Évaluation du risque présenté par les délinquants autochtones de sexe masculin : Une perspective 2006

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Résumé

Les délinquants autochtones diffèrent des délinquants non autochtones de plusieurs façons. Par exemple, les délinquants autochtones sont surreprésentés dans l'appareil de justice pénale en regard de leur proportion de la population générale. En 2004-2005, les délinquants autochtones constituaient 16,2 % de l'ensemble des délinquants sous responsabilité fédérale et 20 % de l'ensemble des délinquants sous responsabilité provinciale ou territoriale, alors que les Autochtones adultes ne constituaient que 2,7 % de la population adulte canadienne lors du plus récent recensement. De plus, des recherches ont établi que, comparativement aux délinquants non autochtones, les délinquants autochtones sont plus susceptibles de commettre des crimes violents, sont classés à un niveau de risque et de besoins plus élevé, sont généralement plus jeunes, ont un niveau d'instruction plus faible et sont moins susceptibles d'avoir un emploi au moment de leur admission dans un établissement de détention. Cette disparité est demeurée stable au cours des années, malgré nombre d'efforts pour améliorer la situation.

Compte tenu des différences entre les délinquants autochtones et non autochtones et du fait que la plupart des instruments d'évaluation du risque ont d'abord été validés auprès de délinquants non autochtones, il n'est pas étonnant que certaines personnes contestent la comparabilité des facteurs de risque entre les deux groupes et l'utilisation du même instrument pour évaluer les risques des deux populations. Malgré la validité de ces préoccupations, les résultats de la présente recherche devraient apaiser ces craintes, du moins en partie.

Bien qu'il n'y ait pas abondance de recherches dans ce domaine, les études réalisées à ce jour donnent à penser que la majorité des facteurs de risque sont bel et bien applicables aux délinquants autochtones de sexe masculin. La recherche a également établi que certains des instruments d'évaluation du risque les plus largement reconnus – par exemple, l'Échelle d'information statistique sur la récidive (ISR) (Nuffield, 1982) et l'Inventaire du niveau de service – révisé (INS-R; Bonta et Andrews, 1995) – sont tout aussi valides et prédisent la récidive de façon également efficace pour les délinquants autochtones de sexe masculin, même si ces instruments ont été conçus en se basant sur une population non autochtone.

Cette étude avait trois objectifs. D'abord, on a examiné les recherches existantes en matière de facteurs de risque pour pour déterminer si les facteurs de risque étaient semblables chez les délinquants autochtones et non autochtones de sexe masculin. Ensuite, on a examiné les divers instruments d'évaluation du risque pour déterminer leur efficacité à prédire le risque présenté par les délinquants autochtones de sexe masculin. Enfin, différentes perspectives sur l'évaluation du risque que présentent les délinquants autochtones de sexe masculin ont été présentées, les éléments communs à ces perspectives ont été soulignés et des recommandations ont été formulées.

Facteurs de risque

Plusieurs facteurs de risque ont été examinés au cours des dernières décennies, et un consensus assez général s'est créé quant aux plus importants de ces facteurs. Huit principaux facteurs de risque ont été isolés; en voici la liste : (1) historique antécédents de comportement antisocial, (2) personnalité antisociale, (3) attitudes antisociales, (4) pairs antisociaux, (5) problèmes familiaux ou conjugaux, (6) problèmes à l'école ou au travail, (7) absence d'activités positives de loisir ou de récréation et (8) abus de substances psychoactives toxicomanie. D'autres facteurs de risque plus faibles ont également été déterminés (par exemple, la classe sociale d'origine, le fonctionnement intellectuel, l'anxiété, l'estime de soi); cependant, ces facteurs de risque ne prédisent pas le risque aussi bien que les huit principaux facteurs de risque.

