne est saoule et qu’elle reviendra quand elle sera sobre ou à court d’argent. Les gens ont l’impression qu’ils ne sont pas entendus ou respectés ou que la police prend le parti de l’autre personne. J’ai entendu un certain nombre de femmes dire qu’elles n’appelleraient pas la police la prochaine fois.

Il est essentiel d’améliorer les relations entre les femmes, les hommes et les personnes 2ELGBTQQIA du centre d’amitié, d’une part, et la PRH et la GRC, d’autre part. La navigatrice offre une formation sur la sensibilisation culturelle et des exercices de couverture. Elle souligne la nécessité d’une formation des agents sur la façon d’établir le premier contact avec les femmes autochtones en situation de crise, et elle aimerait créer une formation qui contextualise les expériences autochtones de victimisation et de criminalisation.

Il est très difficile d’aider les femmes qui fuient la violence. Si elles disposent d’une ordonnance de protection d’urgence, et si elles ont de mauvaises interactions avec la police, elles n’appelleront pas la police si la personne enfreint l’ordonnance. Elles craignent d’être jugées et craignent que leurs enfants soient appréhendés. Briser le cycle est très difficile. Beaucoup de femmes reviennent (auprès de partenaires violents), et à cause des pensionnats, il y a beaucoup de violence à la maison. Lorsqu’il y a de la violence à la maison, la police est obligée par la loi de faire appel aux services d’aide à l’enfance. Les femmes font l’objet d’une surveillance, et même si elles font tout ce qu’elles sont censées faire – du counseling, des programmes, du soutien culturel et ainsi de suite –, elles n’ont toujours pas de répit et elles sont piégées dans le système. 

Les clients du centre d’amitié passent par le Tribunal chargé des causes de violence familiale (CVF). Le Tribunal chargé des CDF a procédé à une formation sous forme d’exercice de couverture afin de renforcer ses capacités, mais, tout comme la police, il a besoin d’une formation élargie, adaptée à la culture et tenant compte des traumatismes. La navigatrice souligne qu’il faut éliminer les obstacles qui empêchent les femmes de traverser le système. [Traduction] « Elles se battent contre la santé mentale, la toxicomanie, peut-être qu’elles ont des problèmes de compétences de vie et d’éducation ou qu’elles viennent d’un foyer où il y avait beaucoup de violence. Nous devons pouvoir respecter cette femme pour l’aider. Il y a beaucoup de racisme et de discrimination qui sont bien vivants dans la MRH, et ces femmes y sont confrontées tous les jours. »

Les nombreux défis liés à l’absence de signalement par les peuples autochtones, dans les réserves et hors réserve, sont reliés à la confiance et à la peur. La navigatrice de soutien aux victimes aimerait créer un espace sécuritaire pour le signalement au centre d’amitié, où les femmes pourraient rencontrer les agents en toute sécurité et avoir du soutien avant, pendant et après leur signalement. Cela nécessiterait des changements novateurs à la façon dont la police reçoit et prend les déclarations. La PRH envoie effectivement des agentes au centre pour aider les femmes victimes d’actes criminels, ce qui est fort apprécié. La police est encouragée à permettre aux personnes de soutien d’être présentes lorsque les victimes donnent leur déclaration. [Traduction] « La présence d’une autre personne autochtone dans la salle peut favoriser un climat de calme. »

Nous devons parvenir à un stade où, lorsqu’il y a une urgence, les femmes n’hésiteront pas à appeler la police. Il y a tellement de gens qui ne font pas de signalement. La méfiance est un problème sous-jacent. Si quelqu’un est visé par une ordonnance pour l’alcool ou les drogues, ou encore par un couvre-feu, et que quelque chose se produit, cela (ces conditions) empêche beaucoup de gens de faire un signalement. La police pourrait changer ses politiques, mais cela dépend des agents individuels, s’ils sont au courant des traumatismes, s’ils ont cette sensibilité dans leur façon d’aborder les femmes autochtones et de leur parler. Parfois, ils sont froids et insensibles et ils inversent la responsabilité : buviez-vous, que portez-vous, l’aviez-vous provoqué? Comment peut-on changer la façon dont la police interagit avec les femmes? Il faut plus de formation, plus de sensibilité culturelle. Beaucoup d’agents sont de la vieille école. La formation de nouveaux agents est un moyen spécifique à prendre. Peut-être que la formation à la Division Dépôt comprendra une plus grande sensibilité culturelle.

En ce qui concerne la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées, dans ses recommandations, la navigatrice [Traduction] « espère que la police et les hauts dirigeants les liront afin qu’ils puissent établir une relation avec nos collectivités. La vérité et la réconciliation sont vraiment importantes, mais ce sont leurs actions, il y a encore beaucoup de racisme. Il y a encore beaucoup de gens qui pensent que “nous devrions simplement passer à autre chose et être comme eux” ».

Unités de liaison pour l’information à l’intention des familles (ULIF) de la Nouvelle-Écosse

En partenariat avec les ministères fédéral et provincial de la Justice, la Nova Scotia Native Women’s Association appuie l’Unité de liaison pour l’information à l’intention des familles, un nouveau point de contact unique pour aider les familles à accéder à l’information disponible sur leurs proches disparus et assassinés provenant de multiples sources gouvernementales (police, poursuites, services correctionnels, services sociaux, protection de l’enfance, santé et autres ULIF). Le coordonnateur des cas pour les victimes autochtones et le spécialiste de la sensibilisation communautaire viennent en aide à tout membre de la famille (lien du sang ou non) qui demande de l’aide afin de recueillir des renseignements précis sur l’enquête policière, les procédures judiciaires, les enquêtes d’examinateurs médicaux ou les enquêtes de coroner. Ils mettent en contact les familles avec les Aînés et les gardiens du savoir autochtone, les guérisseurs et les services de counseling et de soutien en traumatologie traditionnels, et ils collaborent avec les unités de liaison d’autres administrations qui peuvent avoir de l’information. L’ULIF oriente vers l’organisme approprié les personnes qui souhaitent déposer une plainte officielle pour inconduite professionnelle, mais elles ne mènent pas d’enquête, ne fournissent pas de conseils juridiques et ne participent à aucune procédure judiciaire.

Les travailleurs de l’ULIF fournissent aux membres de la collectivité des listes de vérification, des fiches de description détaillées, des journaux de communications, des modèles d’avis aux médias et d’affichages ainsi que des conseils en matière de prévention et de sécurité. Ils disposent d’un guide pour collaborer avec la police et savoir à quoi s’attendre, quoi préparer et comment avoir une relation positive en encourageant les gens à [Traduction] « essayer de traiter de façon claire et respectueuse avec la police. S’il vous arrive d’être préoccupé au sujet du comportement de la police, vous serez mieux en mesure de répondre à votre préoccupation si vous pouvez démontrer que vous avez fait votre part pour établir une relation positive avec la police. »

À quoi s’attendre : vous avez des droits; demandez le nom et le numéro d’insigne de votre personne-ressource de la police, demandez le numéro de dossier du cas, demandez le suivi que fera la police, demandez si des cas similaires ont été signalés; vous pouvez donner votre consentement à ce qu’on vérifie si l’identité de votre être cher a été utilisée à l’échelle nationale (permis de conduire, cartes de crédit et cartes bancaires); appelez le service des personnes disparues avec votre numéro de cas et demandez des mises à jour ou des renseignements; demandez à la police d’effectuer des mises à jour médiatiques ou de publier des vidéos Échec au crime ou encore de lancer d’autres campagnes de sensibilisation; essayez de vous souvenir des petits détails : [Traduction] « même les petits détails peuvent être très importants pour la police, alors n’hésitez pas à tout lui dire »; posez des questions, demandez si l’on devrait offrir une récompense, faites que la police prenne conscience des détails, car cela peut avoir une incidence sur le nombre de tuyaux. La police n’est pas responsable d’offrir des récompenses et ne communiquera pas les détails de la récompense offerte.

Le spécialiste de la sensibilisation communautaire a communiqué avec les détachements de police de l’ensemble de la province afin de mieux faire connaître le programme des ULIF et a reçu l’appui d’environ 50 % des personnes rejointes. La réaction des autres 50 % était froide et dénuée d’intérêt à établir un rapport avec le service.

Encore une fois, le plus grand enjeu exprimé est celui de la confiance. Les familles sont impatientes de recevoir des renseignements, mais elles ne veulent pas non plus communiquer avec la police en raison du manque de confiance. Dans le cadre du travail de soutien, les familles se plaignent d’avoir à faire pression pour obtenir des mises à jour et que le délai entre les mises à jour est trop long. Elles indiquent souvent que leur dossier ne fait pas l’objet d’une enquête approfondie, mais que si elles expriment de la frustration, les relations se détériorent rapidement. L’agent de liaison tente d’atténuer la charge de travail de la police en aidant les parents à faire le deuil et en encourageant la police à faire preuve de compassion, mais il constate que la police ne démontre pas de sensibilité envers les familles, qu’elle semble figée, qu’elle juge et qu’elle a encore besoin de plus de formation pour comprendre la stigmatisation, les réseaux de parenté et comment surmonter la perception selon laquelle elle ne se soucie pas de ces personnes. La police ferait bien de prendre le temps de s’asseoir avec les familles, d’expliquer le processus, d’engager le dialogue avec la personne plutôt que de lui dire ce qu’il en est, d’utiliser une terminologie non technique et non juridique, de faire preuve de patience, de s’assurer que les personnes comprennent ce qui se passe et ce qui va suivre, d’encourager les familles à se rassembler en groupe pour rencontrer la police pour les mises à jour, d’établir des prises de contact régulières. Les appels de service brusques vont à l’encontre de la nature dialogique de la culture et donnent aux gens le sentiment que leurs affaires ne sont pas importantes. Des ateliers axés sur le deuil et le traumatisme sont recommandés pour aider la police à améliorer sa prestation de services. Les agents de liaison permettent également d’accéder à la guérison et aux cérémonies traditionnelles pour les victimes, et ils peuvent servir d’intermédiaires pour les agents de police à la recherche de tels services. Le financement du programme devrait prendre fin en mars 2020.

En ce qui concerne la communication avec les membres de la famille, il est important de faire le lien entre ce qui constitue un crime et les droits individuels à la vie privée. Ce n’est pas un crime que d’être disparu. Les adultes peuvent choisir de quitter la maison et de rompre tout contact avec leurs amis et leur famille. L’application de la loi est limitée quant à ce qui peut être fait dans ces situations. Même si les organismes d’application de la loi retrouvent une personne disparue, ils ne peuvent pas divulguer d’information au sujet de cette personne sans l’autorisation précise de cette personne. Les membres de la famille qui signalent des personnes disparues doivent comprendre ces questions au début de leurs interactions avec la police. La police doit mieux aider les gens à établir des attentes raisonnables quant à ce que la police peut réellement faire.

Les voix des collectivités dans le centre d’amitié

Dans les cercles de partage, il y avait des personnes qui avaient été arrêtées, qui avaient purgé une peine d’emprisonnement ou dont des membres de la famille avaient été arrêtés. « Je n’ai pas confiance dans les policiers » est la déclaration qui revenait le plus souvent tout au long de cette recherche à l’intérieur et à l’extérieur des réserves. Les clients de Seven Sparks et des services aux victimes et de nombreux clients d’autres programmes du centre d’amitié entretiennent des relations historiques avec la police et souhaitent généralement éviter toute interaction future. Ce sont souvent des expériences traumatisantes qui sont aggravées par des expériences intergénérationnelles de conflits policiers avec des membres de la famille élargie, les parents, les grands-parents, et ainsi de suite. Les détails avec lesquels les gens ont décrit leurs rencontres avec la police illustrent des exemples de mauvais traitements. Les hommes et les femmes qui avaient fait plusieurs séjours en prison ont partagé dans les cercles leur sentiment d’être ciblés et harcelés par la police. Les personnes qui ont été arrêtées en raison de leur rôle dans la protection des droits issus de traités se sentent constamment sous surveillance et sont particulièrement sur la défensive et méfiantes face à la police.

La majorité des participants ont indiqué qu’ils ont des problèmes de santé mentale et qu’ils ont des difficultés avec les toxicomanies et préféreraient traiter avec les agents de police autochtones et d’autres agents de police qui comprennent les toxicomanies et qui ont une formation en santé mentale. « Il vaudrait mieux mettre en liberté les gens sans problèmes d’alcool; on envoie les gens tout droit à l’échec » est un sentiment couramment entendu, et les gens sont frustrés par la criminalisation de leurs dépendances et de leur santé mentale.

