Crime organisé – Résumé de recherche 2017-H006
Dans ce numéro
- L’expansion territoriale des organisations criminelles de type mafieux
- Intervenir dans la voie de recrutement en réaction au crime organisé
- Effets des politiques sur les marchés illicites transnationaux
- Surveillance des délinquants en ligne
- Une typologie pour les « réseaux criminels polymorphes » et la diversification ou la cooccurrence
L’expansion territoriale des organisations criminelles de type mafieux
La structure des groupes de type mafieux s’installant dans de nouveaux territoires dépend de la nature de l’expansion.
Les marchés internationaux mondialisés sont de plus en plus omniprésents. Non seulement il y a une tendance à l’exportation de produits et de services à l’échelle internationale, mais des phénomènes socioéconomiques qui avaient l’habitude d’être isolés dans certaines régions sont maintenant observés à l’extérieur de leurs territoires d’origine. Ces phénomènes sont faciles à voir dans la transmission des langues, des cultures et des religions d’une région à l’autre. Au fil du temps, le phénomène original exporté est assujetti à différents facteurs contextuels et à différents acteurs, ce qui donne lieu à des différences.
Les groupes du crime organisé de type mafieux qui avaient l’habitude d’être isolés dans des régions particulières en Italie ne le sont plus. En effet, les auteurs ont constaté que les groupes Cosa Nostra, ‘Ndrangheta et Camorra sont actifs dans des régions non traditionnelles telles que l’Allemagne. Dans leur expansion depuis les régions traditionnelles du Sud de l’Italie, les groupes du crime organisé de type mafieux modernes ont adopté une structure plus mondialisée qui englobe des liens, des partenariats ou des membres internationaux. De plus, la nature de ces entreprises indique qu’elles se font de plus en plus transnationales. Le milieu universitaire débat quant à la nature de cette « exportation » des groupes de type mafieux, et à savoir si ces groupes sont capables de se reproduire dans de nouveaux territoires. Le cas échéant, le nouveau groupe maintient-il un lien avec le groupe original (et y reste-t-il dépendant), ou se sépare‑t‑il de lui pour devenir une organisation en substance indépendante?
Malgré les difficultés liées au seul fait de définir un type idéal pour les groupes du crime organisé de type mafieux, il n’en reste pas moins que ceux-ci partagent des caractéristiques telles que la déviance, la criminalité et la violence, lesquelles sont reconnues d’une façon ou d’une autre partout dans le monde. Les groupes Cosa Nostra, ‘Ndrangheta et Camorra ont toujours eu des racines profondes dans le Sud de l’Italie. Le groupe Cosa Nostra a généralement une forme structurée, verticale et pyramidale, tandis que le groupe Camorra est plus fragmenté et le groupe ‘Ndrangheta est structuré de manière plus horizontale. Les auteurs présentent un concept idéal de la mafia qui met l’accent sur sa structure en réseau violente qui comporte diverses dimensions d’entreprises. Ces entreprises mènent leurs activités à la fois dans les marchés légaux et illégaux. Il existe aussi une forme d’organisation pour le contrôle du territoire. Si les groupes de type mafieux se préoccupent de réaliser des profits, ils cherchent également à obtenir du pouvoir en vue d’influencer les sphères publique et privée.
Certains universitaires prétendent qu’en raison de leur nature territoriale, il est difficile d’exporter les groupes du crime organisé de type mafieux, quoiqu’il puisse leur être possible de se reproduire dans différentes régions. Dans l’étude de l’expansion de la mafia, il s’est avéré difficile de relever un seul facteur causal. Il convient de tenir compte de deux catégories principales de facteurs si l’on veut comprendre cette expansion : le contexte et l’action.