Les facteurs de risque peuvent être décrits comme « passifs statiques » ou « actifs dynamiques ». Les facteurs de risque passifs statiques sont peu susceptibles d'évoluer avec le temps et sont considérés comme stables, tels les antécédents criminels. Les facteurs de risque actifs dynamiques sont, eux, de nature « dynamiques » et peuvent évoluer, notamment grâce à un traitement approprié. Des exemples de facteurs de risque actifs dynamiques sont la toxicomanie, les attitudes antisociales et la fréquentation de pairs antisociaux, pour ne nommer que ceux-là. Les facteurs de risque dynamiques peuvent également être perçus comme des facteurs de « besoins », des domaines de la vie du délinquant qui nécessitent de l'attention (c'est-à-dire, un traitement). En fait, on utilise souvent l'expression « facteur de risque/besoins » pour souligner ce parallèle. Les besoins sont soit de nature « criminogène » ou « non criminogène ». Les besoins criminogènes sont les besoins directement liés au comportement criminel; le fait de les cibler de façon appropriée et efficace réduira la probabilité de récidive. Les besoins non criminogènes sont également des secteurs jugés problématiques et nécessitant un traitement, mais ces besoins ne sont pas directement liés au comportement criminel et sont donc souvent classés comme secondaires dans le plan de traitement. Ainsi, même si l'étiquette « facteur de risque » peut avoir une connotation négative dans certains contextes (par exemple, la présence d'un plus grand nombre de facteurs de risque indique habituellement un risque accru de récidive ou entraîne le classement à un niveau de sécurité plus élevé lors de l'incarcération), il est important de garder à l'esprit que les facteurs de risque peuvent également être envisagés d'une façon plus positive (comme des « facteurs de besoins »), c'est-à-dire comme des facteurs qu'un plan de traitement devrait prendre en compte de façon à pouvoir réduire le risque de récidive.

La quantité de recherches menées sur l'application de ces huit principaux facteurs de risque auprès des délinquants autochtones de sexe masculin varie selon le facteur de risque en cause. Les antécédents de comportement antisocial, habituellement définis comme les antécédents criminels, sont le facteur de risque le plus étudié chez les délinquants autochtones. Dans ce cas, les résultats de la recherche sont clairs – les antécédents criminels prédisent le risque tout aussi bien pour les délinquants autochtones que non autochtones. Même s'il existe moins de recherches sur la toxicomanie, les attitudes antisociales, la personnalité antisociale et les pairs antisociaux, les recherches disponibles à ce jour laissent croire que ces facteurs sont également applicables aux délinquants autochtones de sexe masculin. En somme, la recherche est cohérente quant à l'application égale de tous les facteurs de risque aux délinquants autochtones, à deux exceptions près.

Une étude qui a fait date, menée par James Bonta, Carol LaPrairie et Suzanne Wallace-Capretta en 1997, a porté sur un certain nombre de facteurs de risque dans le contexte de la validation d'une échelle. Cette étude a permis de constater le caractère prédictif de tous les facteurs de risque principaux pour les délinquants autochtones de sexe masculin, à l'exception des facteurs « problèmes familiaux ou conjugaux » et « problèmes à l'école ou au travail ». Ces deux facteurs de risque ne se sont pas révélés prédictifs pour l'échantillon de délinquants autochtones étudiés. Comme il y a eu peu de recherches menées depuis, de nouvelles études s'imposent avant d'en venir à quelque conclusion assurée quant à ces deux facteurs de risque et à leur application.

Des arguments ont été présentés quant aux raisons pour lesquelles certains des facteurs de risque pourraient ne pas être applicables aux délinquants autochtones. Par exemple, il se peut que des collectivités autochtones aient des opinions différentes quant à l'importance de l'instruction et de l'emploi à temps plein et que ces distinctions de valeurs culturelles se manifestent dans certains facteurs de risque. Il se peut aussi que ces deux facteurs de risque ne s'appliquent pas vraiment aux délinquants autochtones; cela reste à déterminer. On a également envisagé la possibilité qu'il existe d'autres facteurs de risque s'appliquant spécifiquement aux délinquants autochtones (c'est-à-dire qui ne s'appliquent pas aux délinquants non autochtones), mais la recherche n'a pas encore identifié déterminé de tels facteurs. Par exemple, des recherches menées en Australie et en Nouvelle-Zélande explorent des facteurs de risque culturellement spécifiques liés à l'identité autochtone et au besoin d'une appartenance à un groupe au sein de leur population de délinquants autochtones. Des recherches additionnelles s'imposent également dans ce domaine.

En général, des recherches additionnelles sont nécessaires pour examiner plus avant l'ensemble des facteurs de risque; cependant, la recherche existante soutient sans conteste la position selon laquelle la majorité des facteurs de risque sont semblables dans les deux cultures.