Les femmes ont clairement exprimé le besoin d’une formation éclairée par les traumatismes, et elles se sentent plus à l’aise avec les agents qui ont été « instruits sur nous en tant qu’Autochtones ». Les jeunes femmes ne se présentent pas à la police, ne la considérant pas comme une option sûre, ce qui crée une lacune de sécurité. Si la réponse de la police ne fonctionne pas, quelle devrait être l’alternative? Les jeunes femmes autochtones et les personnes 2ELGBTQQIA sont particulièrement vulnérables à la violence. Il arrive de plus en plus que des femmes soient accusées de violence domestique si elles sont la partie la plus émotionnelle (c’est-à-dire, la moins rationnelle) ou si elles semblent être un agresseur dominant. La police ne dispose pas d’une formation en analyse comparative entre les sexes, et les stéréotypes qui font que des incidents soient définis comme des « cas classiques de femmes méprisées » apparaissent toujours dans les dossiers. La police est également contrainte par des politiques qui ne lui donnent pas d’autre choix que de porter des accusations et qui l’obligent à s’appuyer sur de tels stéréotypes pour justifier leurs actions. En général, il y a un manque de compréhension des facteurs sous-jacents des expériences des victimes et des agresseurs autochtones.

Il y a des agents spécialisés pour les tribunaux de santé mentale, mais il faut plus d’éducation pour les agents dans la rue. Les agents de l’unité mobile des services aux victimes et les membres de l’équipe des agressions sexuelles ne sont pas tous informés par les traumatismes. Dans plusieurs cas dont on a discuté dans les cercles, la police a été extrêmement grossière et les femmes qui ont raconté leur histoire ont affirmé avoir été étiquetées, stigmatisées et « malmenées ». Les femmes ayant un passé criminalisé se sentaient particulièrement vulnérables à un traitement négatif. Les femmes ont également fait part de situations d’intimidation par la police pour les amener à témoigner contre les agresseurs dans les affaires de violence familiale, et plusieurs ont dit qu’elles étaient menacées d’accusations si elles ne témoignaient pas.

Plusieurs femmes se sentaient négligées par la police dans leurs expériences de victimisation sexuelle. Des commentaires comme « ils ne me croyaient pas » ou selon lesquelles la police avait supposé « qu’elle pensait que je l’avais cherché » ou rejeté leurs allégations parce que « vous étiez ivre » étaient omniprésents. Les personnes ont signalé que la police n’avait pas recueilli de preuves en temps opportun ou de façon professionnelle lorsqu’elles avaient été agressées sexuellement. Il est important de comprendre le lien entre le fait d’être étiqueté comme étant un criminel et la victimisation sexuelle, et les conséquences que cela a sur la procédure policière. Les femmes veulent plus d’agentes et plus de femmes dans les grades supérieurs.

Le premier contact de la police sur les lieux d’un incident est un moment critique. Les participants veulent que les agents considèrent que la personne qu’ils abordent est probablement une personne qui a subi un traumatisme historique de brutalité policière et tiennent compte de la souplesse et de l’adaptabilité pour être moins menaçant ou biaisé. Nombreux sont ceux qui ont signalé que les agents qui les abordent avec une autorité conflictuelle aggravent automatiquement une situation. Ceux qui abordent une situation avec une approche dialogique ont tendance à résoudre les problèmes en causant moins de torts.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, il est fréquent que les gens ne signalent pas qu’ils ont été victimes d’actes criminels, et il est encore plus difficile pour les gens de signaler les mauvais traitements par la police. La perception de la police en tant qu’une autorité intouchable est largement répandue. Par exemple, [Traduction] « Je n’ai jamais reçu de traitement équitable de la part de la police.  Je n’ai rien de positif à dire à son sujet. Avec la maturité, je ne la considère pas comme des personnes; je la vois comme un tout; je pense que c’est le gang le plus grand. »

D’autres se méfient beaucoup de la surveillance policière et de la tenue de dossiers. Certains clients du centre d’amitié ont exprimé leur inconfort à l’égard de ce qu’ils ont décrit comme du profilage dans leurs fiches du Centre d’information de la police canadienne (CIPC). [Traduction] « Ils ont mis dans vos documents des choses qui ne sont pas vraies, sans preuve. Ils ne vous traitent pas comme un être humain. Une fois que vos renseignements sont dans le système, ils vous suivent. Cela donne aux gens l’occasion de se retrouver dans une situation avec le cœur au racisme. »

Souvent, les gens ont parlé du racisme qu’ils ont observé et plusieurs ont l’impression que la police qui travaille dans la ville [Traduction] « ne veut rien avoir à voir avec nous. Ils nous disent :“Retourne à la réserve.“ Je leur dis qu’ils se trouvent dans ma réserve. »

Parmi leurs conseils aux agents de police, les clients du centre d’amitié encouragent les agents à parler avec les gens des causes profondes de leurs crimes et à éviter d’utiliser des sirènes et de faire usage de la force. Si une personne doit être interrogée, le faire dans un endroit sûr. Les gens comprennent les limites du travail et reconnaissent leurs responsabilités qui leur incombent lorsqu’ils se comportent de manière désordonnée, mais ils préféreraient que la police « ne soit pas si sûre d’elle ». Les participants de ces cercles aimeraient s’asseoir en cercle avec les policiers pour partager leurs expériences « afin qu’ils puissent mieux savoir qui nous sommes et arrêter de nous juger ».

Le processus de plainte de la police était un sujet populaire dans les cercles. Un grand nombre de personnes qui avaient formulé des plaintes ne savaient pas comment lancer une plainte. Pour celles qui avaient déposé une plainte ou qui voulaient déposer une plainte, il a été conclu que le délai était déraisonnable et on a demandé que la politique soit modifiée afin de prolonger le délai. Il est peu probable que les personnes qui souffrent d’un traumatisme aient les ressources nécessaires, psychologiques autant que matérielles, pour les soutenir au cours du long processus.

L’idée d’établir un centre d’amitié s’appuyant sur l’agent de liaison communautaire avec la GRC et la MRH était largement appuyée. L’agent de liaison contribuerait à signaler et à réduire l’intimidation et la peur face à la police. L’agent de liaison, de façon analogue au rôle de service aux victimes, pourrait travailler avec les agents de police communautaires. Une autre suggestion était de créer une ligne téléphonique d’urgence pour les femmes autochtones, qui seraient mises en communication avec des femmes autochtones spécialisées dans la première intervention et l’intervention en cas de crise.

À l’unanimité, les participants à ce projet demandent un pavillon de guérison urbain avec une suerie communautaire et un accès aux enseignements d’Aînés. Un Aîné et un pavillon à temps plein pourraient aider tous les fournisseurs de services et faciliter le modèle de soins continus pour les Autochtones utilisé par le Service correctionnel du Canada à mesure que les gens réintègrent des collectivités en santé. Les maisons de transition desservant des clients autochtones se trouvent souvent dans des zones grises en matière de compétences alors que le gouvernement provincial ou fédéral manœuvre pour éviter le financement direct. Les catégories utilisées pour définir les services et leurs critères d’admissibilité sont un problème lié aux politiques qui impose des contraintes aux clients autochtones cherchant à accéder aux services de guérison dont ils ont besoin.

Un pavillon de ressourcement urbain pourrait constituer un terrain de formation pour tout le personnel de police et un centre d’échange culturel et de prévention du crime. L’affectation de ressources aux pavillons de ressourcement aura une incidence sur la délinquance parce qu’un tel pavillon contribue à atténuer les expériences de culpabilité, de honte, de colère et de frustration à mesure que les gens quittent les établissements. Les pavillons, comme le centre d’amitié, offrent un accès à des réseaux familiaux sains. Les services d’accueil et les services de protection de l’enfance sont considérés comme une filière de prisons. Pour assurer la guérison individuelle et collective, il est essentiel de redonner de la vigueur aux réseaux de parenté pour ceux qui ont vécu le système de placement en famille d’accueil. Le fait de discuter des enjeux par l’entremise des Aînés diminue également les taux de suspension, selon les agents de libération conditionnelle. Un pavillon pourrait offrir une tribune pour la justice réparatrice et les services de justice holistique. Les services de police ont un rôle de soutien important à jouer dans ce réseau de parenté.

Mi’kmaw Legal Support Network

Fondé en 2002, le Mi’kmaq Legal Support Network (MLSN) est un ensemble de programmes visant à assurer un traitement équitable à tous les Micmacs et les Autochtones qui entrent en contact avec le système de justice de la Nouvelle-Écosse. Le Programme d’assistance parajudiciaire aux Autochtones, le Programme de droit coutumier et les Services aux victimes sont les trois principaux services qui relèvent du MLSN. Les programmes sont offerts aux peuples autochtones vivant dans les réserves et hors réserve. Le bureau principal se trouve à Eskasoni et les bureaux secondaires sont à Millbrook et à Dartmouth. Dans le but de combler l’écart entre le système judiciaire et les peuples autochtones, les employés du Programme d’assistance parajudiciaire du MLSN accompagnent les clients dans les tribunaux, fournissent des renseignements sur les ressources communautaires, comme le counseling sur la drogue et l’alcool et les options d’éducation et d’emploi, et facilitent la communication entre les représentants de la justice et les clients, en plus de rédiger des rapports Gladue et d’aider à faire une déclaration de la victime sur les répercussions. Le Programme de droit coutumier a pour but d’accroître la participation des Micmacs aux initiatives de justice dans leurs collectivités. Les principaux éléments du Programme de droit coutumier sont les cercles de justice et de détermination de la peine, qui sont conçus pour rédiger des ordonnances de service communautaire et pour faciliter la gestion des différends qui sont détournés du tribunal, ainsi que pour aider à réintégrer les contrevenants dans la collectivité.

Afin de maximiser son efficacité, le MLSN doit avoir une collaboration positive, transparente et efficace avec les services de police. Les protocoles de travail avec MLSN devraient être clairement énoncés dans les ECT, et le comité de justice communautaire ou les comités consultatifs sur les ECT pourraient assurer la surveillance de la procédure policière, de la gestion des cas et de la déjudiciarisation, ainsi que contribuer à corroborer les modalités des ententes.

À l’instar de tous les fournisseurs de services autochtones, le MLSN dispose d’un financement très limité et peu sûr, ce qui a une incidence sur la qualité et la cohérence des communications et des interactions avec divers services de police. Le MLSN a une clientèle diversifiée et traite d’un large éventail de questions juridiques, allant des affaires simples aux affaires les plus complexes dans l’ensemble de la province. Ce sont des experts en sensibilité culturelle et en formation culturelle, mais on n’y a pas le personnel dont on a besoin pour offrir les programmes nécessaires parce que le personnel limité a d’importantes charges de travail. Comme c’est le cas pour les autres fournisseurs de services aux Autochtones, le MLSN ne peut pas suivre le roulement de personnel de police pour maintenir la sensibilisation à ses programmes et la collaboration constante. Les nouveaux membres qui travaillent dans les Premières Nations devraient être formés immédiatement sur les processus de justice réparatrice et sur l’aiguillage vers le MLSN. Les détachements devraient permettre la participation des agents aux cercles de la justice et de la détermination de la peine, et ils devraient avoir des agents qui se consacrent à améliorer le processus d’aiguillage vers les programmes de déjudiciarisation pour aider à réduire le nombre d’accusations.

En raison de la nature de son service aux Micmacs, le MLSN se trouve dans une situation unique où il peut observer les modèles et les tendances dans les relations entre la collectivité et la police. Des représentants font remarquer qu’au fil des années, les taux de criminalité dans les collectivités des Premières nations ont augmenté, et ils se demandent si cela est attribuable à l’augmentation des signalements ou à d’autres facteurs comme l’augmentation des problèmes de toxicomanie et de santé mentale aggravés par la pauvreté et les conséquences intergénérationnelles de la colonisation et du génocide culturel.  Ils notent que les services de police n’ont pas reçu les ressources adéquates pour faire face à la criminalité croissante. Au Cap-Breton, la police tribale d’Unama’ki était gravement sous-financée, mais lorsqu’elle a été transférée à la GRC, le financement d’un détachement unique était plus du double du budget pour l’ensemble du service tribal responsable de cinq bandes, ce qui indique une inégalité significative et renforce l’idée d’être « envoyé tout droit à l’échec ». Les collectivités tribales sont sous-financées et incapables de réagir aux tendances de la criminalité ou de mener une prévention significative de la criminalité. Même si la majorité des collectivités préfèrent avoir des services de police tribaux, elles ne peuvent pas se les permettre d’elles-mêmes. Le MLSN aimerait examiner la législation qui appuie les services de police autochtones et la création de forces de police autochtones. Les gendarmes spéciaux ont disparu et le niveau de police communautaire en place est inadéquat.