Les facteurs contextuels désignent les structures économiques, culturelles, politiques et institutionnelles qui ont le potentiel de favoriser l’émergence d’acteurs mafieux. Parmi ces facteurs, on retrouve le degré d’opposition de la part des autorités d’application de la loi et la vulnérabilité de secteurs particuliers. Les secteurs vulnérables sont ceux qui ont de faibles niveaux de technologie (p. ex. la construction) ou qui sont assujettis à une réglementation publique (p. ex. les appels d’offres concurrentiels). En mettant de la pression sur les secteurs vulnérables, la mafia est capable d’accéder à des ressources publiques et peut créer des conditions qui influencent le degré de difficulté de son expansion. Toutefois, les facteurs contextuels ne dictent pas à eux seuls si une région est susceptible à l’infiltration par la mafia. L’action peut être le résultat de choix intentionnels ou non intentionnels, ce qui influencera considérablement la forme des entreprises criminelles organisées. L’action non intentionnelle peut découler d’une descente par les autorités d’application de la loi ou de guerres mafieuses qui modifient l’équilibre du pouvoir dans la région. En revanche, dans une expansion intentionnelle, on cherche à migrer les opérations vers de nouveaux territoires en vue d’étendre la portée des affaires et d’accroître les revenus.
Ces facteurs peuvent donner lieu à deux types idéaux d’expansion pouvant prendre diverses formes, selon le type de lien maintenu avec le groupe original. Dans les expansions de type établissement, les liens et les structures de subordination sont maintenus avec le pays d’origine. En revanche, dans les expansions de type infiltration, le groupe conserve certaines caractéristiques du groupe original mais maintient peu de liens avec ce groupe. L’expansion est alors principalement attribuable à la présence de membres individuels de la mafia dans la région. Une expansion moins intentionnelle se traduit par des groupes de nature plus prédatrice. Une dernière forme d’expansion, soit l’imitation, se produit lorsque des groupes criminels semblent fonctionner de façon semblable à un groupe mafieux traditionnel en particulier, imitant ses schémas de conduite et son organisation. Ces groupes n’entretiennent cependant aucun lien avec la région ou le groupe original.
Les auteurs illustrent les processus d’expansion de la mafia et d’infiltration de l’économie de marché en examinant l’étude de cas allemande. En se basant sur les données disponibles et l’application des facteurs du contexte et de l’action abordés précédemment, les auteurs affirment que l’infiltration de l’économie par le groupe ‘Ndrangheta en Allemagne résultait principalement de changements aux possibilités de croissance dans l’économie locale, par opposition à la présence massive d’immigrants italiens. Le rôle de ces immigrants est devenu important uniquement en ce qui concerne les stratégies d’expansion et de croissance de la mafia, et les auteurs mettent en doute l’attribution des activités organisées de type mafieux à la concentration élevée de la population italienne dans la région.
Sciarrone, R. et Storti, L. (2014). The territorial expansion of mafia-type organized crime. The case of the Italian mafia in Germany. Crime, Law and Social Change, 61(1), 37‑60.
Intervenir dans la voie de recrutement en réaction au crime organisé
Les stratégies d’intervention peuvent être adaptées de manière à perturber les mesures prises dans le cadre de scénarios criminels le long de la voie de recrutement.
Le crime organisé n’est pas toujours équivalent au chapitre de la gravité ou de la complexité. À un bout du spectre, on retrouve les crimes de rue à petite échelle et les crimes locaux au sein de la famille, tandis qu’à l’autre bout, on retrouve les activités à grande échelle liées au terrorisme, aux cartels de la drogue, à la fraude d’entreprise et à la traite de personnes. Si la majorité des fraudes graves ont été perpétrées par des individus, la recherche réalisée par KPMG (2013), un grand service de vérification international, a permis de constater que les cas de fraude interne impliquant quatre personnes ou plus avaient connu une augmentation, passant de 2 % à 6 % entre 2010 et 2012. Les groupes du crime organisé sont de plus en plus nombreux à se coordonner principalement ou entièrement en ligne.
Le milieu universitaire s’attarde peu aux processus de recrutement qui influencent les schémas d’adhésion parmi les groupes du crime organisé. Le degré de gravité des activités d’un groupe du crime organisé influence le nombre de personnes faisant partie du groupe, de même que la complexité des relations entre les membres. Les structures hiérarchiques, les structures en réseau ou les autres structures de l’organisation influent également sur la voie de recrutement.