Instruments d'évaluation du risque

Il est inhabituel d'évaluer chaque facteur de risque un par un dans le contexte correctionnel. De nos jours, les facteurs de risque sont souvent examinés collectivement, habituellement par le truchement d'un instrument structuré d'évaluation du risque. Il existe beaucoup d'instruments d'évaluation du risque, mais certains instruments sont plus largement acceptés et utilisés que d'autres, surtout en raison de leurs excellentes propriétés psychométriques. Une évaluation du risque approfondie devrait comprendre un examen complet d'un certain nombre de facteurs de risque, tenir compte du passé, du présent et de l'avenir du délinquant ou de la délinquante et intégrer ses caractéristiques individuelles et son milieu.

Comme pour les facteurs de risque, des recherches confirment la position voulant que de nombreux instruments reconnus d'évaluation du risque s'avèrent valides lorsqu'ils sont appliqués aux délinquants autochtones de sexe masculin. Ceci dit, le second objectif de la présente étude consistait à examiner trois des principaux instruments d'évaluation du risque utilisés actuellement au Canada [1]. Les recherches consacrées à deux de ces instruments, l'INS-R et l'échelle d'ISR, laissent croire que ces échelles d'évaluation du risque sont valides et prédisent efficacement le risque chez les délinquants autochtones de sexe masculin. La recherche menée sur l'échelle d'ISR et les délinquants autochtones est concluante, avec des scores prédictifs de la récidive générale qui fonctionnent aussi bien pour les groupes de délinquants autochtones que non autochtones. L'INS-R a fait l'objet de moins de recherches, mais la majorité des recherches qui ont été réalisées à ce jour ont confirmé que cet instrument d'évaluation du risque était également applicable aux délinquants autochtones canadiens de sexe masculin.

La plupart des instruments d'évaluation du risque comprennent les huit principaux principaux facteurs de risque; il y en a toutefois qui n'incluent que les facteurs de risque passifs statiques. L'échelle d'ISR, par exemple, ne comprend que des facteurs de risque passifs statiques; par conséquent, tous les huit principaux principaux facteurs de risque n'y sont pas représentés. L'INS-R, par contre, inclut chacun des huit principaux facteurs de risque, ainsi que plusieurs de nombreux autres facteurs. L'intégration de facteurs de risque et de besoins passifs statiques et actifs dynamiques favorise une évaluation plus complète et l'élaboration d'un plan de traitement plus approprié. L'INS-R comprend également une composante de dérogation à discrétion professionnelle, qui permet à l'administrateur d'incorporer à l'évaluation des facteurs ou des considérations non prévus dans la portion structurée de l'évaluation du risque.

L'intégration de divers facteurs de risque ou de besoins est aussi une considération importante au moment d'évaluer les populations auprès desquelles l'instrument n'a pas été validé au départ. De plus, il est crucial de respecter les principes du traitement correctionnel efficace pour assurer au traitement les meilleurs résultats. Trois des principes les plus importants dans ce domaine sont le principe du risque, le principe du besoin et le principe de la réceptivité. Le principe de la réceptivité est particulièrement important dans le contexte des délinquants autochtones. Essentiellement, pour qu'il soit fructueux, le traitement doit être de nature cognitive et comportementale et être administré d'une façon conforme au style d'apprentissage du délinquant et à son contexte culturel. La présente étude examine l'importance du savoir culturel, tant de la part du praticien menant l'évaluation que des fournisseurs du traitement.

La nécessité et la disponibilité de traitements appropriés pour les délinquants autochtones incarcérés ont également été soulevées dans le contexte de l'évaluation du risque. Une explication possible de l'opposition à l'application aux délinquants autochtones des instruments d'évaluation du risque est le fait que l'instrument peut désigner le délinquant comme présentant un risque élevé. Comme on l'a indiqué, les délinquants autochtones sont plus nombreux que les délinquants non autochtones à être classés à risque élevé, non parce qu'ils sont autochtones, mais parce qu'ils présentent un plus grand nombre de facteurs de risque mesurés par l'instrument. Malheureusement, un score plus élevé sur l'échelle de risque entraîne un certain nombre de répercussions. D'une part, des plans de traitement complets peuvent incorporer l'ensemble des facteurs de risque et des besoins déterminés. D'autre part, un score de risque plus élevé entraîne habituellement une cote de sécurité plus élevée, ce qui impose le placement dans un établissement à sécurité maximale, où des programmes appropriés ne sont probablement pas offerts. Il s'agit d'un élément très inquiétant. Malgré la mise au point d 'approches de traitement spécifiques aux Autochtones (les pavillons de ressourcement, par exemple), les délinquants autochtones ne peuvent y participer ou y être placés s'ils ont reçu un classement de risque élevé. Il est donc toujours important de reconnaître les conséquences d'effectuer une évaluation du risque. Évidemment, l'absence d'un instrument d'évaluation du risque est également préoccupante, puisque le jugement humain tend à imposer aux délinquants des placements à un niveau de sécurité trop élevé. Il existe diverses façons de régler ces problèmes : par exemple, réduire les scores de risque de façon à permettre un placement différentiel à sécurité moins élevée aux fins du traitement, ou modifier les pratiques actuelles de façon à augmenter la disponibilité des traitements pouvant répondre à l'ensemble des besoins cernés lors de l'évaluation du risque.