La protection et la surveillance policières sont des préoccupations clés dans les collectivités qui n’ont pas de présence policière régulière. Toutes les collectivités déclarent être sous-protégées en raison des piètres délais d’intervention, ce qui contribue à la méfiance générale à l’égard de la police. Même dans les collectivités qui ont des bureaux auxiliaires ou des détachements, ceux-ci sont souvent mal dotés en personnel. Les collectivités qui n’ont pas de détachement présentent des délais de réponse encore plus longs, et celles qui n’ont pas d’ECT aimeraient que la présence communautaire, le délai de réponse, le suivi des cas, la prévention du crime et les compétences culturelles s’améliorent considérablement.

En revanche, la présence policière excessive est une expérience courante dans les réserves et hors réserve, comme lorsqu’on répond à un petit incident avec une abondance de ressources. Par exemple : [Traduction] « Une fois, la voiture de quelqu’un a été reprise dans notre région. Il y avait des shérifs, des phares partout, de 8 à 10 agents de police, 4 ou 5 voitures simplement pour prendre une voiture. C’était ridicule. Nous pensions que quelque chose se passait. Mais ils ne faisaient que prendre une voiture. Je me demande combien cela a coûté? C’était du gaspillage. »

Il y a un manque de prévention du crime dans les détachements de police, même les détachements « bien financés » de la GRC. Ils ont des agents spécialisés dans la prévention, par exemple dans le domaine de la violence familiale, mais les fournisseurs de services, comme le MLSN, ne sont pas certains de l’impact de ce travail sur les cas de violence familiale et leur résolution. La formation policière a eu lieu, mais les répercussions ne sont pas claires.

En ce qui concerne la toxicomanie, qui serait en augmentation, la police avait dirigé le programme DARE destiné aux enfants, mais cela se produit rarement aujourd’hui. On a grandement besoin de programmes de prévention dans les services de police afin d’aider ceux-ci à entrer en contact avec les collectivités et à réduire la criminalité.

Le manque de sensibilité culturelle chez les agents de police est un problème répandu pour les participants des réserves. Selon le MLSN, il y a un petit dépliant pour la formation des détachements sur les services de police dans les collectivités autochtones, mais il n’est pas complet; il n’assure pas une exposition appropriée. Le cours de formation sur les perceptions autochtones est offert deux fois par année à un petit nombre d’agents, mais ceux qui ont le plus besoin de formation, ceux qui travaillent dans les réserves, n’y assistent pas parce que les besoins des collectivités sont trop grands pour en prendre le temps. [Traduction] « Il n’y a pas de normes à l’échelle du pays, pas de continuité entre les divisions. »

La question de la compétence peut être un facteur compliqué pour les membres des Premières Nations. Par exemple, à Membertou, le maintien de l’ordre est assuré par la région du Cap-Breton, mais à Eskasoni, il est assuré par la GRC. Si un résident d’une collectivité est appréhendé par une force policière dans une autre collectivité, la gestion du cas présente une certaine incertitude, et il arrive parfois que les personnes vulnérables soient les victimes de ces lacunes. Les cas de drogue sont particulièrement complexes en ce qui concerne les détachements municipaux et de la GRC, non seulement sur le plan de la compétence, mais aussi sur celui de la territorialité, et les chevauchements et les conflits se produisent dans l’ensemble de la province. La compétence est également un problème lorsqu’il s’agit de déterminer qui est responsable de protéger les droits issus de traités et d’empêcher les personnes non autochtones de perturber la mise en œuvre des droits issus de traités. Une stratégie globale est nécessaire pour que tous les organismes d’application de la loi collaborent afin d’améliorer leur instruction sur les traités et collaborent avec la nation micmaque de manière pour assurer sa sécurité dans l’exercice des droits protégés par la constitution.

Le recrutement d’agents de police autochtones est une préoccupation centrale pour le MLSN. [Traduction] « La GRC affirme qu’elle a environ 70 agents de police autochtones, mais quand vous regardez la liste, bon nombre d’entre eux proviennent d’autres administrations ou sont des personnes qui se sont déclarées autochtone, et cela donne un avantage aux gens. Nous examinons les questions du recrutement et des femmes autochtones. La GRC dit que c’est une violation des droits de la personne que de demander aux gens de présenter leurs papiers d’identité, alors c’est un problème. Il devrait y avoir une certaine stipulation selon laquelle les gens qui s’occupent des services de police ont un certain lien avec une communauté des Premières Nations. »

En Nouvelle-Écosse, le MLSN pourrait, et devrait, être une ressource principale pour aider les services de police à répondre aux appels à l’action de la CVR et aux appels à la justice de l’ENFFADA, pourvu qu’il dispose d’un financement et d’un mandat appropriés. Malheureusement, en raison du roulement des agents et du manque de ressources, il est difficile pour le MLSN d’effectuer des activités de sensibilisation régulières pour maintenir le contact avec les services de police. Les services municipaux renvoient plus de cas au MLSN, mais des politiques et des protocoles sont nécessaires pour établir et maintenir la participation de la police au MLSN et à ses programmes de droit coutumier, et ils devrait être considérés comme faisant partie de la responsabilité de réconciliation de la GRC, des municipalités et d’autres organismes d’application de la loi.

Politiques et pratiques dans le Mi’kma’ki – Points de vue des participants vivant dans les réserves

Les collectivités micmaques de la Nouvelle-Écosse sont relativement petites, et ses membres sont très proches. Par conséquent, un grand deuil collectif est vécu au jour le jour et favorisé par la mobilité de vastes réseaux de proches entre les collectivités. Les gens partagent rapidement l’information. La nature et l’étendue des problèmes signalés par les participants confirment que la « normalisation » de l’inaction face à la criminalité, la violence familiale et la toxicomanie est en grande partie le résultat de la colonisation intergénérationnelle et de la discrimination systémique. Les gens subissent des abus multidimensionnels fondés sur la discrimination systémique, le sexe, l’âge, les antécédents familiaux et les expériences dans les pensionnats.

Les normes et les valeurs locales de non-ingérence, l’éthique prescrite exigeant de ne pas afficher ses émotions et le désir de traiter les affaires par soi-même sans ingérence externe donnent une impression de normalisation de la tragédie et de normalisation de l’absence de résultats lorsqu’on demande l’aide de la police ou du système de justice canadien. Les codes du silence sont renforcés quotidiennement par des idées comme : « il faut faire attention à ce que vous dites parce que le vent vous entend », « ne parlez pas, ne dites rien » et « plus ça change, plus c’est pareil ». L’implication de la police et des services aux familles et aux enfants des Micmacs est plus redoutée qu’adoptée, et la plupart des gens feront tout ce qu’ils peuvent pour les éviter. Les victimes apprennent à attendre que d’autres influences prennent le pouvoir et rééquilibrent les relations, et les auteurs prennent le risque de commettre des actes préjudiciables, en supposant que rien ne sera fait pour exiger qu’ils assument la responsabilité de leur comportement. Les participants constatent personnellement les lacunes et les contradictions du système de justice canadien et des réponses policières aux crimes et aux incidents de violence familiale qui perpétuent les problèmes de racisme et de discrimination.

Tout comme dans la population urbaine, la confiance était le terme le plus couramment employé dans tous les cercles de partage. Il subsiste une profonde méfiance envers les services de police. L’équipe de recherche a été frappée par le nombre de personnes touchées par les tragédies qui se sont produites dans leur famille immédiate. Un nombre important de participants avaient des membres de leur famille qui avaient disparu ou qui avaient été assassinés. Bon nombre de ces participants ont expliqué, en détail, leur perception selon laquelle les services de police n’ont pas su protéger les membres de leur famille et ni n’ont mené d’enquête adéquate, ni n’ont résolu les crimes perpétrés contre ces personnes. Le mécontentement était omniprésent, peu importe l’âge, le sexe, l’orientation spirituelle, la langue et l’orientation économique et politique. Les gens s’inquiètent également de la capacité des agents de faire face aux réalités vécues de la vie dans les réserves.

Les agents de police ont vécu des vies protégées; ils n’ont pas été exposés aux mêmes choses que nous dans la vie communautaire micmaque, où nous avons subi sans cesse des traumatismes. Nous passons au meurtre suivant, à la prochaine mort; nous sommes comme des robots. Cela ne nous dérange pas autant. J’ai vu un grand nombre d’agents de police afficher beaucoup d’émotions comme pleurer, et nous sommes une famille et ne pleurons même pas; pourquoi pleurent-ils? Ils n’ont jamais été exposés. Ils n’ont peut-être perdu qu’une seule personne dans leur vie, et nous voici sur les lieux d’un suicide et elle ne sait pas comment gérer la situation.

[Traduction] « C’est devenu normal pour nous, mais ils ont un choc culturel. »

Les lacunes des services de police ont été mises en évidence dans tous les cercles :

Quand je parle de l’ENFFADA, je dis que la question des services de police est la plus importante. Nous avons des services de police inadéquats à We’koqma’q. Trois membres servent la collectivité et la région jusqu’à Cheticamp, qui est à 2 heures de route. Nous avons un délai de réponse d’au moins 1 heure, peut-être même de 1 ou 2 jours. Quelqu’un entrait par effraction dans ma maison; j’ai appelé la police, qui ne s’est présentée que le lendemain. Il y a tellement de problèmes. Si vous appelez la police à la recherche d’aide, d’aiguillages, de protection et que le service, n’est pas fourni, alors votre vie est en danger.  Cassidy Bernard a appelé la police cinq jours avant de mourir à la recherche d’aide. Elle a fait appel à la police pour obtenir de l’aide, elle a voulu porter plainte, et 5 jours plus tard, elle est morte.

Malgré les nombreuses lacunes relevées dans les cercles, tous les participants sauf quelques-uns comprenaient la nécessité et l’importance de services de police éclairés par les traumatismes et adaptés à la culture, et reconnaissaient que « la police a un travail à faire ». Ceux qui rejetaient totalement la validité des services de police étaient généralement ceux qui étaient les plus traumatisés par la force excessive employée pendant les descentes et les appréhensions d’enfants. Il est intéressant de noter que les membres de la famille qui ont vu les générations précédentes se battre pour les droits issus de traités et les droits autochtones, ce qui a donné lieu à de nombreuses confrontations avec la police et à de multiples incarcérations, étaient généralement optimistes quant au potentiel d’amélioration des services de police s’ils étaient entièrement décolonisés et antiracistes.

Services de police communautaires autochtonisés

Presque universellement, les participants ont affirmé avoir une plus grande confiance envers les agents autochtones et de meilleurs rapports avec eux, qu’ils soient micmacs ou viennent d’une autre communauté. Il existait une profonde impression que la nature des services de police a changé au fil du temps et qu’il y a une certaine distance par rapport aux services de police communautaires du passé et que les gens aimeraient observer un retour aux services de police communautaires.

Mon père était agent de police il y a de nombreuses années. J’ai entendu des histoires de sa part. La police est tellement différente aujourd’hui de ce qu’elle l’était à l’époque. La partie communautaire de la police commence à s’estomper et il n’y a pas de relation entre la population et la police. La seule fois où vous avez une interaction policière, c’est quand la police croit que quelque chose ne va pas. On ne voit plus la police qui essaie d’établir des relations positives. À l’époque, vous n’aviez pas à porter d’arme de poing, parce que vous faisiez confiance en les gens et qu’ils avaient confiance en vous. Au fil des années, la confiance entre les deux groupes, le grand public et la police, a été affectée, et on voit maintenant la police porter toutes sortes d’armes. Elle a effectivement un protocole à respecter, mais parfois elle va au-delà de ce qui est prévu; elle agit avant de parler. Il n’y a tout simplement pas de communication. La partie de la communication n’est pas présente.