Une meilleure compréhension des voies de recrutement dans le crime organisé permet d’adapter les stratégies d’intervention en vue de réduire la participation au crime organisé. À l’aide de scénarios de recrutement dans le monde criminel, les auteurs examinent la voie de recrutement de deux points de vue : les voies du recruteur et les voies du recruté. Les voies du recruteur englobent des processus en vertu desquels les groupes du crime organisé cherchent de nouveaux membres possédant une influence ou des compétences particulières, comme des personnes occupant un poste au sein du gouvernement. Pour leur part, les voies du recruté sont les chemins par lesquels des individus sont recrutés dans les groupes du crime organisé. Les auteurs examinent dans ces voies les motivations pouvant inciter des individus à chercher à participer à des entreprises du crime organisé.
Les voies du recruteur et du recruté commencent toutes deux par la recherche d’individus coopératifs et disposés à faire partie d’un groupe criminel. La recherche de cibles par les recruteurs se fonde souvent sur les intérêts ou les compétences des recrues potentielles. Selon le besoin du groupe du crime organisé, il pourrait s’agir d’anciens militaires possédant une expérience des explosifs, ou d’avocats et de comptables pouvant servir de véhicules pour le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale. Les pénitenciers en particulier peuvent offrir des occasions de tisser des liens avec d’autres individus ayant un casier judiciaire suffisant pour justifier une peine d’emprisonnement. L’auteur mentionne des situations où une cible est repérée par inadvertance, lorsque des individus respectueux de la loi et des individus ayant une orientation criminelle se rencontrent et établissent des collaborations sociales et criminelles. La recherche de cibles peut s’avérer plus difficile pour les recrutés. Outre la difficulté de repérer une cible qui n’est pas facilement reconnaissable comme un groupe du crime organisé, les recrutés doivent aussi trouver des moyens de gagner la confiance du groupe et d’en devenir membres.
L’établissement d’un lien de confiance peut être chronophage et intensif tant pour les recruteurs que pour les recrutés, et se fait par l’entremise de tactiques d’initiation telles que la démonstration de compétences criminelles particulières ou d’une conduite criminelle. Cette initiation peut avoir lieu au moment de l’adhésion à un groupe du crime organisé, ou inclure des vérifications régulières visant à maintenir une relation de confiance. L’établissement de ce lien en ligne exige un plus grand nombre d’étapes pour protéger l’identité des individus et des données. Un renforcement du lien de confiance est en outre possible grâce à un investissement financier ou au recrutement réussi de nouveaux membres.
L’auteur cerne cinq mesures de recrutement potentielles suivant un scénario criminel et donne plusieurs exemples de stratégies d’intervention possibles. Afin de pallier chacune de ces mesures, l’auteur propose des stratégies d’intervention correspondantes qui pourraient convenir pour perturber le recrutement dans un groupe du crime organisé. Par exemple, les auteurs indiquent que les conseillers financiers et les comptables sont des groupes professionnels qui courent un risque élevé d’être cernés comme cibles. Des efforts en vue de bien réglementer ces services permettraient donc de réduire la probabilité que des groupes du crime organisé y aient recours. D’autres stratégies d’application de la loi aident également à interrompre le recrutement, notamment la détermination et la surveillance des lieux de rencontre à risque élevé, la sensibilisation aux signaux d’alerte de la participation au crime organisé motivé par l’appât du gain, ainsi que la prestation de soutiens ou de solutions de rechange aux cibles potentielles du recrutement. Enfin, on peut accroître la difficulté de recruter des cibles en rendant le crime organisé ni payant ni attrayant.
L’auteur résume cinq catégories d’interventions qui peuvent être réalisées pour interrompre le recrutement dans le crime organisé : (1) éliminer l’anonymat; (2) réglementer les conseillers professionnels; (3) surveiller les lieux de rencontre; (4) s’attaquer aux motivations des recrutés; et (5) publiciser les risques.
Dans la conception de stratégies d’intervention pour lutter contre le recrutement dans des groupes du crime organisé, le respect de la vie privée, des droits de la personne et de la législation pourrait limiter les possibilités. Par ailleurs, le crime organisé est un phénomène complexe qui exige plusieurs solutions flexibles et dynamiques. Or, malgré les obstacles potentiels, des moyens de perturber les scénarios criminels pourraient être étudiés par les décideurs qui cherchent à contrôler les activités du crime organisé.