Perspectives diverses, points communs et recommandations

La présente étude avait pour objectif final de présenter diverses perspectives sur la question de l'évaluation du risque que présentent les délinquants autochtones, de déterminer des positions communes et de formuler des recommandations. Même si les perspectives sont multiples, elles ont pour thème commun la nécessité d'une évaluation du risque, bien que les opinions diffèrent quant à l'évaluateur approprié et la forme que devrait prendre l'évaluation. Il y a consensus quant à la nécessité de cerner les « besoins » et de les cibler au moyen de plans de traitement appropriés. On reconnaît également qu'il existe de nombreuses méthodes différentes de faire les choses et qu'aucune de ces méthodes n'est toujours meilleure que les autres – elles peuvent simplement différer. Par exemple, les méthodes de communication diffèrent souvent entre groupes autochtones et non autochtones dans le contexte de l'évaluation du risque. Alors que la méthode de communication empirique met l'accent sur les chiffres et sur l'objectivité structurée, beaucoup de communautés autochtones privilégient les techniques de communication non verbale, en valorisant la narration de récits et la transmission d'enseignements d'une génération à l'autre. Ce qui est valorisé dans une société non autochtone l'est peut-être à un degré moindre dans une société autochtone et vice versa. Par exemple, le respect de la terre, celui de la famille et des aînés et le fait de « vivre de la nature » sont des valeurs que l'on retrouve dans bon nombre de communautés autochtones. Une compréhension des deux cultures s'impose pour bien traiter les problèmes en cause.

Il est important pour les non-Autochtones de reconnaître les injustices qui ont été commises contre beaucoup de personnes autochtones. Bien que ces injustices aient entraîné des désavantages et se manifestent de bien des façons, ces désavantages ne doivent pas être associés à la prédiction du risque. Celle-ci a pour objet de prédire, non d'expliquer. Ceci dit, une ouverture aux explications s'avère importante dans un contexte de collaboration. Une compréhension entre les deux groupes est essentielle pour assurer une bonne prédiction du risque, mais également pour accroître la probabilité d'un traitement efficace des délinquants autochtones et de leur réinsertion dans la collectivité.

La présente étude a permis d'en venir aux recommandations suivantes. Premièrement, toute discussion sur l'évaluation du risque présenté par les délinquants autochtones devrait être fondée sur ce qui est déjà connu. Des recherches indiquent que la majorité des facteurs de risque sont applicables aux délinquants autochtones; il faudrait donc partir de là plutôt que de chercher à réinventer la roue. Deuxièmement, les chercheurs devraient continuer à examiner les principaux facteurs de risque et la possibilité que des facteurs de risque s'appliquent de façon spécifique aux Autochtones, tout en continuant à valider les instruments d'évaluation du risque actuellement utilisés. Troisièmement, il est important d'avoir recours aux communautés autochtones pour leur expertise, des manières suivantes. L'éducation et la compréhension culturelle sont des éléments essentiels, tant pour la pratique d'évaluation du risque des délinquants autochtones que pour les personnes qui valident et élaborent de tels instruments. Les communautés autochtones doivent participer à la procédure servant à déterminer s'il existe des facteurs de risque additionnels liés à leur culture. L'expertise des communautés autochtones doit également être intégrée à l'élaboration de stratégies de traitement appropriées pour les délinquants autochtones, qui intègrent spécifiquement le principe de la réceptivité. Enfin, l'établissement, autour d'un objectif commun, de partenariats entre les communautés autochtones et les spécialistes de l'évaluation du risque permettra certainement de réaliser des progrès au chapitre de l'évaluation du risque chez les délinquants autochtones au Canada.

Notes

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