Les membres de la collectivité veulent connaître les agents qui servent la collectivité et veulent les voir dans la collectivité. Ils veulent que les agents soient amicaux et capables de parler la langue. S’il y a un problème avec leurs enfants, ils aimeraient que la police appelle les parents plutôt que de les arrêter ou d’ignorer les problèmes. De nombreux participants pensaient que la police dans les réserves évitait de gérer les problèmes et ne répondait pas aux appels de la collectivité lorsque les enfants agissent mal ou boivent. Les membres des collectivités veulent que la police travaille plus souvent avec les jeunes et les écoles pour offrir une formation sur la sécurité publique, la prévention du suicide et la sensibilisation à la lutte contre la drogue. Les camps de chasse à l’orignal lancés par un groupe d’agents de la GRC des Micmacs ont connu un grand succès, mais le fardeau financier repose sur la bande. L’établissement de programmes pour les jeunes dans la prestation de services à la GRC et dans les municipalités serait le bienvenu. De tels programmes pourraient aider la police à acquérir une plus grande compétence culturelle. Les collectivités favorisent clairement les agents qui mettront en place des wigwams et qui travailleront avec les enfants.

Les priorités de la plupart des collectivités comprennent une préparation et une formation culturelles approfondies avant de venir travailler dans la Première Nation. Les participants veulent qu’il y ait des agents parlant le micmac qui comprennent les obstacles sociaux et systémiques auxquels leurs membres font face, y compris la pauvreté, la toxicomanie, les traumatismes intergénérationnels, la discrimination systémique et la violence interpersonnelle, ainsi que les nombreuses aspirations de guérison et de bien-être au sein de la collectivité. Ils veulent que les agents vivent dans la collectivité. Ils n’aiment pas que les agents traitent les services de police comme un « travail de 9 h à 16 h, quittent la collectivité en fin de journée et oublient cela. Nous devons vivre ici. » Dans tous les cercles de partage, les gens ont exprimé leur frustration face à la nature transitoire des services de police. « Alors même que nous apprenons à connaître quelqu’un et à lui faire confiance, il est transféré. » Certaines bandes sont disposées à fournir des logements aux agents dans le cadre des ententes communautaires tripartites.

En plus du fait pour les agents de vivre dans les réserves, les collectivités souhaitent qu’il y ait des programmes d’orientation des agents où les nouveaux agents sont encadrés par des agents aimés qui peuvent les présenter à la collectivité. De nombreuses personnes ont suggéré d’organiser des cérémonies d’accueil pour les agents, et tout le monde a convenu que la police devrait faire le tour de la collectivité pour rencontrer les Aînés et apprendre d’eux, ces derniers pouvant contribuer à former les agents d’une façon anti-partisane qui est éclairée par la culture.

« Nous voulons voir la police ici. » La visibilité est une priorité clé. Les membres de la collectivité ont unanimement appuyé les agents qui font des patrouilles à pied et déplorent le fait que les détachements sont comme des forteresses, où les agents « se cachent de la vue » dans la « grotte » et « tout ce qu’ils font, c’est jouer aux cartes ». Les membres de la collectivité signalent régulièrement qu’ils aiment les agents qui effectuent des patrouilles à pied, qui se promènent et se rencontrent et accueillent les gens, qui sont extravertis et amicaux. Les événements communautaires sont généralement ouverts à tous. Faire partie d’une collectivité signifie participer aux événements par courtoisie, mais aussi comme une occasion de rencontrer de nouvelles personnes, de se renseigner sur la dynamique culturelle et d’établir des rapports et un respect. Les gens veulent d’une police accessible dans leurs collectivités. Les participants ont exprimé leur gratitude lorsque les policiers ont assisté aux veillées, aux salites et aux funérailles d’êtres chers.

Certaines collectivités ont des réunions interorganismes où tous les fournisseurs de services locaux se réunissent pour gérer les cas. Ceux qui ont des services interorganismes accueillent favorablement la participation de la police et trouvent qu’il s’agit d’un bon outil de communication et de planification communautaire pour lutter contre la criminalité et les problèmes sociaux. Pour les collectivités qui n’ont pas de services interorganismes, la police pourrait participer à la mise en place de telles réunions. Les fournisseurs de services et les membres de la collectivité préféreraient une plus grande interaction avec la police. Certaines unités de police limitent leur interaction avec la collectivité au chef et au conseil de bande, et l’information n’est pas toujours communiquée à la collectivité au-delà du conseil de bande, ce qui laisse les membres de la collectivité dans l’ignorance et favorise peut-être la propagation de la désinformation.

En plus de la participation à des réunions interorganismes, les membres de la collectivité ont suggéré que la police s’implique et offre activement son appui au sein d’organismes locaux comme le groupe pour hommes de Membertou et d’autres groupes pour d’hommes, des programmes pour les jeunes comme LOVE et Red Road. La police pourrait aussi contribuer à parrainer des groupes de joueurs de tambour et à revigorer les enseignements culturels.

Défis en matière de communication et de signalement

La plupart des participants ne veulent pas se rendre dans les détachements ou les bureaux auxiliaires de leur collectivité : « Je déteste me promener là-dedans ». Il y a une crainte communément partagée d’être mal compris, d’être traité impoliment ou, pire encore, d’être rejeté après avoir trouvé le courage de signaler un crime ou de demander de l’aide. Pour les collectivités qui n’ont pas de station, il peut être très difficile d’obtenir de l’aide.

Nous avons eu une situation cette semaine, et chaque personne qui nous rappelait pour cette affaire était un agent différent, et il fallait tout réexpliquer, ce qui redonnait un traumatisme. Pourquoi ne pouvons-nous pas simplement traiter avec une seule personne?

Il y a un grand besoin de navigateurs pour faciliter le signalement des crimes. Un grand nombre de participants se sont dits frustrés d’être mal compris et de ne « pas être pris au sérieux ». Dans plusieurs cercles, les gens ont partagé les difficultés qu’ils avaient éprouvées à signaler des crimes graves, comme des agressions sexuelles historiques, et la fermeture de leurs plaintes par la personne à la réception, qui ne prend pas le temps d’aider la personne à comprendre ce qui est nécessaire pour poursuivre une accusation. Quelques mots durs peuvent rapidement écraser la confiance d’une personne qui a le courage de s’adresser à la police. [Traduction] « Nous nous sentons tout le temps victimisés et nous ne pouvons pas nous exprimer parce que personne ne nous écoute. »

Dans les collectivités où il y a des équipes d’aide aux victimes et d’intervention en cas de crise, les interactions avec la police ont tendance à être plus favorables. En cas de décès, il est d’usage pour la famille et les amis proches de rester avec le corps et de demander à certains membres de la collectivité de prier sur le corps si c’est la croyance de la famille. Il s’agit d’un processus important qui peut être respecté par une certaine innovation en cas de décès comme les suicides, les homicides ou les accidents qui nécessitent une enquête, si les agents sont au courant de la pratique. Empêcher l’accès aux rituels peut accroître les tensions; permettre le rituel sans perturber une scène peut faciliter une enquête.

Que ce soit dans la ville ou dans la réserve, les styles de signalement et de communication avec la police sont différents de la population générale, et les styles de communication autochtones ajoutent plus de couches, d’où la nécessité d’une traduction pour que la communication soit claire. Le maintien de la langue est élevé dans certaines collectivités, et la traduction du langage juridique en micmac est un impératif pour tous les membres des collectivités du Cap-Breton. L’appel à l’aide est difficile lorsque les répartiteurs centralisés posent trop de questions ou des questions compliquées. Les participants veulent être en mesure de demander de l’aide à quelqu’un qui connaît la collectivité et qui peut répondre rapidement et en toute sécurité aux problèmes. Par exemple, [Traduction] « il a fallu des années après la mort par balle de John Simon pour que les gens communiquent avec la GRC, et même aujourd’hui, beaucoup préfèrent encore appeler le chef pour obtenir de l’aide en cas de crise ». Après la fusillade, un certain nombre de collectivités ne voulaient pas que la GRC réponde à leurs appels. De nos jours, les souvenirs sont encore forts.

Apprendre à poser les bonnes questions de la bonne façon est une compétence culturelle. Encourager les personnes de soutien à aider à la traduction, que ce soit en anglais ou dans des langues autochtones, est essentiel pour s’assurer que les situations de signalement sont plus positives. Les membres de la collectivité aimeraient que des personnes soient désignées pour répondre aux appels de la police afin de servir d’interprètes en santé mentale et de faciliter le dialogue de manière à désamorcer les situations.

Dans les cas d’enfants disparus et de conflits liés à la garde d’enfants, plusieurs participants ont indiqué qu’ils étaient frustrés par la confusion face à la compétence fondée sur le « district d’occurrence » (le lieu où l’événement s’est produit) et à la personne qui enquêterait normalement sur ces signalements, à moins que l’enfant ne soit immédiatement en danger de lésions corporelles. Un père était particulièrement inquiet au sujet de ses filles et a signalé un incident, mais il a été transféré d’un détachement à un autre sans obtenir d’aide au bout du compte. Son interprétation de la réponse de la police était que celle-ci ne l’avait pas pris au sérieux parce qu’il avait des antécédents de toxicomanie. La sécurité de l’enfant était en cause et il croyait que l’enfant allait être retiré de la province, ou du pays, et qu’il était laissé sans défense.

Le commentaire suivant est représentatif des points de vue des participants dans les réserves :

Il y en a toujours des bons et des mauvais. J’ai eu ma part d’interactions avec les policiers, la GRC et le système de justice. Cela a beaucoup à voir avec la façon dont ils nous abordent. S’ils sont trop exigeants et qu’ils vont se dire qu’ils ont le pouvoir, alors c’est certain que nos habitants vont riposter. Je les ai vus, ça m’est arrivé, et les policiers arrivent et pensent qu’ils sont grands et puissants, et ça ne fait qu’énerver encore plus la personne. J’ai aussi vu des policiers qui se présentent et que par le ton de leur voix seulement, ils peuvent amener les femmes à se calmer et à se confier. C’est le genre de policiers dont nous avons besoin.

Beaucoup d’entre eux viennent ici sans avoir participé au soi-disant programme de sensibilité. Ils devraient tous y participer. Ils ne savent pas comment nous sommes vraiment. Dans notre collectivité, il est important de comprendre d’où viennent nos gens et à quoi ils ressemblent. Si vous ne connaissez pas les antécédents ou les traditions culturelles dans la collectivité, on ne vous appréciera pas et vous allez le savoir, et vous ne resterez pas là trop longtemps, tout comme un médecin. Si vous nous maltraitez, dites des choses méchantes ou ne nous traitez pas correctement, nous allons arrêter d’aller vous voir. Parlez micmac.

Ils ne nous ont pas traités avec respect en tant qu’Autochtones. Les gens qui viennent chez vous doivent vous traiter avec respect et écouter les deux histoires.

Le bon aidera à résoudre le problème plus rapidement que celui qui se croit grand et puissant. Vous devez vous présenter avec une voix calme et faire asseoir cette personne et l’écouter correctement.

Gestion des cas et enquêtes

Souvent, les participants aux cercles ont affirmé ne pas être satisfaits des enquêtes policières. Un nombre inquiétant de participants ont déclaré qu’ils n’étaient pas convaincus que les décès de membres de la famille étaient correctement qualifiés de suicides ou d’accidents. On a l’impression que la police n’enquête pas en profondeur sur les décès d’Autochtones et qu’elle est prompte à déclarer qu’il s’agit de suicides ou d’accidents afin de fermer les dossiers. Par exemple :

Je crois que mon neveu a été assassiné. Les enquêteurs nous ont dit que c’était un suicide, mais ce n’était pas un suicide. Il m’a dit qu’il reviendrait en soirée. Il a acheté ses provisions et est revenu ce jour-là. Pourquoi ces policiers de la ville ne croient-ils à rien d’autre qu’au suicide? Les policiers de la ville ne croient qu’au suicide. La GRC m’aide bien, mais la police municipale ne m’aide pas bien. Je crois que mon neveu a été assassiné et non qu’il s’est suicidé. Nous en avons parlé à la police, à la police de la ville, et elle a refusé catégoriquement de réenquêter, ou de parler à la personne qui (a des renseignements), ou à la grand-mère; le dossier était fermé et ne serait pas rouvert.

Dans un autre cas, une mère était très mécontente de la façon dont on avait géré la mort de sa fille :

Ma fille est disparue. Ils m’ont dit de les mettre au courant si je savais quelque chose ou si quelqu’un savait quelque chose. J’avais l’impression qu’ils m’ignoraient. Je n’entends rien. Finalement, ils ont trouvé ma fille et elle était morte. C’était horrible. Ils disaient qu’elle était morte de froid, mais je ne pense pas. Les policiers ont fait ouvrir le dossier et ils m’ont dit qu’ils me feraient signe s’ils le fermeraient, mais ils ne l’ont pas fait. J’ai dû le découvrir aux nouvelles. J’étais en colère. J’étais furieuse contre eux. Je ne sais toujours pas ce qui est arrivé à ma fille.