Smith, R. (2014). Responding to organised crime through intervention in recruitment pathways. Trends & issues in crime and criminal justice. No 473. Gouvernement australien. 9 p.
Effets des politiques sur les marchés illicites transnationaux
Il est important de cerner les processus essentiels aux marchés illicites et licites pour cibler les tactiques d’intervention stratégique appropriées.
Les groupes du crime organisé ont tendance à exploiter les vulnérabilités du marché. Les États peuvent donc modifier leurs instruments réglementaires de façon à minimiser les vulnérabilités, quoiqu’il soit difficile de prédire l’effet de toute politique de lutte contre la criminalité dans des systèmes complexes. Les systèmes commerciaux légaux dans le transport et les transactions financières sont particulièrement vulnérables à l’activité des marchés illicites. De plus, comme le transport de biens culturels exige des connaissances et des ressources spécialisées, il est impératif selon la recherche que les groupes du crime organisé maintiennent des liens solides avec des transporteurs légitimes. Le commerce dans le marché des œuvres d’art et des antiquités se fait à l’échelle transnationale, englobe une toile complexe de réseaux et évolue dans un contexte économique, juridique et politique toujours changeant. Les vulnérabilités et les possibilités d’échec du marché augmentent avec la complexité des marchés interdépendants. Si la plupart des composantes du système de marché sont visibles, la structure en réseau sous-jacente pourrait ne pas être aussi apparente. En outre, il est dans l’intérêt des groupes du crime organisé de cacher ou d’opacifier les interdépendances entre les systèmes, de sorte qu’il soit impossible d’instaurer des contrôles réglementaires pour contourner le comportement illicite.
Les auteurs utilisent un scénario, c’est-à-dire une série de mesures contextualisées qui doivent être prises dans un certain ordre, pour enquêter sur la structure du système commercial et les effets des directives d’orientation sur le commerce illicite. Ils se servent d’une fusion du scénario et de la méthode d’analyse de réseaux pour élaborer un modèle des interdépendances entre les marchés licites et illicites dans le commerce international des œuvres d’art et des antiquités de grande valeur. Au moyen de la centralité intermédiaire, les auteurs évaluent le potentiel de réduction du crime lié à l’introduction de nouvelles mesures qui ciblent des fonctions commerciales (complexité) exercées dans l’ensemble de l’industrie. Ils mènent aussi une autre analyse pour estimer la capacité du marché de contourner les mesures de contrôle de la criminalité ou de s’en remettre (transformité), compte tenu des inflexibilités inhérentes au système en général.
Les systèmes complexes courent un risque plus élevé d’interactions conduisant à l’erreur, car les gens interagissent les uns avec les autres de même qu’avec d’autres parties ou processus du système. Les marchés légaux et illégaux peuvent entrer en contact par l’intermédiaire d’acteurs légitimes à ces points d’interaction où une intervention réglementaire ciblée a le plus de chances de réussir. Pour démanteler les marchés illicites, on a habituellement recours à deux directives d’orientation complémentaires appelées « approche de réduction des marchés ». En contrôlant les mécanismes commerciaux et en réduisant la demande par la modification des structures de possibilité, le renforcement des systèmes de réglementation officiels et la promotion d’une réorientation des processus liés aux marchés vers une gouvernance autonome plus efficace, on déséquilibre la structure de possibilité de l’entreprise criminelle.
Pour effectuer une analyse de réseaux et de scénarios, il faut examiner le système en entier et décomposer l’industrie en secteurs composés de scénarios, qui sont des processus commerciaux particuliers. Chaque scénario peut être formé de plusieurs scènes, chacune étant une activité menée dans le cadre du processus commercial particulier. Les scènes peuvent à leur tour être décomposées en facettes qui représentent toutes les méthodes possibles pour accomplir chaque activité du processus commercial. L’analyse de réseaux et de scénarios permet de déterminer quelles activités sont indispensables et de relier différents processus ou acteurs dans l’ensemble du marché. Il est impératif de cerner tant les facettes licites que les facettes illicites pour mener l’analyse. Cette pratique est utile dans la création de modèles qui prédisent l’impact que pourraient avoir les politiques de contrôle de la criminalité.