Un certain nombre de personnes ont raconté leur expérience de l’usage excessif de la force :

Mes expériences avec les policiers, j’en ai plusieurs. Je les appelais surtout quand j’avais une dépression, et ils venaient et me traitaient avec brutalité. Tout ce dont j’avais besoin à ce moment-là, c’était quelqu’un qui pouvait m’écouter ou à qui je pouvais parler. Ils venaient et me rendaient plus furieux, plus énervé. Ils font comme si vous aviez tort de chercher de l’aide. Ils ne comprennent pas. Lors de mon dernier incident, on m’a tiré dessus avec un pistolet paralysant et on m’a retenu sous la menace d’armes. Maintenant, ça me fait si peur d’appeler les policiers parce que je pense que la prochaine fois, peut-être qu’ils vont me tirer dessus. Ça ne me fait pas du bien. La prochaine fois que les policiers sont appelés pour ce genre de chose, ils pourraient peut-être faire preuve de compassion et être plus calmes. Ce fut ma mauvaise expérience. Une fois, quelqu’un a fait un signalement sur moi et les enfants que je gardais parce que nous avions eu un incident avec le voisin. Ils sont venus et ont automatiquement fait de nous les méchants sans connaître d’abord notre histoire. Ils m’ont menacé et m’ont dit que s’ils devaient revenir, ils m’accuseraient de ne pas avoir maintenu la paix. Ils n’ont pas fait leur travail. Ils n’ont pas obtenu les deux côtés de l’histoire. Ils ne devraient pas vous faire sentir comme le méchant; ils ne sont pas le juge.

Des politiques de communication sur l’évolution des dossiers qui reflètent mieux les réalités complexes de la dynamique communautaire et de la dynamique de parenté sont nécessaires. Les familles en crise peuvent avoir besoin d’aide pour coordonner les communications interfamiliales. Plusieurs récits faisaient été de communications erronées entre membres de la famille dans les cas de personnes disparues. Choisir de communiquer des renseignements à un seul membre ne suffit pas, à moins que les agents aient travaillé avec la famille et aient conclu une entente de communication.

La rapidité de la réponse est une autre critique courante. [Traduction] « La police ne vient pas prendre les déclarations des victimes avant des mois après l’incident, et les gens oublient des choses ou se font bousculer pour faire une déclaration et prêter à des personnes des propos qu’elles n’ont pas tenus. Parfois, la langue anglaise, pour les locuteurs courants et non courants (du micmac), il est difficile de s’y trouver dans la langue anglaise quand quelqu’un pose une question d’un point de vue non autochtone. »

Les expériences de sous-protection de présence policière excessive par le profilage existaient dans tous les cercles de partage.

J’ai vu des tonnes de préjugés, un manque de soutien, un manque d’information. Vivant dans une Première nation, nous sommes trop surveillés, nous avons beaucoup de vérifications ponctuelles. Le jour de l’aide sociale, il y a des policiers qui attendent les gens; ils savent qu’ils sont en mouvement et que les gens s’arrêtent, et c’est le jour où leurs problèmes s’aggravent. On s’habitue à se faire harceler.

Dans une autre collectivité, [Traduction] « ils viennent le jour des chèques et font des barrages routiers. Je pense qu’ils viennent dans la réserve parce qu’ils ont un quota à remplir et qu’il est plus facile pour eux de le remplir dans la réserve. Pourquoi viennent-ils là où ils ne sont pas les bienvenus? »

D’autres ont partagé des histoires de profilage racial.

J’ai vécu une situation personnelle où j’ai été arrêté et ils ont sorti l’alcooltest tout de suite, sans raison. Le policier a dit que mon haleine sentait la gomme. Il était très arrogant, choqué que mon haleine ne sente pas l’alcool. Je me sentais stéréotypé. Je veux lancer des idées de politiques et je veux que les procédures avancent d’une bonne façon, alors qu’il y a tant de cas de l’ENFFADA et qu’il n’y a aucune réponse. Je suis craintif pour moi-même et pour mes enfants. J’ai l’impression que nous sommes stéréotypés le plus rapidement et qu’on nous juge.

Nous avons souvent entendu des commentaires comme le suivant : [Traduction] : « De tout temps, nous avons tous été témoins de l’insincérité avec laquelle les personnes autochtones ont été traitées. Quand un jeune qui grandit a besoin de l’aide des policiers, ils ne sont nulle part. Par contre, ces policiers déposent votre parent saoul sur un banc de neige dans votre allée. C’est ce dont je me souviens de mon enfance. »

Une jeune femme a raconté son histoire :

Mes expériences avec la police n’ont pas été bonnes parce que mon père a de longs antécédents avec les policiers. Il était alcoolique; il était très violent envers les policiers. Quand j’étais adolescente, on m’a arrêtée pour conduite en état d’ivresse. Chaque fois que mon nom était sur le scanneur, ils envoyaient cinq voitures. Ils étaient vraiment durs avec moi, et il n’y avait jamais d’agente. Pour la deuxième peine que j’ai reçue, j’étais dans ma chambre sans connaissance, nue, et deux hommes (des agents de police) sont entrés dans ma chambre, m’ont arraché la couverture et m’ont traînée hors du lit. Il n’y avait pas de femme avec les policiers. Enfin, une femme (agente) est venue et m’a enveloppé d’une couverture et m’a ensuite emmené dans des cellules et m’a fait enfiler un costume blanc. Dès qu’ils savent que vous venez de la réserve, ils agissent agressivement. S’ils m’avaient simplement parlé, je leur aurais obéi. Ils sont toujours durs, je me retrouve toujours avec des bleus. Ils me menottent vraiment fort. Ils ne me lisent jamais mes droits. Je n’ai jamais résisté à une arrestation. Je sais que j’ai mal agi, mais pour eux, parce que j’ai une histoire violente dans ma famille, ils m’ont traitée violemment. J’aurais pu me contester les deux dernières peines, mais je voulais juste en finir. Je me suis dit que je ne travaillerais jamais au gouvernement, alors qu’est-ce que ça change? Je n’irais jamais aussi loin.

De façon alarmante, beaucoup de personnes ont partagé dans les cercles des histoires profondément personnelles de crimes violents qui n’ont jamais été résolus et d’expériences de harcèlement :

Je me souviens qu’une jeune fille a été brutalement violée et jetée dans une banque de neige et que personne n’a rien fait à ce sujet. Rien n’a abouti. Je me souviens que nous n’étions que des « Indiens » à l’époque, tout comme nous ne sommes que des « Indiens » à l’heure actuelle. Les défis que j’entrevois, mon père était un très grand activiste qui se battait pour les droits des Autochtones. Mon père était constamment arrêté, constamment harcelé, il ne pouvait même pas quitter la maison sans se faire arrêter sur l’autoroute par la police. Il a été poursuivi tout le temps.

La plupart des personnes qui ont participé à cette recherche avaient très peu confiance en la police pour les aider quand ils en avaient besoin. [Traduction] « Je ne dirais jamais à une victime de violence sexuelle d’aller se présenter à la police parce que, d’après mon expérience, il n’y a pas de justice en matière de violence, surtout quand ce sont des femmes. »

Plusieurs participants se sont dits profondément préoccupés par le traitement que la police réserve aux personnes qui tentent de protéger leurs droits issus de traités.

Mes expériences avec la GRC sont violentes. J’ai une haine profonde envers la GRC. Leur simple présence déclenche mon anxiété et mes expériences avec eux. Vous devez examiner la relation historique entre la GRC et les Autochtones dès le départ, la Police à cheval du Nord-Ouest. Elle a été fondée spécifiquement pour contrôler les Indiens afin de les mettre dans des réserves. Depuis qu’ils sont arrivés pour la première fois, beaucoup d’entre nous ont eu des expériences traumatisantes, pas seulement dans notre vie, mais au fil des générations. Les pensionnats, ils appliquent les pratiques coloniales au Canada depuis le début jusqu’à aujourd’hui. Il y a parmi nous des gens qui tentent de protéger leur territoire, mais il y a aussi des agents de la GRC qui sont lourdement armés pour attaquer les gens qui protègent nos territoires afin de faire respecter la loi coloniale et cette suprématie blanche. Je ne veux pas les aider à s’améliorer, mais j’aimerais que justice soit faite de meilleures façons dans la collectivité.

Solutions communautaires

L’expertise communautaire pour aider avec l’élaboration de politiques est vaste. Par exemple :

J’ai travaillé dans le centre correctionnel pendant 23 ans et une partie de notre mandat était de tenter de sensibiliser envers la population autochtone présente. Nous avons offert à nos agents correctionnels un cours de deux jours, je me suis battu pour que le cours soit plus long, mais ils n’ont pas retenu cette option. Il y a beaucoup trop d’information à diffuser en deux jours. Nous avons placé environ 500 agents correctionnels et employés dans le programme, mais il reste toujours beaucoup de travail à faire. À plusieurs reprises, j’ai eu à m’occuper des gens; je ne porte pas d’uniforme lorsque je suis avec le grand conseil, je n’en ai pas besoin. Je n’ai pas besoin de porter quelque chose pour dire que j’applique la loi. Je dois seulement parler aux gens et essayer de comprendre ce qui se passe. La police ne prend pas le temps pour le faire. Toutefois, elle évalue. Elle a un protocole d’usage de la force et elle est censée le suivre; un continuum qu’elle suit. J’aimerais qu’elle ait un modèle quelconque pour interagir avec les gens des collectivités autochtones; elle saute aux conclusions lorsqu’elle devrait simplement s’asseoir et écouter, puisqu’il faut autant de temps sauter aux conclusions pour corriger ce problème que de s’asseoir et d’écouter. Lorsqu’elle dit qu’elle n’a pas de temps, il faut plus de temps pour s’occuper des répercussions liées au problème qu’elle a causé en n’écoutant pas en premier lieu. Pour les victimes, lorsqu’elle dit qu’elle ne peut rien dire, cela n’est pas vrai. Dans une certaine mesure, elle peut dire des choses. Je sais qu’elle doit le faire pour protéger l’enquête, mais elle pourrait dire ce qui se passe et si elle fait des progrès. Elle n’a pas à dire que la police ne peut rien dire. Elle pourrait dire « nous avons plus d’informations » ou « nous n’avons aucune information ». Cela donne aux victimes la chance de sentir qu’on fait quelque chose. La police doit avoir un regard plus général sur les choses. Très rarement vous voyez un policier là-bas parler aux enfants ou jouer au baseball, tout ce que nous avons vu était le côté négatif et nous n’avons rien vu d’autre. J’imagine que vous ne pouvez pas reconnaître quelque chose si vous ne l’avez jamais vu. Je crois que certaines recommandations de l’enquête Donald Marshall sont en jeu et sont utilisées, mais il y a tellement plus à faire.

Dans ses priorités stratégiques, la GRC indique que « Nous contribuons à créer des communautés plus saines et plus sûres :

Les connaissances communiquées dans les cercles de rassemblement et tout au long de ce projet pointent vers des stratégies pour éliminer les préjugés raciaux dans les services de police, pour élaborer des services de police pertinents et compétents du point de vue culturel, des stratégies de prévention du crime et des idées concrètes pour mieux appuyer les interactions policières avec les gens qui éprouvent des difficultés liées à la santé mentale et à la toxicomanie et pour faciliter l’établissement de rapports. Les Micmacs veulent pouvoir être sûrs que la police les protégera, ainsi que leurs droits en tant que Micmacs. Ils veulent être traités avec dignité et respect et avoir la certitude que leurs attentes seront comblées dans la prestation des services de police dans leurs collectivités.

Perspectives d’agents de police anciens et actuels

Plusieurs membres autochtones de la GRC et d’autres services de police, retraités et en service, ont contribué à cette étude en faisant part de leurs expériences du recrutement et de leur carrière. Ils ont abordé un large éventail de défis et de possibilités.

Les anciens agents de police ont des récits riches et instructifs dont nous pouvons en apprendre beaucoup au sujet des défis auxquels font face les services de police autochtones et la prestation des services de police dans les collectivités autochtones aujourd’hui. Thématiquement, les agents ont parlé de leurs expériences de discrimination et de paternalisme dans les détachements locaux à titre d’option 3B ou de gendarmes spéciaux. Ils n’étaient pas protégés à leurs postes, il n’y avait aucun régime de pension ou avantages de sécurité. Les conseils de bande avaient le contrôle sur les services de police et pouvaient faire des demandes spéciales, ce qui favorisait les perceptions de favoritisme. Il y avait quelques excellents agents dans le programme de gendarmes spéciaux et 3B, mais bon nombre ont quitté en raison des frustrations qui découlaient du ridicule que les membres réguliers leur faisaient subir.

Les anciens agents étaient sceptiques du programme d’ECT, puisqu’il ne règle pas les problèmes de financement adéquat, de leadership et de roulement régulier des agents; par conséquent, les services sont inconsistants.

Les anciens agents parlent également du manque de confiance et à quel point il était difficile d’obtenir la coopération des gens dans les enquêtes. [Traduction] « C’est difficile pour la GRC de faire son travail, car personne ne lui fait confiance. » « Les agents autochtones n’améliorent pas les problèmes de confiance, car ils doivent faire leurs preuves et donc ils peuvent être encore plus sévères envers notre peuple. » Ces défis sont multipliés par [Traduction] « le racisme et la déshumanisation de notre peuple par l’application de la loi ».

Ils ont également souligné l’importance de former les agents. Les complexités des collectivités micmaques exigent des agents polyvalents et très compétences qui sont [Traduction] « aptes à la prévention du suicide, au counseling en matière d’alcoolisme et de toxicomanie, ainsi qu’à la protection des droits issus de traités ». Tous les agents, autochtones et non autochtones, doivent être formés dans [Traduction] « la culture, la spiritualité, la pauvreté, le traumatisme intergénérationnel, la dépendance à l’aide sociale, le chômage et la vie précaire des peuples autochtones. Les agents autochtones devraient également tenir compte des facteurs énoncés dans GladueNote de bas de page 103.

La police tribale d’Unama’ki était une plus petite force qui était locale, qui faisait partie de la collectivité, mais qui était tragiquement sous financée. [Traduction] « Nous devrions avoir notre propre système d’agents de la paix, mais ils nous considèrent comme des terroristes lorsque nous voulons gérer nos propres ressources. » « Bon nombre de nos gens ont été traumatisés par le niveau de force utilisé contre eux par la police. »

Une source clé de frustration dont ont été témoins les anciens membres d’application de la loi autochtones est le manque d’engagement à long terme aux services de police communautaires autochtones. [Traduction] « Il n’y a aucune longévité qui appuie les plans autochtones. »

Recrutement

Les expériences de recrutement les plus réussies comprenaient du mentorat constant à long terme, du perfectionnement scolaire et du tutorat pour les examens, de l’aide financière et logistique pour la correction de la vue, du conditionnement physique de soutien et du jumelage aux détachements. Les recrues autochtones doivent [Traduction] « travailler 10 fois plus fort ». [Traduction] « Les femmes autochtones ont trois prises : d’abord, vous êtes une femme, deuxièmement, vous êtes autochtones, et troisièmement, vous êtes une mère monoparentale. » Les agentes subissent de la discrimination sexuelle et du harcèlement fondé sur le sexe. Les commandants de détachement devraient être plus proactifs pour appuyer les agentes qui occupent des postes de leadership.

[Traduction] « La GRC doit être disponible pour le recrutement, supervisant l’ensemble du processus, trouvant les bonnes personnes pour le mentorat. » 

Tant qu’il n’y aura pas de changements systémiques dans les activités quotidiennes de la GRC, les participants à cette étude [Traduction] « ne sont pas prêts à recruter » de futurs membres.

[Traduction] « Changez les standards, ne les abaissez pas. »

[Traduction] « Personnes ne veut être l’Autochtone de service. »

La distance des collectivités d’attache et le peu de soutien accordé aux agents avec des enfants créent des défis uniques cernés par les agentes autochtones dans la GRC. La Division Dépôt ne tient pas bien compte des besoins des agents de famille monoparentale.

Les membres ont besoin de formation en analyse comparative entre les sexes et en premiers soins de la santé mentale en fonction de la situation unique des collectivités autochtones.

Devenir diplômé des académies de police compte pour un fait saillant de la carrière des agents.

Identité

Le problème d’auto-identification et de « combler les quotas de diversification » est une préoccupation pour les membres et les collectivités en général. De plus en plus de gens s’identifient comme Autochtone. Certains, avec seulement des liens très obliques avec un parent éloigné et aucun lien important avec la collectivité ou la culture, affirment nouvellement l’identité afin d’avoir accès à des programmes et des postes. Les gens qui s’identifient nouvellement n’ont en général pas les mêmes expériences de discrimination et d’inégalité que ceux qui sont identifiés historiquement et, ainsi, avaient un avantage dans l’accès à l’éducation et, par conséquent, à l’emploi. Cette situation fait croître la concurrence pour des ressources limitées en action positive, accumulant « traumatisme sur traumatisme » pour ceux qui ont des liens profonds avec la collectivité, mais qui sont peut-être moins exposés au cheminement professionnel ou moins expérimentés pour naviguer la présentation de candidatures et les examens.

Les agents autochtones qui ont un « privilège blanc », ceux qui n’ont pas l’air d’une minorité visible et qui « ont le statut », mais qui n’ont jamais mis le pied dans une réserve avant, ils n’ont jamais vécu ce qu’est la vie dans les collectivités des Premières Nations.

En Nouvelle-Écosse, il y a une grande controverse entourant les gens qui revendiquent l’identité métisse et qui s’attendent à avoir accès aux droits et titres issus de traités autochtones. De nombreux Micmacs, y compris l’Assemblée des chefs Mi’kmaq, remettent en question l’héritage de « Métis » et ont créé des politiques d’exclusion pour limiter l’accès aux droits et aux ressources protégés par traités. En recrutant des membres autochtones, il pourrait être justifié de reconsidérer les politiques en matière d’auto-identification afin de réduire les tensions internes et d’améliorer la légitimité externe.

Certains membres d’organismes d’application de la loi ont indiqué qu’ils préféraient ne pas déclarer leur origine ancestrale, car ils ne voulaient pas être des Autochtones de service et craignaient que cela mette en jeu leurs possibilités d’avancement.

Rétention

Des obstacles à la communication existent pour les agents dont la première langue est autochtone. Les membres non autochtones font un traitement paternaliste des gens qui parlent la langue micmaque.

Les membres ont indiqué qu’ils ont fréquemment rencontré des stéréotypes racisés. Dans les conservations quotidiennes, les maniérismes, les affectations et les rencontres sociales, les membres autochtones endurent des insultes explicites et accidentelles, des commentaires insensibles qui les visent personnellement ou qui visent des personnes ou des clients autochtones en général qui, collectivement, rendent les environnements de travail hostiles et toxiques. « On croyait que t’étais paresseux », « faisons un pow-wow », « ça doit être le jour du chèque d’aide sociale », « tu ne voulais pas plutôt dire une sortie bannique ». Ces expériences s’ajoutent aux confrontations subtiles et ouvertes quotidiennes des identités autochtones de la société en général. S’insère à tout cela la complexité des agents autochtones assurant les services de police dans leurs propres collectivités, où certains membres de la collectivité considèrent la GRC et les bureaux de police municipaux comme des édifices coloniaux dont le rôle est d’opprimer et d’assimiler les peuples autochtones selon les impératifs de la société colonisatrice et, par conséquent, ils peuvent subir de la violence latérale de la part de leurs collectivités d’origine.

Les agents non autochtones, habituellement caucasiens, qui servent dans les réserves ont tendance à recevoir des promotions aux dépens des agents autochtones qui font le même travail. Bien que certains agents autochtones trouvent leurs voix, leurs plaintes ne font pas l’objet de suivi. Le sentiment d’un « club des vieux garçons » existe et persiste et forme un obstacle à l’avancement des agents autochtones.

Les relations sociales et l’inclusion aux activités à l’extérieur du travail sont décrites comme maladroites et « horrifiantes ». Les membres se sentent constamment surveillés et jugés par leurs collègues non autochtones.

[Traduction] « Le racisme systémique est incroyable. Nous avons un traumatisme intergénérationnel. Nous avons un traumatisme comme premiers répondants, mais nous avons peur d’être étiquetés, donc nous n’en parlons pas. » Tenir tête aux gens et parler contre les comportements insensibles, racistes ou discriminatoires est perçu comme des actes qui peuvent probablement produire l’étiquette de « fauteur de trouble » et entraîner l’exclusion et l’isolement. Les agents indiquent qu’on leur a refusé des possibilités de formation et de promotion pour avoir dénoncé certains actes. Les pages Facebook exclusives aux membres sont remplies de comportements racistes et blessants qui existent au sein des services de police et qui reflètent le racisme institutionnel plus répandu. Les commentaires sur le meurtre de Colten Boushie ou les messages Facebook de la Police régionale de Durham sont seulement deux exemples d’un problème beaucoup plus vaste qui a historiquement contaminé les services de police et leurs attitudes envers les Autochtones, comme le démontrent le Report of the Commission of Inquiry into matters relating to the Death of Neil Stonechild de 2004 et le Rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash de 2007, ainsi que toutes les commissions qui abordent les peuples autochtones et la justice à laquelle ils ont droitNote de bas de page 104.

La santé mentale et la qualité de vie sont des préoccupations centrales pour la rétention des agents autochtones. À titre de premiers répondants, ils sont témoins de nombreux incidents traumatiques, souvent de gens qu’ils connaissent intimement. Ajoutez à cela les expériences intergénérationnelles de colonisation et de génocide, et l’intensité du TSPT est aggravée. Des services culturellement sécuritaires pour la guérison et le bien-être sont difficiles à trouver dans la société régulière et il est encore plus difficile d’avoir accès à des services spécialisés pour la situation unique des fournisseurs de services de police autochtones. Une exploration approfondie des taux et des circonstances entourant les congés de maladie hors service des agents autochtones pourrait dévoiler des endroits clés où les services pourraient être offerts afin d’améliorer la qualité de vie et la rétention des agents.

Les agents autochtones qui travaillent dans les réserves ont des situations uniques en matière d’imposition et de régime de pension qui requièrent des conseils financiers spécialisés, mais ces services ne sont pas offerts aux membres. Certains membres restent dans les services de police autochtones en raison des impôts : consigner le temps passé dans les réserves est requis pour être admissible à l’exemption d’impôt en vertu de la loi 87 de la Loi sur les Indiens; par conséquent, les promotions se limitent aux petits détachements.

Services de police communautaires

À l’heure actuelle, il n’y a qu’un seul coordonnateur des services de police communautaires pour quatre réserves du Cap-Breton et il n’y a pas assez de ressources pour répondre aux demandes des collectivités. Afin de corriger les lacunes et les problèmes actuels de méfiance, de nombreux agents autochtones suggèrent de passer à des services de police autonomes.

Les forces de police autonomes sont le [Traduction] « secret des services de police des Premières nations, mais il faut posséder l’expertise nécessaire pour les gérer. Il faut un bon commandant de détachement qui est passé par tous les paliers, qui sait enquêter et qui peut être un bon administrateur. Il faut des gens qui peuvent faire fonctionner des cellules et s’occuper des finances et de l’équipement spécial et de toutes les politiques connexes. Les caporaux et les sergents doivent savoir comment s’y prendre pour que les gens se conforment à la loi, et ils doivent travailler sans ingérence politique afin de susciter la confiance de la collectivité. Les services de police communautaires exigent d’avoir des effectifs sur le terrain. Demandez-le aux Aînés : ils étaient les premiers agents de police, ceux qui étaient en première ligne pour aider à gérer les différends. Pour être membre de la communauté, il faut assister aux veillées, acheter une carte de messe, apporter des muffins ou des beignes. Le peuple L’nu respecte les cérémonies. Il faut des générations pour obtenir la confiance des gens. On ne peut pas reconstruire des relations avec un clavier. »

Agent de liaison autochtone – violence conjugale à la GRC

Ce poste a été conçu pour combler les lacunes dans les services de police en matière de violence familiale et pour fournir des services coordonnés et cohérents aux victimes de violence familiale et à leur famille. L’objectif du poste est de renseigner et de former les agents de la GRC sur les questions de violence familiale et de services de police communautaires dans les collectivités autochtones. Le programme est le fruit de l’engagement de la GRC à l’égard des pratiques et des principes de la police communautaire et du fait que la police doit être représentative des personnes qu’elle sert. Le programme intègre les enseignements des Micmacs à la conception de cinq modules de formation qui constituent le volet éducatif pour la formation des enquêteurs de police concernés par des affaires de violence familiale autochtone. Dans la mesure du possible, les services de police pour les clients autochtones sont fournis dans la langue micmaque.