Dans leur étude, les chercheurs soutiennent que la détermination des processus centraux est essentielle pour cerner exactement où les politiques sont les plus susceptibles de prévenir ou de réduire le comportement illicite. Il est également utile d’approfondir cette analyse en évaluant le potentiel de redressement spontané – lorsqu’il existe de multiples facettes pour accomplir les activités. Il est ainsi plus facile de contourner les restrictions imposées. Par ailleurs, les changements de politique qui accroissent la valeur de la marchandise offrent encore davantage d’incitatifs à trouver des solutions pour contourner les restrictions, et il convient de bien y penser avant de les apporter afin que seules les stratégies efficaces soient mises en œuvre.
Si l’on applique cette méthode au secteur des œuvres d’art et des antiquités, les constatations indiquent que les politiques de prévention du crime devraient cibler les mécanismes associés à la monétisation des objets et à la fiscalité, et ce, malgré la présence de nombreux obstacles à la mise en œuvre. Les auteurs soutiennent que le recadrage de l’approche de réduction des marchés selon la structure du système commercial accroîtrait le potentiel de découplage des marchés licites et illicites pour ce secteur.
Bichler, G., Bush, S. et Malm, A. (2015). Regulatory foresight: Estimating policy effects on transnational illicit markets. Journal of Contemporary Criminal Justice, 31(3), 297‑318.
Benoit, L. (2014). Script Analysis for Crime Controllers: Extending the Reach of Situational Crime Prevention. Dans S. Caneppele et F. Calderoni (dir.), Organized Crime, Corruption, and Crime Prevention (p. 13‑20). Suisse : Springer International Publishing.
Surveillance des délinquants en ligne
L’utilisation de données électroniques pour repérer les réseaux criminels exige la collecte de données en temps opportun de même qu’une analyse significative.
Comme les délinquants se servent de plus en plus de l’Internet pour mener leurs activités illégales, l’importance pour les criminologues de ne pas se limiter aux dossiers officiels, aux entrevues, aux enquêtes et aux observations n’a fait que s’intensifier. Il faut continuer à élaborer non seulement les outils qui sont utiles à la collecte d’information sur les activités illégales ayant lieu en ligne, mais aussi des techniques d’analyse des données adaptées aux besoins des travaux de recherche dans les secteurs du crime organisé en ligne.
Dans une société en réseau, les technologies de communication de l’information (TCI) se sont traduites par des communications instantanées où les contraintes liées au temps et à l’espace peuvent pratiquement être éliminées. Il est maintenant possible de communiquer dans plusieurs réseaux coexistants en même temps, ce qui facilite l’accès aux réseaux sociaux, notamment des réseaux criminels, à des fins personnelles et professionnelles. De plus, le mouvement des réseaux criminels en ligne accroît la faisabilité pour les chercheurs de recueillir et d’analyser les structures des réseaux, qu’il s’agisse d’organisations officielles ou de réseaux illicites plus ou moins organisés.
Les méthodes de recherche visant à recueillir des données à partir d’Internet continuent d’évoluer dans les façons dont elles peuvent être employées de manière indépendante et conjointement avec d’autres techniques. La collecte de données à grande échelle, notamment celles qui seraient requises pour une analyse de réseau détaillée, exige des chercheurs qui possèdent une connaissance des nouvelles technologies numériques. Les chercheurs possédant des compétences technologiques limitées peuvent recourir à la collecte manuelle, mais c’est la collecte automatique qui est la méthode privilégiée. Cette dernière permet de recueillir de grandes quantités de données qui peuvent servir à étudier les phénomènes répandus ainsi que les réseaux vastes ou complexes. Elle est nécessaire pour des techniques telles que l’analyse des réseaux sociaux (ARS). Grâce à leur connaissance du logiciel DATACRYPTO, un outil ayant servi à surveiller la vente de produits et de services illicites sur Silk Road, un marché noir en ligne, des chercheurs ont rédigé des lignes directrices relativement à la création de futurs robots Web personnalisés, en particulier pour les chercheurs qui connaissent moins bien cette technologie. Ces lignes directrices définissent les spécifications de l’outil en se servant de recherches antérieures comme indication du type de données qui sont utiles, dans la mesure du possible. Elles déterminent également le degré d’automatisation requis et régissent la recherche d’un développeur fiable au moyen du lancement d’un appel de soumissions et de la gestion des pigistes au quotidien. Les données trouvées en ligne présentent toutefois le problème de la capacité de l’information à se transformer rapidement. C’est pourquoi la collecte de données doit se faire en temps opportun.