Les participants au programme collaborent avec des analystes des politiques autochtones, des agents de liaison communautaires et des membres de groupes de diversité au sein des services de police communautaires dans les collectivités autochtones. L’agent de liaison offre une formation sur la violence entre partenaires intimes aux partenaires régionaux du système de justice, y compris le personnel du ministère de la Justice du Canada ainsi que des employés et des volontaires de la GRC. L’agent de liaison organise également des réunions de police communautaires et de la fonction publique afin de sensibiliser la population aux problèmes de violence familiale dans la communauté micmaque, en plus d’y participer. La GRC effectue régulièrement des évaluations à l’interne pour évaluer l’efficacité du programme. Néanmoins, en raison des préoccupations en matière de protection des renseignements personnels, les évaluations de cette nature ne sont généralement pas accessibles aux organismes externes. En général, il n’y a pas d’évaluation externe officielle des programmes de la GRC à moins d’une demande expresse par la GRC ou un des organismes partenaires. Une dotation adéquate, longue et permanente est nécessaire pour maintenir des relations de confiance avec les collectivités. Lorsque l’agent de liaison n’est pas en fonction ou est en congé, il n’y a pas de remplaçant.

Formation sur la violence familiale

L’agent de liaison autochtone – violence conjugale a offert une formation aux membres de la province, mais il est difficile de mesurer l’incidence sur les taux de violence familiale et l’expérience des survivants et des auteurs de violence. Le succès se mesure par une évaluation du nombre de membres qui travaillent dans ces collectivités et du nombre de membres qui reçoivent la formation nécessaire offerte par l’agent de liaison autochtone – violence conjugale.

Plus de 200 éducateurs partenaires en matière de violence intime de la Nouvelle-Écosse ont été formés par l’agent de liaison autochtone – violence conjugale. Depuis le début du programme, il y a eu une diminution des risques élevés de mortalité et il y a des indications selon lesquelles de nombreuses victimes de violence familiale sont parvenues à se prévaloir des services disponibles. Il y a une demande de formation de nouveaux membres de la GRC en raison du taux de roulement élevé. Il est difficile de surmonter les perceptions coloniales des membres de la communauté micmaque. Il y a un problème de ressources humaines en raison du petit nombre de postes d’agent de liaison autochtone – violence conjugale. La violence dans les foyers et les familles est toujours un problème continu, mais il n’y a pas actuellement suffisamment de services de soutien disponibles pour aider les familles à faire face à ces problèmes. Les politiques de confidentialité nuisent à l’efficience du transfert des communications, ce qui limite l’efficacité d’une gestion des cas coordonnée et opportune. 

Formation sur la sensibilisation aux cultures autochtones

[Traduction] « Les agents non autochtones doivent comprendre qu’ils sont des colons sur un territoire non cédé. Lorsqu’ils l’apprennent, un changement s’opère. »

[Traduction] « La direction comprend la nécessité de la formation, mais les échelons inférieurs comprennent moins le besoin et l’amour-propre se pose en obstacle. »

Les programmes de formation sur les perceptions autochtones ou la formation sur la sensibilisation aux cultures autochtones à la GRC ont commencé en 1974 sous forme d’un cours en service de trois jours appelé l’éducation interculturelle. Aujourd’hui, le programme dure 4 ou 5 jours et est facultatif. L’inspecteur à la retraite Jim Potts estime que les cours fonctionnent le mieux lorsqu’ils sont conçus sur mesure pour la région et qu’ils sont assez longs pour permettre de couvrir un large éventail de sujets, de conférences, de discussions guidées, de cercles de discussion, de sueries et de cérémonies de purification par la fuméeNote de bas de page 105. Les participants devraient être ceux qui participent à tous les aspects de la police, qu’il s’agisse du personnel des centres de communications et du personnel du bureau de détachement, des membres du détachement qui travaillant à la première ligne et de leurs commandants, ainsi que d’autres organismes gouvernementaux, dont le ministère des Pêches et des Océans, le ministère des Ressources naturelles.

Aujourd’hui, la formation de 5 jours se déroule à Debert deux fois par année et a reçu une reconnaissance nationale pour son modèle. Il y a eu des discussions sur l’orientation de la formation. Chaque directeur de programme conçoit les programmes d’études, et les ordres du jour changent en fonction de la personne disponible pour fournir des enseignements, des conférences et de la cérémonie d’ouverture. Les Aînés autochtones et les sueries font partie intégrante du cours de formation sur les perceptions autochtones pour la GRC.

En collaboration avec le Mi’kmaw Friendship Centre, les cadets reçoivent une journée de formation sur la diversité, et beaucoup ont participé à des exercices de couverture, un outil d’enseignement pour aider à comprendre les répercussions de la colonisation et des pensionnats sur les collectivités autochtones.

Le Bureau des affaires autochtones de la Nouvelle-Écosse a offert une formation sur les perceptions autochtones à plus de 2 000 fonctionnaires afin d’accroître la sensibilisation du public aux peuples autochtones et aux enjeux auxquels ils sont confrontés. La Nouvelle-Écosse célèbre le Mois de l’histoire des Micmacs en octobre, la Journée des traités le 1er octobre ainsi que la Journée nationale des Autochtones le 21 juin.  En 2015, la Province a signé le protocole d’entente sur l’enseignement des traités dans le cadre de son [Traduction] « cheminement générationnel vers la réconciliation ». Des programmes précis destinés au système d’éducation, à la fonction publique provinciale et au grand public sont en cours d’élaboration et seront bientôt prêts à être mis en œuvre. L’enseignement des traités repose sur quatre questions : 1. Qui sont les Micmacs, tant ceux de l’Histoire que ceux d’aujourd’hui? 2. Que sont les traités et pourquoi sont-ils importants? 3. Qu’est-il arrivé à la relation découlant du traité? et 4. Que faisons-nous pour réconcilier notre histoire commune afin d’assurer la justice et l’équité?Note de bas de page 106

En octobre 2019, les Archives de la Nouvelle-Écosse, en partenariat avec Treaty Education Nova Scotia et le ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse, ont lancé la version numérisée du rapport en sept volumes de la Commission royale sur la poursuite de Donald Marshall Jr., ainsi que les transcriptions de l’ensemble des procédures, des entrevues, des pièces, des documents du procès et des appels originaux, des cahiers d’avocats, des témoignages audio et de la correspondanceNote de bas de page 107. L’archive vidéo sera publiée prochainement.

Le contenu culturel de la formation à la Division Dépôt et dans les collèges de la police est souvent trop générique et trop limité pour produire des agents culturellement compétents. La compétence culturelle et les diverses stratégies élaborées pour interagir avec les collectivités autochtones pendant les manifestations et les confrontations ont été bien documentées. L’accent mis sur des approches mesurées est important, mais l’attention doit passer à une approche communautaire plus holistique et plus inclusive afin d’établir des relations positives avec les services de police dans le Mi’kma’ki.

Nos constatations concordent avec celles du Comité d’experts sur les services de police dans les communautés autochtones :

La compréhension globale de la sécurité et du bien-être dans les communautés autochtones exige une réflexion multidimensionnelle, y compris la prise en compte des facteurs sociaux et culturels. Cette compréhension rend possible l’adoption d’approches policières qui reflètent les vues holistiques de la sécurité et du bien-être déjà ancrées dans les cultures autochtones. Les services de police dans les communautés autochtones s’inscrivent dans un contexte juridique et politique complexe, marqué par l’importance croissante accordée à l’autodétermination des Autochtones et la nécessité de reconnaître leurs droits et leurs lois. Bien que des efforts aient été déployés au cours des dernières décennies pour améliorer les services de police dans les communautés autochtones du Canada, beaucoup continuent de se voir offrir des services qui ne répondent pas à leurs besoins en matière de sécurité et de protection.

Dans les communautés autochtones et non autochtones, les moyens les plus prometteurs de promouvoir la sécurité et le bien-être reposent sur les relations entre la police, les autres prestataires de services et les membres de la communauté. Les approches efficaces fondées sur les relations sont dirigées par la communauté et offrent à la police l’occasion d’aider à mobiliser ses membres et de gagner leur confiance. Les occasions de changement commencent par l’offre de choix substantiels pour la mise en place d’ententes sur les services de police compatibles avec l’autodétermination. Ces choix nécessitent des ressources permettant la durabilité et pouvant être favorisées par des réformes systémiques, en phase avec les besoins des communautés autochtones sur le plan de la sécurité et du bien-êtreNote de bas de page 108.

7. Conclusion

Dans son récent rapport, Vers la paix, l’harmonie et le bien-être : Les services de police dans les communautés autochtones, le Conseil des académies canadiennes (2019) a conclu ceci : « Les réalités actuelles des services de police dans les communautés autochtones, de même que la criminalité, la victimisation et l’incarcération, sont liées au contexte historique. L’impact du colonialisme continue de se faire sentir dans les communautés. Confronter cette histoire fait partie du défi que représente la mise en place de services de police adaptés et décolonisésNote de bas de page 109. » Au cours de ce projet, nous avons examiné le contexte historique des services de police dans le Mi’kma’ki afin de contextualiser le paysage actuel. D’après la mobilisation d’une coupe transversale diversifiée de la population du Mi’kma’ki, il est manifeste qu’il y a beaucoup à faire pour améliorer les relations, les pratiques et les politiques policières. Nos constatations et celles du Conseil des académies canadiennes sont conformes à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. La réduction de la violence faite aux femmes et aux filles autochtones nécessitera une coopération entre les services de police, les fournisseurs de services sociaux et les peuples autochtones.

Dans le contexte des principes juridiques micmacs, les recommandations de l’enquête Marshall, les priorités communautaires découlant de l’examen de l’enquête Marshall de 2014, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR), la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les appels à la justice de l’ENFFADA constituent les outils nécessaires afin de redynamiser, de restructurer et de redéfinir les relations judiciaires entre les peuples autochtones et la Province de la Nouvelle-Écosse. À partir de ces principes, on peut élaborer un plan d’action global en matière de justice qui établit le droit et les institutions juridiques autochtones afin de protéger et d’appliquer les lois des Micmacs. Pour ce faire, il faudra mettre en place des processus de consultation et de consentement appropriés et remplacer ou éliminer les lois, les politiques et les pratiques qui perpétuent la discrimination et l’inégalité systémiques afin de favoriser un environnement de réconciliation qui facilite l’autodétermination.

Dans les lettres de mandat adressées à ses ministres, le premier ministre Trudeau a déclaré ceci : «  Aucune relation n’est plus importante pour moi et pour le Canada que la relation avec les peuples autochtones. Il est temps de renouveler la relation de nation à nation avec les peuples autochtones pour qu’elle soit fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat. » Parmi les priorités cernées, le premier ministre a demandé au ministre de la Justice d’accroître le recours aux processus de justice réparatrice et à d’autres initiatives pour réduire le taux d’incarcération chez les Canadiens autochtones, d’examiner des solutions de rechange à l’imposition d’une peine et une réforme de la mise en liberté sous caution, de même que la création d’un tribunal de la famille unifié. Depuis 1996, l’alinéa 718.2e) du Code criminel du Canada ordonne aux juges qui imposent les peines de tenir compte du principe suivant : « l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité ». Aujourd’hui, la capacité des collectivités micmaques d’offrir des solutions de rechange légitimes et efficaces jugées appropriées par la nation micmaque, et l’utilisation coordonnée de ces solutions, ou l’absence ce celles-ci, constituent une préoccupation majeure.

Comme on l’a mentionné au symposium Marshall, de nombreuses mesures ont été prises pour améliorer les relations judiciaires avec les collectivités micmaques. Il s’agit notamment de l’embauche intentionnelle de personnel micmac dans la plupart des secteurs de la justice, d’un accroissement des programmes de formation sur les compétences culturelles pour la GRC et d’autres services de police, les services correctionnels et divers employés du ministère de la Justice, ainsi que du renforcement des capacités en droit autochtone à la Schulich School of Law, au Barreau de la Nouvelle-Écosse et à Nova Scotia Legal Aid. Des modifications ont été apportées aux protocoles d’ordonnance de protection d’urgence, à la Children and Family Services Act et à la Family Homes on Reserves and Matrimonial Interests or Rights Act afin de mieux tenir compte des préoccupations des familles autochtones. Il existe divers programmes pour aider les femmes et les filles qui font face à la loi, y compris le programme des ULIF, les programmes de recherche et d’action en matière d’intervention en cas de violence sexuelle, et l’Enquête nationale sur les femmes disparues et assassinées et ses programmes de soutien. Il existe également des programmes communautaires pour les jeunes axés sur la prévention et l’apprentissage fondé sur les biens, comme LOVE et Red Road ainsi que d’autres programmes axés sur l’éducation fondée sur la terre et les connaissances traditionnelles, ainsi que sur les droits et les responsabilités issus de traités.

Fait important, le pouvoir judiciaire, en partenariat avec les chefs micmacs du Cap-Breton, a entraîné la formation d’un tribunal unique à Wagmatcook, ouvert en avril 2018, qui a le potentiel d’améliorer le droit coutumier et la gestion communautaire des conflits criminels, de la famille, de la guérison et du mieux-être par la mise en œuvre des principes juridiques micmacs, si le tribunal est doté de ressources suffisantes et lié à une initiative globale de justice micmaque.

Le Mi’kmaw Legal Support Network (MLSN) continue d’innover et de répondre aux besoins de la collectivité, et il est en voie d’établir une légitimité solide en matière de revitalisation des principes juridiques des Micmacs et de leurs applications actuelles dans les programmes d’assistants parajudiciaires, de droit coutumier, de services aux victimes, de rédaction de rapports Gladue et de services correctionnels. Cependant, il y a de sérieuses limites causées par le financement précaire, les effectifs insuffisant de spécialistes et l’isolement institutionnel. Ensemble, ces enjeux et d’autres empêchent le MLSN de fournir des services cohérents et de réaliser son plein potentiel. Cela est particulièrement urgent parce que les demandes de services de justice des Micmacs, comme les rapports Gladue, les assistants parajudiciaires des tribunaux de justice familiale et criminelle, les programmes de guérison, la probation coutumière, les programmes de mise en liberté sous caution assistés dans la collectivité, les conseils juridiques et les programmes d’éducation, de réinsertion sociale et correctionnelle, ainsi que les demandes de programmes de compétences culturelles et d’information sur les droits issus de traités, augmentent à mesure que la sensibilisation aux droits autochtones s’élargie et que les collectivités se mobilisent. L’accès à la justice demeure un défi réel pour les peuples autochtones de la Nouvelle-Écosse dans ces conditions.

À cette époque de réforme juridique et de réconciliation, il est temps de réexaminer une stratégie de justice globale centrée sur les Micmacs et d’élaborer des plans immédiats, de 5 et 10 ans, afin d’énoncer clairement la portée, l’orientation et les responsabilités des Micmacs et des parties fédérale et provinciale. L’appel à l’action no 42 de la Commission de vérité et réconciliation déclare ceci :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de s’engager à reconnaître et à mettre en œuvre un système de justice autochtone qui soit compatible avec les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones, en plus d’être conforme à la Loi constitutionnelle de 1982 et à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

L’appel à l’action no 50 se lit comme suit :

Conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, nous demandons au gouvernement fédéral de financer, en collaboration avec les organisations autochtones, la création d’instituts du droit autochtone pour l’élaboration, la mise en application et la compréhension des lois autochtones ainsi que l’accès à la justice en conformité avec les cultures uniques des peuples autochtones du Canada.

Les appels à la justice issus de l’Enquête nationale demandent aux services de police d’apporter les onze changements suivants :

9.1 Nous demandons à tous les services de police et à tous les acteurs du système de justice de reconnaître que la relation historique et actuelle entre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones et le système de justice a été largement définie par le colonialisme, le racisme, les préjugés, la discrimination et les différences culturelles et sociétales fondamentales. Nous demandons également à tous les services de police et à tous les acteurs du système de justice de reconnaître que, à compter de maintenant, cette relation doit être fondée sur le respect et la compréhension, qu’elle doit être guidée par les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones, et établie en partenariat avec elles.

9.2 Nous demandons à tous les acteurs du système de justice, y compris les services de police, de bâtir des relations de travail respectueuses avec les peuples autochtones qu’ils servent en apprenant à les connaître, à les comprendre et à les respecter. Les initiatives et les mesures devraient inclure les suivantes, sans toutefois s’y limiter :

  1. i Examiner et revoir toutes les politiques, pratiques et procédures pour faire en sorte que les services fournis sont adaptés à la culture et qu’ils ne traduisent pas de préjugés ou de racisme à l’égard des peuples autochtones, y compris les victimes et les survivantes de la violence.
  2. ii Appeler à la mobilisation et établir des partenariats avec les personnes, les communautés et les dirigeants autochtones, y compris les femmes, les Aînés, les jeunes et les personnes 2ELGBTQQIA des territoires qu’ils desservent et qui résident dans un lieu sous la compétence d’un service de police.
  3. iii Assurer une représentation autochtone adéquate au sein des conseils administratifs des services de police et des autorités chargées de la surveillance, y compris en assurant la présence de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones.
  4. iv Entreprendre de former et de sensibiliser tous les employés et agents de police afin qu’ils comprennent et mettent en œuvre des pratiques adaptées à la culture et qui tiennent compte des traumatismes, en particulier lorsqu’ils font affaire avec les familles de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones disparues ou assassinées.

9.3 Nous demandons à tous les gouvernements de financer une augmentation du recrutement d’Autochtones au sein des services de police, et à tous les services de police d’inclure dans leurs rangs une représentation de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA, y compris une représentation de personnes de différentes origines culturelles autochtones. Cela comprend des mesures telles que les suivantes :

  1. i Assurer une diversité représentative des Premières Nations, des Inuits et des Métis et une diversité des genres au sein de tous les services de police au moyen d’un recrutement intensif et spécialisé partout au Canada.
  2. ii Veiller à ce que les services de police offrent obligatoirement des services en langues autochtones.
  3. iii Assurer une présélection des recrues, notamment au moyen de tests visant à dépister les préjugés quant à la race, au sexe, à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle.
  4. iv Inclure les communautés autochtones dans les processus et les comités de recrutement et d’embauche.
  5. v Intégrer à la formation des recrues une formation sur le rôle de la police dans l’histoire de l’oppression et du génocide des Autochtones; une formation sur la lutte contre le racisme et les préjugés; ainsi qu’une formation sur les langues et les cultures. Toutes les formations données doivent être fondées sur les distinctions et être pertinentes pour le territoire et les personnes servies : il ne doit pas s’agir de formations panautochtones.
  6. vi Maintenir en poste les agents autochtones en leur fournissant des mesures de soutien à l’emploi pertinentes, et leur offrir des mesures incitatives pour répondre à leurs besoins particuliers en tant qu’agents au service de communautés autochtones, dans le but d’assurer leur maintien en poste et de garantir la santé et l’équilibre général du service.
  7. vii Mettre fin à la pratique des services de police visant à offrir des affectations d’une durée limitée et mettre plutôt en œuvre une politique particulière pour les communautés éloignées et rurales, axée sur le renforcement et le maintien d’une relation avec les populations et les cultures locales. Cette relation doit être guidée par les Autochtones qui vivent dans ces communautés éloignées et rurales, et établie en partenariat avec eux.

9.4 Nous demandons à tous les services de police non autochtones d’avoir la capacité et les ressources requises pour servir et protéger les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. Nous leur demandons également d’établir des unités autochtones spécialisées au sein de leurs services, dans les villes et les régions où se trouvent des populations autochtones.

  1. i Les unités de police autochtones spécialisées doivent être pourvues d’un effectif comprenant des enquêteurs autochtones expérimentés et adéquatement formés, qui constitueront les principales équipes et seront les principaux agents chargés de superviser les enquêtes dans les cas touchant les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones.
  2. ii Les unités de police autochtones spécialisées dirigeront les efforts des services en matière de relations avec les communautés, de renforcement des liens avec celles-ci et de programmes de prévention du crime au sein des communautés autochtones et à leur intention.
  3. iii Les unités de police autochtones spécialisées établies au sein des services de police non autochtones devront être financées adéquatement par les gouvernements.

9.5 Nous demandons à tous les services de police de normaliser les protocoles associés aux politiques et pratiques qui permettent de veiller à ce que tous les cas de disparition ou de meurtre de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones fassent l’objet d’enquêtes exhaustives. Cela comprend les mesures suivantes :

  1. i Établir un protocole de communication avec les communautés autochtones afin de les informer des politiques, des pratiques et des programmes qui permettent d’assurer leur sécurité.
  2. ii Améliorer les communications entre les policiers et les familles des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones disparues et assassinées dès le premier rapport, et assurer des communications régulières et permanentes tout au long de l’enquête.
  3. iii Améliorer la coordination entre les ministères gouvernementaux et entre les territoires de compétence et les communautés autochtones et les services de police.
  4. iv Reconnaître qu’un taux de roulement élevé chez les agents de police assignés aux dossiers des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones disparues et assassinées peut avoir des répercussions négatives tant sur la progression des enquêtes que sur les relations avec les membres des familles; les services de police doivent avoir des protocoles robustes pour atténuer ces répercussions.
  5. v Élaborer une stratégie nationale, par l’entremise de l’Association canadienne des chefs de police, visant à assurer une uniformité dans les mécanismes de production de rapports sur la disparition de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones. Cette stratégie pourrait être élaborée en même temps qu’une base de données nationale serait créée.
  6. vi Établir des délais de réponse normalisés pour le signalement de la disparition de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones qui subissent de la violence, et effectuer régulièrement une vérification de ces délais de réponse afin d’assurer l’amélioration du processus.
  7. vii Amener les gouvernements provinciaux et territoriaux à mettre en place un numéro d’urgence national.

9.6 Nous demandons à tous les services de police de mettre sur pied une unité d’enquête spéciale indépendante sur les omissions d’enquêter, les inconduites de la police et toutes les formes de pratiques discriminatoires et de mauvais traitements à l’égard d’Autochtones au sein de leur propre service. Cette unité d’enquête spéciale devra user de pratiques transparentes et présenter un rapport au moins une fois par année aux communautés, aux dirigeants et aux citoyens autochtones qui relèvent de leur compétence.

9.7 Nous demandons à tous les services de police de collaborer avec des organisations de première ligne qui travaillent dans les domaines de la prestation de service, de la sécurité et de la réduction des dommages à l’égard des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones, afin d’élargir la portée des services de police et de renforcer leur efficacité.

9.8 Nous demandons à tous les services de police de mettre sur pied un comité consultatif composé de citoyens autochtones dans chaque service ou division de police, ainsi qu’un comité consultatif de citoyens autochtones à l’échelle locale pour conseiller le détachement qui exerce ses activités dans une communauté autochtone.

9.9 Nous demandons à tous les ordres de gouvernement et à tous les services de police de mettre sur pied un groupe de travail national composé d’enquêteurs indépendants, hautement qualifiés et spécialisés pour examiner et, au besoin, pour rouvrir les enquêtes dans tous les cas non résolus de meurtre ou de disparition de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones partout au Canada. De plus, ce groupe de travail devra divulguer aux familles et aux survivantes toutes les informations et conclusions non protégées.

9.10 Nous demandons à tous les services de police d’informer volontairement le groupe de travail national de tous les cas non résolus de meurtre ou de disparition de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones.

9.11 Nous demandons à tous les services de police d’élaborer et de mettre en œuvre des lignes directrices sur le maintien de l’ordre en lien avec l’industrie du sexe, en consultation avec les femmes qui participent à cette industrie, et de mettre en place des mécanismes de traitement des plaintes concernant la police pour les travailleuses du sexeNote de bas de page 110.

Ensemble, les appels à l’action de la CVR, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées et les recommandations de l’enquête Marshall créent une base sur laquelle bâtir un changement systémique. Les services de police du Mi’kma’ki ont besoin d’une infusion importante de soutien et d’une collaboration globale afin de pouvoir offrir des services durables, réactifs, cohérents et sécuritaires aux collectivités, aux délinquants, aux victimes et aux familles, en harmonie avec les principes juridiques et la gouvernance des Micmacs. Avec le mandat du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile consistant à élaborer conjointement avec la ministre des Services aux Autochtones un cadre législatif pour les services de police des Premières Nations – ce cadre reconnaissant les services de police des Premières Nations comme un service essentiel – et de travailler avec les collectivités intéressées pour accroître le nombre de collectivités desservies par les services de police des Premières Nations, les problèmes systémiques décrits par les participants à cette recherche peuvent être abordés et un service de police décolonisé peut devenir réalité dans le Mi’kma’ki.

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