Après avoir recueilli des données en ligne, les chercheurs se retrouvent confrontés au défi de réaliser une analyse significative des nombreuses données que peuvent générer ces techniques. L’ARS fait appel aux relations pour brosser un tableau de la structure du réseau, ainsi que de la position de chaque individu. Elle peut repérer les nœuds entre les acteurs et cerner les individus essentiels qui servent de courtiers en information au sein du réseau, en plus de repérer les faiblesses possibles dans des réseaux du crime organisé de plus en plus robustes et résilients. En étudiant ces réseaux, on peut observer que des réseaux complexes permettent aux organisations d’atténuer les conséquences du retrait potentiel d’individus. Bien que cela permette une meilleure compréhension de la stabilité générale d’un réseau criminel, il devient de plus en plus difficile de dresser un portrait complet du réseau. Les techniques de collecte de données en ligne peuvent aider à brosser un portrait, mais alors la difficulté ne tient pas tant à la capacité de recueillir de grandes quantités de données qu’à la capacité de réaliser une analyse significative des données recueillies. Le recours aux relations pour mettre au jour la structure d’un réseau de même que la position relative de chaque acteur, lequel est possible grâce aux techniques d’ARS, contribue à son attrait en tant que méthode de recherche.
En plus de recenser les faiblesses dans un réseau criminel, l’ARS fournit des renseignements utiles aux chercheurs et aux organismes d’application de la loi qui leur permettent de cerner les cibles possibles et de réduire l’utilisation inefficace des ressources. Cette méthode soulève toutefois des préoccupations éthiques quant aux justifications à utiliser dans les enquêtes. En effet, les enquêteurs doivent décider s’ils entament des poursuites contre tous les délinquants connus dans un réseau, ou s’ils effectuent des calculs plus pragmatiques pour déterminer quels délinquants poursuivre en justice afin d’optimiser l’efficacité des activités de perturbation du réseau dans son ensemble. Les organismes d’application de la loi devront rester vigilants à cet égard et continuer à mesurer l’évolution des réseaux après chaque arrestation.
Décary-Hétu, D. et Dupont, B. (2012). The social network of hackers. Global Crime, 13(3), 160‑175.
Décary-Hétu, D. et Aldridge, J. (2015). Sifting through the net: Monitoring of online offenders by researchers. The European Review of Organized Crime, 2(2), 122‑141.
Une typologie pour les « réseaux criminels polymorphes » et la diversification ou la cooccurrence
Les groupes du crime organisé mènent des activités dans quatre marchés à la fois, en moyenne.
Les efforts liés au maintien de l’ordre dans un secteur particulier du crime organisé pourraient se traduire par des variations du nombre de groupes du crime organisé qui mènent des activités dans un marché particulier. Le milieu universitaire s’est penché quelque peu sur les raisons pour lesquelles les groupes du crime organisé choisissent de mener des activités dans un marché plutôt qu’un autre. Parmi ces raisons, on retrouve les forces « pousser-tirer » du marché, les environnements législatifs et réglementaires qui rendent certains marchés plus attrayants que d’autres, ainsi que l’instabilité ou les vides créés par un changement de régime ou des événements politiques. Or, peu d’attention a été accordée aux relations entre la plupart des marchés illicites, et entre les marchés illicites et licites.
Les chercheurs en viennent de plus en plus à comprendre que les groupes du crime organisé occupent rarement un seul marché ou une seule région géographique. Ils ont étudié, du moins au départ, la diversification des marchés géographiques et le trafic de différents types de drogues illicites. Il existe cependant moins de recherches sur les motivations derrière ce mouvement entre les routes, les produits et les services. Certains groupes du crime organisé pourraient être motivés à passer d’un marché à un autre après certains événements, comme une descente de la police ou un changement dans la profitabilité, tandis que d’autres pourraient chercher à maintenir un portefeuille diversifié de produits et de services, ainsi que de milieux géographiques, afin de minimiser le risque de perturbation des profits. Cette flexibilité d’adaptation des groupes du crime organisé s’observe dans les « réseaux criminels polymorphes » (RCP) et leurs motivations à remplacer leurs revenus, à prendre de l’expansion ou à accroître leur résilience.
À l’aide d’un examen ciblé des travaux de recherche pertinents, les auteurs ont brossé un portrait représentatif des produits et des services qui sont offerts ensemble par un RCP, d’après les déductions d’études qui ne se penchent pas explicitement sur cette variable. On reconnaît que cet exercice n’est pas exhaustif, et que toute taxonomie proposée des facteurs qui contribuent à la cooccurrence et à la diversification des entreprises des RCP sur les marchés illicites et licites n’est qu’un début.
Lorsque l’attrait d’un marché illicite diminue, en raison peut-être d’efforts d’application de la loi, les groupes du crime organisé sont motivés à remplacer les revenus ainsi perdus par d’autres activités au lieu de simplement cesser d’exister. Toutefois, on ne peut tirer de conclusions fermes sans comprendre l’écosystème de processus et d’activités qui relient les divers marchés illicites et licites. Il est d’autant plus difficile de mesurer cet écosystème que la police ne consigne pas de façon uniforme les efforts liés aux marchés illicites dans de nombreux pays. On a avancé que les chiffres générés par les données policières reflètent principalement le rendement de la police et ne représentent pas bien les taux de criminalité réels.
Si les RCP mènent habituellement des activités dans quatre marchés en moyenne (une combinaison de marchés licites et illicites comme la production de drogues, la traite de personnes et l’extorsion ainsi que l’immobilier, la construction ou les services bancaires), des preuves montrent aussi une absence de diversification des activités dans d’autres groupes du crime organisé. Il est suggéré que les données sur les activités entreprises par les groupes du crime organisé en révèlent davantage sur les pratiques redditionnelles d’une administration. Il est également suggéré que la réalité de la cooccurrence et de la diversification des activités du crime organisé dépasse la portée de l’application de la loi et des données actuellement recueillies au sein du système de justice pénale.
Une approche de « données massives » serait appropriée pour analyser les RCP et exigerait de compléter et d’exploiter les données existantes, ce qui permettrait aux décideurs de ne plus se limiter aux saisies ou aux arrestations, qui sont fortement influencées par les activités des autorités d’application de la loi, comme mesures des activités liées aux marchés illicites. Pour obtenir ces nouveaux ensembles de données, il faudrait notamment effectuer la collecte systématique de données sur les drogues, la prostitution, les armes à feu et d’autres crimes potentiellement connexes, surtout si ces données peuvent révéler des informations sur le trafic de drogues multiples ou sur des crimes multiples. Sans efforts chronophages et coûteux, il est peu probable que les ensembles de données actuels soient en mesure de fournir des données sous la forme nécessaire pour que ce genre d’analyse soit possible. D’autres « balises » statistiques, ou mesures de remplacement, pourraient servir à créer un indice composé du crime organisé. En outre, il serait important d’inclure des données sur d’autres activités pouvant être associées aux RCP. Les services publics (comme les soins de santé ou le logement) représenteraient aussi une source de données utile, mais ne relèvent généralement pas de la compétence du système de justice pénale.
Rubin, J., Pardal, M., McGee, P. et Culley, D. (2013). Polymorphous Criminal Networks’: Considering Criminal Groups’ Engagement Across Markets. Dans European Commission, Further Insights Into Aspects of the Illicit EU Drugs Market (361‑381). Luxembourg : Office des publications de l’Union européenne.
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